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Regard critique · Justice sociale

Edito

Le sexe ou le CPAS?

«Je trouve ça indigne, moi, d’aller mendier de l’argent au CPAS. Au moins, moi, je vends quelque chose, je donne un service.» Ce témoignage pourrait sortir de la bouche d’un entrepreneur très libéral, un peu remonté sur la sécurité sociale à l’heure de l’apéro. Plus inquiétant, la citation émane d’un jeune qui a choisi de vendre ses charmes pour financer ses études.

Ce n'est pas parce qu'on use du sexe qu'il faut être aveugle sur les raisons de la pauvreté...CC- Patrick Marioné

«Je trouve ça indigne, moi, d’aller mendier de l’argent au CPAS. Au moins, moi, je vends quelque chose, je donne un service.» Ce témoignage pourrait sortir de la bouche d’un entrepreneur très libéral, un peu remonté sur la sécurité sociale à l’heure de l’apéro. Plus inquiétant, la citation émane d’un jeune qui a choisi de vendre ses charmes pour financer ses études. Dans une étude sur la prostitution estudiantine, relayée récemment par nos confrères du Soir1, les chercheurs constataient que pour sept étudiants sur seize interviewés, se prostituer apparaît comme un moyen moins tabou de subvenir à ses besoins que recourir à l’aide sociale! Voilà qui en dit long sur la façon dont la perception de l’allocataire social a évolué dans notre société (lire aussi à ce sujet notre article «Nos regards sur la pauvreté»)!

Au début du XIXe siècle, chaque commune apportait secours à ses «indigents» via des commissions d’assistance publique. Avec la loi du 8 juillet 1976 qui fonde le CPAS, l’aide sociale n’est plus perçue de façon paternaliste comme une «faveur» octroyée à ceux qui ont prouvé leur état de «nécessiteux», mais considérée comme un droit universel accordé au nom de la dignité humaine. En 2004, le A des CPAS se dote d’un sens nouveau. Ne lisez plus «aide» mais «action» sociale. Ce changement sémantique marque une volonté du pouvoir politique de ne plus accorder «passivement» son aide mais de favoriser l’intégration sociale par l’insertion sur le marché de l’emploi. Des logiques d’activation qui, poussées à l’extrême, tendent à occulter les causes structurelles de la pauvreté (lire les conclusions du dernier annuaire Pauvreté en Belgique «Pauvreté: les lignes de fracture belges») pour concentrer l’attention sur la responsabilité individuelle. En caricaturant, la pauvreté en serait alors réduite à une question de comportements (lire «Nudge: coup de coude ou coup bas?»).

De là à pointer du doigt les allocataires sociaux comme des profiteurs en puissance, il ne reste qu’un petit pas que certains politiques se sont empressés de franchir.

De là à pointer du doigt les allocataires sociaux comme des profiteurs en puissance, il ne reste qu’un petit pas que certains politiques se sont empressés de franchir. Fin septembre, le président du CPAS Fons Duchateau (N-VA) annonçait que son institution allait recourir à des détectives privés pour contrôler la situation financière des bénéficiaires du revenu d’intégration. «Je ne veux pas devoir expliquer aux contribuables que je n’ai pas tout fait pour prévenir les fraudes», justifie-t-il2. Après la plate-forme web pour dénoncer la fraude sociale imaginée par le secrétaire d’État Bart Tommelein (Open Vld) et la fronde de la N-VA contre le secret professionnel des travailleurs sociaux (lire «Levée du secret professionnel: vers un ‘flicage généralisé’?», 30 novembre 2016, Martine Vandemeulebroucke), voilà une mesure de plus qui, au nom de la bonne gestion de l’argent public, contribuera à associer l’image des bénéficiaires à des coupables présumés et l’aide sociale à une source de revenus moins digne que l’exploitation sexuelle.

Sandrine Warsztacki

Sandrine Warsztacki

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