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Migrations

Accueil de Mena: «C’est une lucarne sur le monde»

Des familles volontaires peuvent désormais accueillir des mineurs étrangers non accompagnés. Une geste de solidarité pour de jeunes exilés en quête de repères. Témoignage.

Des familles volontaires peuvent désormais accueillir des mineurs étrangers non accompagnés. Une geste de solidarité pour de jeunes exilés en quête de repères. Témoignage.

«C’est enrichissant au-delà de tout ce qu’on pouvait imaginer!» Cet enthousiasme, c’est Philippe Meertens qui l’exprime. Depuis le mois de juillet, il accueille, au sein de sa famille un mineur étranger non accompagné (Mena) afghan de 12 ans.

«Le départ de cette jeune fille a été vécu comme ‘une rupture douloureuse’. Il nous a fallu deux ans pour retrouver l’équilibre.» Philippe Mertens

À la fin de l’été 2015, lorsque des dizaines de milliers de migrants ont afflué en Europe, dont une proportion non négligeable en Belgique, des mouvements de solidarité ont bourgeonné çà et là. Des citoyens, émus par le sort de demandeurs d’asile contraints de dormir dans les tentes du parc Maximilien, ont manifesté leur volonté d’héberger des exilés. Cette volonté s’est plus particulièrement dirigée vers les plus fragiles de ces migrants: les mineurs étrangers non accompagnés.

Sauf que, à l’époque, un tel accueil n’était pas possible. Il l’est aujourd’hui, grâce à la collaboration de Fédasil, l’Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile, de l’Aide à la jeunesse et de l’association Mentor-escale qui coordonne le projet.

Pas une première fois

Philippe Meertens est journaliste. Il a deux filles biologiques de plus de 18 ans. Son envie d’accueillir un jeune demandeur d’asile était mue par une motivation très simple: «Nous voulions aider un enfant qui en avait besoin et nous voulions faire quelque chose lorsque les réfugiés dormaient au parc Maximilien.»

«Les Mena nous sont signalés par le pool de tuteurs ou par un assistant social de centre. Certains critères de vulnérabilité priment.» Ugo Guillet, coordinateur du projet

Aider un enfant en difficulté. La famille de Philippe Meertens n’est pas novice en la matière. «Il y a plusieurs années, nous avons été impliqués dans l’accueil d’urgence d’une petite fille congolaise qui était dans la classe de notre fille. C’était un dépannage. Elle est restée sept mois. Cela nous a mis le pied à l’étrier.» Le départ de cette jeune fille a été vécu comme «une rupture douloureuse». «Il nous a fallu deux ans pour retrouver l’équilibre, témoigne Philippe Meertens. Deux ans plus tard, nous étions prêts à accueillir quelqu’un. Une “petite” Belge qui vit chez nous depuis 13 ans.» Une jeune fille issue des circuits de l’Aide à la jeunesse.

Depuis lors, une assistante sociale suit la famille de Philippe Meertens. C’est elle qui a touché un mot à Philippe et à sa femme du tout nouveau projet de Mentor-escale. «Elle nous a dit que l’asbl cherchait des familles d’accueil pour Mena et nous avons tout de suite dit oui, même s’il fallait attendre la création de la structure légale permettant cet accueil.»

Peu mais positif

L’accueil de Mena en famille est un projet imaginé et coordonné par Mentor-escale. L’idée est de compléter l’offre d’accueil existante en proposant une «alternative familiale» à des jeunes vulnérables.

Le projet associe des partenaires impliqués dans l’accueil de mineurs étrangers non accompagnés comme Fédasil ou l’Aide à la jeunesse mais aussi des structures spécialisées dans l’accueil en famille, à savoir des services de placement familiaux. Autre partenaire incontournable d’un tel projet: les tuteurs de Mena. Un «pool» de tuteurs spécialisés dans l’accueil s’est ainsi constitué.

En coordonnant ces différents acteurs, Mentor-escale organise le «matching» entre familles d’accueil et Mena. Une cellule composée d’assistants sociaux et de psychologues a été mise en place. Les membres de la cellule «viennent soit de services de placement familiaux, soit de centres d’accueil pour Mena», explique Ugo Guillet, coordinateur du projet.

Les Mena ne sont évidemment pas lancés au hasard dans des familles qui s’improvisent accueillantes. Mentor-escale procède à cinq entretiens poussés avec les familles volontaires afin de construire un projet d’accueil. La participation à un volet «formation» est obligatoire – on y évoque notamment la diversité culturelle et sa prise en charge.

Quant aux Mena, «ils nous sont signalés par le pool de tuteurs ou par un assistant social de centre, détaille Ugo Guillet. Certains critères de vulnérabilité priment. Comme l’attente de liens avec des adultes, le fait qu’un jeune soit si jeune qu’une mise en autonomie ne pourra pas être envisagée avant longtemps ou lorsque l’intégration à la vie en collectivité se fait difficilement».

Une rencontre avec le jeune a lieu «afin d’évaluer au plus près sa situation, les potentiels conflits de loyauté». S’ensuit une période «d’apparentement» entre le jeune et la famille d’accueil qui lui a été attribuée. Une phase qui précède l’accueil proprement dit. Cet accueil n’est pas toujours de tout repos. «Des familles se sentent parfois démunies face au passé traumatique du jeune», explique Ugo Guillet. Mais elles sont accompagnées par Mentor-escale tout au long du projet.

Il est encore un peu tôt pour tirer des conclusions sur ce type d’accueil, même si les premiers échos sont positifs. Seuls sept accueils sont en cours.

On sait que 56 Mena ont été signalés à Mentor-escale; 420 familles se sont manifestées. Puis 186 ont participé à une séance d’info. Seules 74 ont ensuite recontacté Mentor-escale et 44 sont encore aujourd’hui impliquées dans le projet (soit accueillantes, soit en construction du projet, soit en attente d’accueil).

La famille de Philippe Meertens a été reçue par l’équipe de Mentor-escale qui a procédé à plusieurs entretiens et organisé une rencontre avec un jeune Mena de centre d’accueil. C’est au mois de mai qu’a commencé son «préaccueil» pour voir si cela pouvait coller entre eux.

Philippe Meertens le concède: «Le projet peut être effrayant, car on parle de jeunes avec un vécu très lourd, on parle d’un voyage incroyable depuis l’Afghanistan. On sait que notre jeune a traversé la Méditerranée. Il a fui l’Afghanistan avec sa mère et ses sœurs car il fait partie d’une minorité persécutée, les Hazaras. Ils ont été séparés en route et il a continué seul, à seulement 12 ans. On ne sait pas ce qui est arrivé à sa famille, et il nous en parle peu. Mais c’est surtout un projet merveilleux, d’une richesse incroyable. L’idée était de l’aider mais aussi que cela nous apporte quelque chose.»

Jusqu’à présent, la «greffe» de l’arrivée du jeune homme, dont Philippe Meertens préfère que nous taisions le prénom, prend à merveille. «C’est un enfant très gentil, très équilibré qui avait très envie de s’intégrer. Il est en 6e primaire et apprend très vite. Il est inscrit au foot, bien intégré dans sa classe, se fait des amis. Il mord dans la vie.» Bien sûr, la culture, le mode de vie de ce jeune Afghan demandent parfois de petits ajustements. «Il ne savait pas qu’on avait le droit de regarder une fille dans les yeux. Mais maintenant il sait. Il a des sœurs qui lui font comprendre», explique Philippe Mertens.

Bien sûr, Philippe Mertens a conscience que l’avenir ne sera pas toujours radieux: «On sait que les moments difficiles qu’il a traversés peuvent resurgir à tout moment. L’audition au Commissariat général aux réfugiés et apatrides sera difficile. Mais pour l’instant c’est un win-win et, pour nous, ce jeune homme est une lucarne sur le monde.»

«Mena: un jeu de ping-pong», Alter Échos n°411, octobre 2015, Pierre Jassogne.

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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