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Travail au projet, contrats précaires… une logique Smart ?

Le travail « au projet » ou « au contrat » a le vent en poupe. Incarnation de ce type de fonctionnement, la fondation Smart connaît un succès àl’avenant. Au point d’effectuer un « redéploiement » qui soulève quelques questions chez certains.

24-04-2009 Alter Échos n° 271

Le travail « au projet » ou « au contrat » a le vent en poupe. Incarnation de ce type de fonctionnement, la fondation Smart connaît un succès àl’avenant. Au point d’effectuer un « redéploiement » qui soulève quelques questions chez certains.

Effet de la crise ou pas, le nombre de personnes recourant aux services de Smart1, que ce soit pour des contrats ponctuels ou pour des activités « auprojet » serait en train d’augmenter dans des proportions assez importantes si l’on en croit les propos de Julek Jurowicz, administrateur délégué de Smart. « Lescontrats augmentent de 25 % tous les ans alors que le nombre de projets croît rapidement », déclare-t-il. Rappelons que Smart, qui se présentait à la basecomme une « association professionnelle d’artistes », agit, dans le cadre des contrats, en qualité de tiers payant. Pour ce qui concerne les projets, la structure offreun outil de production et de gestion administrative et financière de « projets » tels qu’une exposition, une représentation, une création. Détailmarquant : bon nombre des personnes faisant appel aux services de Smart ne seraient pas à proprement parler des artistes.

À l’heure actuelle, de plus en plus de travailleurs ayant perdu leur emploi, et étant donc au chômage, sont ainsi en effet tentés par le fait de mettre sur pied uneactivité ou un projet ponctuel sans devoir supporter la gestion d’une entreprise, grâce à Smart. Et cela, dans des domaines aussi variés que le journalisme, les fonctionstechnico-commerciales ou même le strip-tease et pour des activités dont la temporalité, l’organisation ou le mode de fonctionnement se rapprocheraient, en quelque sorte,d’une prestation de type artistique. Dans ce cadre, le système Smart peut se révéler intéressant même si l’association s’éloigne, ce faisant, de son objectifpremier. « On passe effectivement des notions d’artistes et d’activités artistiques à celles d’intermittents et d’activités au projet, continue Julek Jurowicz. Il estcependant important de signaler que dès nos débuts, nous avons été amenés à nous occuper de prestations non artistiques et ce, pour une raison principale :beaucoup d’artistes ne peuvent pas vivre uniquement de leurs créations et sont donc amenés à avoir d’autres activités. »

Monde du travail et relations triangulaires

Pour certains, cette situation, notamment dans le fait des « contrats », participerait d’une tendance générale de plus en plus affirmée à latriangulation des relations dans le monde du travail entre l’employeur et le client. « Le système des titres-services fonctionne comme cela, de même que les agences localespour l’emploi ou encore les CPAS dans certains cas, déclare à ce sujet Paul Palsterman, du service d’études de la CSC2. On constate aussi le même type dephénomène dans le cadre de la formation par le travail. S’il y a suffisamment de garanties pour les travailleurs et si cela correspond à un besoin, alors cela ne pose pas deproblème. Notre souci à nous, syndicats, est que ces relations soient bien encadrées. »

Reste que, dans le cas de Smart, le flou relatif actuel peut quelquefois poser question. Ils sont en effet nombreux à se demander aujourd’hui pourquoi la structure ne s’est pas faitagréer comme bureau social pour artistes comme d’autres agences d’intérim et pourquoi elle s’occupe aussi d’autres travailleurs que les artistes. De là à parler deconcurrence déloyale avec d’autres structures… Rappelons qu’en juin 2007, les partenaires sociaux de la commission paritaire Intérim (CP 322) accusaient déjà Smartde plusieurs infractions au droit du travail. Dans un communiqué, ils déclaraient que « Smart exerce les activités d’une entreprise de travail intérimairepour artistes et divers autres profils, mais ne veut pas demander l’agrément requis pour ce faire. » Ils s’interrogeaient aussi sur le caractère commercial de l’asbl.Smart avait alors répliqué qu’elle n’exerçait pas d’activité d’intérim et n’enfreignait pas les règles. Quant à son éventuel caractèrecommercial, l’asbl expliquait qu’en 2004, le fisc n’avait rien eu à redire à la suite d’un contrôle approfondi qui visait explicitement à vérifier lecaractère non lucratif de ses activités.

Néanmoins, aujourd’hui encore, tant les syndicats que le secteur intérimaire observent les activités de Smart d’un œil circonspect. Ainsi, Christian Masai,secrétaire fédéral du Setca secteur non marchand3, estime que le modèle de travail proposé par Smart soulève toujours une série dequestions. « Smart agit comme une agence d’intérim sans en porter le nom, dit-il. Elle agit comme une structure prestataire de services, de tiers payant, de bureau socialartistique… Il y a un amalgame et une addition des fonctions. Pour nous, Smart gère principalement des contrats à durée déterminée ou des tâchesdéfinies. » Encore faut-il appliquer les règles du secteur où est placé le travailleur, pointe Christian Masai. « Les agences d’intérimrespectent les conventions du secteur dans lequel elles placent le travailleur. Concernant Smart, nous avons des doutes quant au fait que ce soit le cas. Tout comme nous avons des doutes surl’application d’un salaire minimum par Smart. »

Au cours des dernières années, différentes initiatives ont été prises par le secteur intérimaire pour que Smart respecte les règles.« Pour ce secteur, Smart va au delà de son activité, souligne le secrétaire fédéral du Setca non marchand. C’est un nouveau circuit de travail quin’offre pas forcément de garanties. » Quant au « travail au projet », Christian Masai attend que Smart définisse de quoi il retourne : « Letravail au projet, c’est bien gentil, mais les personnes qui travaillent dans une structure stable avec un contrat bossent aussi au projet. Et les projets s’enchaînent au sein du mêmecontrat. Le « contrat au projet » renouvelle, lui, constamment la précarité sans savoir si tout sera couvert en termes de droit. Bref, c’est la précarité et laflexibilité totale : en gros, c’est « tu prends le petit job qui vient ». »

Un redéploiement bienvenu ?

Quoi qu’il en soit, Smart a aujourd’hui effectué un « redéploiement » qui n’est probablement pas un effet du hasard. Concrètement, l’asbl estpassée d’une structure unique s’occupant de tout (formation, contrats, lobbying, service juridique et surtout les projets), Smart asbl, à une structure diversifiée. Unsecrétariat pour intermittents, censé s’occuper des contrats, a ainsi été créé, de même qu’un service « Productionsassociées » qui s’occupe d
es projets. Une organisation nouvelle qui va demander une adaptation : « Il va falloir adapter nos moulinettes », déclareJulek Jurowicz. Ce redéploiement laisse toutefois sceptique Christian Masai : « Il s’agit d’un échappatoire pour éviter une partie des recours par rapport au statutjuridique de Smart, mais qu’est-ce que cela changera dans les faits ? »

Du côté de Smart, on semble conscient des critiques mais on les réfute : « Cela fait des années qu’on nous accuse de détricoter le système,déclare Julek Jurowicz. Pourtant, nous venons du bord syndical, nous ne sommes pas du côté des donneurs d’ordre. Nous sommes bien évidemment pour les contrats àdurée déterminée. Mais ce que nous constatons, la réalité économique, c’est que le continent salarial se fissure à la marge. » Et JulekJurowicz de souligner la pertinence du système de flexicurité visant au soutien des travailleurs pour une réorientation de leur vie professionnelle en cas de perte de leuremploi. Un système finalement pas si éloigné du travail au projet.

1. Smart :
– adresse : rue Émile Féron, 70 à 1060 Bruxelles
– tél. : 02 542 10 82
– courriel : juj@ubik.be
– site : www.smartasbl.be
2. Paul Palsterman, Service d’étude de la CSC :
– adresse : chaussée de Haecht, 579 à 1030 Bruxelles
– tél. : 02 246 34 04
– courriel : paul.palsterman@acv-csc.be
– site : www.csc-en-ligne.be
3. Christian Masai, Setca non marchand :
– adresse : rue Haute, 42 à 1000 Bruxelles
– tél. : 0475 35 97 28
– courriel : Cmasai@setca-fgtb.be
– site : www.setca.org/

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste (emploi et formation)

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