Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Les travailleurs de l’enfance ne sont pas seuls

La souffrance au travail existe à l’ONE. Les référents maltraitance sont là pour accompagner les travailleurs.

26-10-2012 Alter Échos n° 348

Les travailleurs médico-sociaux de l’ONE font un métier difficile. Il leur arrive de souffrir face aux graves négligences que subissent certains enfants. Les référents maltraitance sont là pour les aider.

Pas évident de garder la distance émotionnelle adéquate face à un enfant en danger, ou risquant d’être maltraité. La possibilité d’être happé par ses propres émotions n’est pas négligeable. Chaque jour, les travailleurs médico-sociaux (TMS) de l’Office de la naissance et de l’enfance (ONE)[x]1[/x] doivent faire avec leur propre ressenti face à ces situations difficiles, où les dysfonctionnements familiaux peuvent menacer le tout jeune enfant venu au monde. Face à la vulnérabilité des familles, le travailleur médico-social peut se sentir lui-même vulnérable. Son travail peut en pâtir. Et dans certains cas, le sentiment d’impuissance peut conduire au fameux « Burnout ». Afin de ne pas laisser ces professionnels de l’aide seuls face à leurs difficultés, l’ONE a mis en place, il y a dix ans, une nouvelle fonction, celle de « référent maltraitance ».

L’angoisse et le découragement

Revenons-en aux TMS. L’objectif général qu’ils poursuivent est simple : assurer le bien-être de l’enfant et accompagner les parents dans un but de promotion de la santé et de soutien à la parentalité. Ces travailleurs de première ligne se rendent au domicile des familles. Ils sont directement confrontés à la réalité de leur vie quotidienne, à leurs éventuels troubles, à leurs carences affectives.

Gillian Douglas est TMS à l’ONE depuis 22 ans. Sa spécialité est le suivi de grossesse. Un travail fait de petites joies, certes, mais si souvent ponctué d’inquiétudes et d’angoisses : « Lorsqu’on voit une famille avec six enfants où tous vivent sur le même matelas, ou une famille qui ne reçoit pas d’aide d’un CPAS ; lorsqu’on rencontre des parents toxicomanes ou d’autres avec de graves pathologies psychiatriques, on pense à cet enfant qui va arriver avec des parents très défaillants. Nous allons dans leur domicile, et nous nous identifions un peu au bébé, nous avons des craintes pour ce bébé. Dans quoi va-t-il être pris ? » Les cas de figure qui suscitent l’inquiétude sont extrêmement nombreux. Les cas de négligence, les cas de maltraitance. Les angoisses jaillissent, le découragement aussi. « On voit que dans certaines familles, il n’y a aucun changement possible. En étant confronté à la souffrance des parents, ça remue beaucoup de choses chez nous, ne serait-ce que parce qu’on a nous-même des enfants. » Et d’évoquer ces bébés « en souffrance, qui sont totalement oubliés, qu’on n’entend jamais ». Etre proche des familles peut même entraîner les TMS dans des tourbillons émotionnels délicats à gérer, comme l’illustre Gillian Douglas : « Il nous arrive d’être malmenés par ces familles qui se malmènent elles-mêmes et jouent au yoyo avec nous. Elles nous prennent puis nous rejettent. Elles nous testent. Notre but, c’est de garder le lien, car pour ces familles, nous sommes bien souvent les seuls intervenants à leurs côtés. »

Une vie personnelle envahie par la souffrance au travail

On l’a compris, le travail auprès de tout petits enfants génère des souffrances particulières chez l’intervenant social. La psychiatre française Martine Lamour s’est penchée sur la question dans un ouvrage intitulé « Parents défaillants, professionnels en souffrance ». Elle y décrit ce « malaise face à des enfants exposés à des troubles graves de la parentalité », et se penche sur « la dimension psychique et affective de la souffrance au travail qui aboutit à de l’usure mentale », une souffrance qui n’est pas sans conséquence, car elle « entrave les compétences de chacun et provoque des dysfonctionnements majeurs avec des effets néfastes tant pour les familles que pour les professionnels ». Il y a ces travailleurs qui souffrent aux côtés de l’enfant et « souhaitent un placement le plus rapidement possible, pour le soustraire à ses parents défaillants, sans tenir compte des liens qu’il a noués avec eux et qu’ils ont noué avec lui ». Il y a aussi ces autres travailleurs « touchés par ces adultes fragiles (…) qui minorent inconsciemment les dangers qui pèsent sur l’enfant ». On y découvre enfin des professionnels dont la vie personnelle est envahie par cette souffrance.

La souffrance propre au travail social auprès de familles en difficulté peut donc avoir un impact sur l’efficacité des travailleurs. Cela, l’ONE l’a bien compris en créant le poste de « référent maltraitance ». Tout a commencé en 2002. A l’époque, l’ONE lance une grande enquête auprès de ses employés sur le thème du « stress au travail ». Résultat : le plus grand problème pour les TMS de l’institution était le sentiment de solitude face à des situations de maltraitance. L’ONE a donc créé un nouveau poste dans son organigramme, comme nous l’explique Déborah Dewulf, responsable du service SOS-Enfant : « Suite à l’enquête, nous nous sommes dits qu’il fallait réagir. La fonction de « référent maltraitance » est née. C’est une aide aux travailleurs de première ligne. Ils les écoutent, les soutiennent et travaillent aussi les cas concrets. La référente essaye de comprendre dans quoi le TMS se situe, pour trouver des pistes de solution. » Aujourd’hui, l’ONE compte neuf référents pour 780 TMS. Leur rôle est officiellement « d’encadrer psychologiquement (les TMS), mais aussi de les guider dans les démarches complexes que réclament les faits de suspicion de maltraitance ».

« Un espace pour analyser les situations difficiles »

Magali Broquet est référente maltraitance. Elle nous aide à mieux comprendre l’étendue de cette fonction originale : « Mon travail est d’accompagner les travailleurs de terrain dans leur approche des familles vulnérables. Lorsque les TMS rencontrent des enfants à haut risque de vulnérabilité. C’est vraiment un travail où l’on offre aux TMS un espace pour penser, réfléchir, analyser les situations difficiles, lorsqu’elles sont confrontées à un enfant qui peut être mis en danger. Car ces situations sont déstabilisantes. Les TMS sont en alliance avec les familles mais sont aussi attentifs à la protection de l’enfant, ce qui peut être contradictoire. Des TMS se demandent quelle est la limite qu’ils peuvent supporter avant de signaler la situation. » Une souffrance qui a donc un impact évident sur la qualité du travail. « La souffrance au travail, dans ces cas-ci, se manifeste par de l’angoisse, par le sentiment d’être perdu, affirme Magali Broquet. Alors certains TMS vont un peu dans tous les sens ou ferment les yeux sur des situations. Nous intervenons au téléphone ou de visu auprès d’eux. Toujours à leur demande. Nous intervenons aussi lors de réunions d’équipe. »

Ces référents maltraitance sont très sollicités. D’après Déborah Dewulf, une récente enquête interne à l’ONE montre que les TMS apprécient vraiment cette aide, « car ils se sentent soutenus. Ils peuvent déposer leur ressenti et réfléchir à des pistes d’intervention avec un tiers. ». Une assertion que ne reniera pas Gillian Douglas : « Nous soutenons les familles, mais nous avons aussi besoin d’être soutenus pour bien faire notre travail. Les référents nous permettent d’être moins seuls. »

1. ONE :
– adresse : chaussée de Charleroi, 95 à 1060 Bruxelles
– tél. : 02 542 12 11
– site : http://www.one.be

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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