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Regard critique · Justice sociale

Justice

Quand la mort fait partie du job

Ils exercent tous trois des métiers qui flirtent avec la mort. Tous sont au service des personnes, mais ils n’arriveront pas toujours à temps et seront là pour constater l’irréparable ou tenter de l’expliquer. Noémie Moreau, André Pels et Bernard Michielsen parlent de leur rapport aux personnes décédées qu’ils ont rencontrées sur leur route professionnelle et de l’impact plus global sur le personnel en contact avec ces réalités.

(c) Bertrand Dubois

Noémie Moreau est jeune inspectrice dans la zone de police de Bruxelles-Ouest. Après un master en criminologie, elle a passé l’examen d’entrée, suivi d’une année à l’école de police. Elle a ensuite rejoint le service Intervention de la zone. Pendant cinq ans, elle a travaillé en patrouille, en horaires alternés. Les prises en charge h24? Du roulage, des vols, du vandalisme, des scènes de violence en rue ou familiales… «Lors de ces interventions, la mort, je l’ai côtoyée plus d’une fois. Des missions que j’ai toujours redoutées, alors que certains policiers attendent ça avec une sorte de fascination.»

Son premier cadavre, Noémie y a été confrontée à la suite d’un appel au 101 pour une suspicion de suicide. Une femme s’inquiétait de ne plus avoir de nouvelles de son ex-mari qui allait mal depuis leur séparation. «Nous nous sommes rendus sur place et avons découvert le corps sans vie de ce jeune homme de 33 ans, papa de deux enfants. Avant de se pendre, il avait viré son argent sur le compte de son ex-femme.»

Un cadavre derrière la porte

Cette confrontation avec la mort, la jeune inspectrice ne s’y est jamais habituée, au point de demander sa mutation, l’an dernier, dans un service de recherches plus éloigné de la première ligne. «Ces situations où l’on ne sait pas sur quoi on va tomber, ouvrir une porte, puis l’autre. Être en présence de cadavres en putréfaction. L’odeur pestilentielle qui peut régner dans un appartement. Aller constater le décès suite à un suicide par train et retrouver des morceaux de corps éparpillés, pour moi, c’était vraiment pénible.» Mais Noémie Moreau reconnaît que tout le monde ne réagit pas de la même façon: «Certains collègues ne semblent pas touchés. Pour d’autres, cela dépend de la situation: les décès d’enfants ou les morts violentes sont généralement plus difficiles à (di)gérer.»

Son premier cadavre, Noémie y a été confrontée à la suite d’un appel au 101 pour une suspicion de suicide. Une femme s’inquiétait de ne plus avoir de nouvelles de son ex-mari qui allait mal depuis leur séparation.

Pour appréhender ces situations, rien de concret lors de la formation, si ce n’est un cours pour se préparer à l’annonce de la mauvaise nouvelle à la famille. Ses cours en criminologie ont sûrement été plus utiles. «Ce qui aide le plus, c’est d’en parler entre collègues pour ventiler. Mon compagnon étant policier, on parle beaucoup ensemble après la journée de travail.» Il existe aussi plusieurs types de soutien: celui de la Help Team, constituée de policiers de la zone formés à la prise en charge et à l’écoute, mais aussi la Stress Team de la police fédérale. Des services d’aide aux victimes, policiers ou communaux, peuvent également être mobilisés. Mais Noémie Moreau s’interroge sur le recours effectif à ces services par les policiers: «C’est un métier où montrer de la faiblesse n’est pas trop de mise et les policiers prennent sur eux, ce qui se traduit sans doute par un taux de suicide élevé dans cette profession.»

En stress post-traumatique

André Pels, lui, est pompier au SIAMU (Service d’incendie et d’aide médicale urgente de la Région de Bruxelles-Capitale) depuis 26 ans. Pour lui, c’était un rêve de gosse et il aurait débuté bien plus tôt s’il avait pu, mais les recrutements se font au compte-gouttes et les nouveaux sont incorporés au fur et à mesure pour ne pas mettre les brigades en péril. Après avoir suivi une formation de six mois, composée de 120 heures d’aide médicale urgente supervisées par le SPF Santé publique et d’une formation au feu théorique et pratique, André Pels a intégré à 29 ans une des brigades des sapeurs-pompiers de Bruxelles et les premiers contacts avec la mort n’ont pas traîné. «Il faut savoir que 85% des interventions représentent du travail d’ambulancier, les autres 15% comme pompier dans des incendies, mais aussi pour des arbres déracinés, des personnes coincées dans des ascenseurs…C’est donc comme ambulancier que j’ai été confronté à la mort pour la première fois, dans une cave où un homme s’était tiré une balle dans la tête et qui vivait encore à notre arrivée. On peut dire que la grande faucheuse s’est très souvent invitée lors de mes interventions, au point de recevoir le sobriquet de ‘pestard’ ou de ‘fumée noire’».

André Pels a intégré à 29 ans une des brigades des sapeurs-pompiers de Bruxelles et les premiers contacts avec la mort n’ont pas traîné.

Malgré ses années de service, le pompier de 55 ans, aujourd’hui sous-officier et chef d’équipe, refuse de parler d’habitude face à la mort dans le cadre de ses activités: «Je ne crois pas qu’on s’y habitue, on n’est pas programmé pour ça. Pour ma part, j’ai toujours été beaucoup plus éprouvé par mes interventions comme ambulancier, car on est au corps à corps avec les personnes à secourir. Mes actes peuvent être décisifs et, si je me plante, le sort du patient en dépend. Dans le cadre des incendies, on arrive en équipe, on est appareillé avec des masques de protection, on est davantage coupé de la réalité.»

Pourtant, c’est lors de l’incendie de l’ambassade d’Espagne qu’André Pels a vécu une expérience traumatique, en essayant de sauver un jeune collègue trouvé inanimé dans les flammes et décédé malgré le massage cardiaque prodigué. Sans doute la manière dont les supérieurs sont intervenus à la suite de ce drame en exigeant des explications n’a pas non plus aidé à surmonter le choc ainsi causé. «Aujourd’hui, il existe une Stress Team composée de collègues, qui a pour but de débriefer à chaud et de permettre à la parole de circuler avec bienveillance dans le respect de chacun.» Le fait de pouvoir partager avec une compagne infirmière aux soins intensifs lui permet aujourd’hui d’évacuer le stress, mais il garde à jamais une part obscure qui ne l’a pas quitté.

Un soutien qui peut faire la différence

Bernard Michielsen, premier substitut du parquet de Bruxelles, a longtemps travaillé à la section Homicides. La mort, il y a été confronté de manière quotidienne, puisque son rôle était de descendre sur les lieux pour faire les premières constatations et ensuite entamer les devoirs d’enquête pour permettre au juge d’instruction d’instruire l’affaire, ainsi qu’au procureur d’élaborer son réquisitoire.

Son métier, il l’a appris sur le tas, après un stage en dernière année de licence en droit, et son premier dossier concernait une personne décédée après s’être immolée dans la forêt de Soignes. «Quand tu descends sur une scène de crime, tu t’attends à cette rencontre avec la mort. Tu n’es jamais seul, tu descends en équipe et l’intérêt de l’enquête prend vite le pas sur le côté émotionnel. C’est tout de même assez fascinant d’essayer de comprendre pourquoi et comment une personne est passée à l’acte. Pourtant, dans certaines circonstances, tu peux t’identifier à la victime, si elle est plus proche de ce que tu vis, de ce que tu connais. Même sans descendre sur le terrain, la lecture de dossiers peut aussi être marquante, à force d’être constamment en contact avec la souffrance et la fin de vie. On parle alors d’épuisement de compassion ou de traumatisme par ricochet.»

Bernard Michielsen, premier substitut du parquet de Bruxelles, a longtemps travaillé à la section Homicides. La mort, il y a été confronté de manière quotidienne.

Pour le numéro deux du parquet de Bruxelles, aujourd’hui en charge de l’organisation des équipes, il est important de partager les émotions pour les diluer et leur donner du sens. «Les équipes parlent beaucoup entre elles, mais jusqu’à il y a quelques mois, il n’y avait rien de prévu, ni dans la formation ni sur le terrain pour encadrer de manière professionnelle les éventuelles difficultés émotionnelles vécues par les magistrats. Pire, il y a une certaine violence institutionnelle généralisée qui règne selon laquelle quelqu’un qui se plaint est un faible, et le monde de la magistrature n’échappe pas à la règle.»

Il s’est donc intéressé à cette question, d’autant qu’il a repris des études de psychologie, et a réuni des collègues pour évaluer la nécessité d’un soutien psychologique. Finalement, il y a six mois, une psychologue clinicienne, avec des connaissances en psychologie du travail, a été engagée au sein du parquet comme responsable bien-être. L’intervention de cette professionnelle n’a pas pour ambition de mener des thérapies avec le personnel du parquet en difficulté, mais bien d’identifier leurs besoins et de les orienter, si besoin, vers POBOS, un bureau-conseil en matière de bien-être qui propose une liste de 260 psychologues, disponibles de manière très rapide.

Quand le fait de côtoyer la mort peut générer une certaine vulnérabilité qui n’est pas à négliger…

 

Nathalie Cobbaut

Nathalie Cobbaut

Rédactrice en chef Échos du crédit et de l'endettement

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