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Les titres-services en souffrance

Victimes d’un succès aussi inattendu que grandissant, les titres-services sont sur la sellette depuis quelques semaines. Polémique à propos des bénéficesengrangés par certains opérateurs, élargissement possible (loin de faire l’unanimité) du dispositif à la garde d’enfants voire au jardinage et au bricolage, ledossier est épineux et n’en finit pas de connaître des soubresauts…

14-04-2008 Alter Échos n° 249

Victimes d’un succès aussi inattendu que grandissant, les titres-services sont sur la sellette depuis quelques semaines. Polémique à propos des bénéficesengrangés par certains opérateurs, élargissement possible (loin de faire l’unanimité) du dispositif à la garde d’enfants voire au jardinage et au bricolage, ledossier est épineux et n’en finit pas de connaître des soubresauts…

Le 28 mars 2008, le journal Le Soir consacrait sa une à certaines dérives supposées du système des titres-services. Sous le titre « Les chèquesservices victimes des profiteurs », le quotidien relayait les propos de Muriel Gerkens 1, députée Écolo, selon laquelle les agences locales pour l’emploi (ALE),bénéficiaires du succès phénoménal des titres-services, seraient en train de s’enrichir de manière tout à fait anormale, au point de devoir investirdans l’immobilier. Si d’après un audit réalisé par PriceWaterhouseCooper, ce sont elles qui engrangent effectivement le plus de bénéfices par titre-services parmiles opérateurs reconnus (7,68 euros par titre) loin devant les asbl (3,84 euros), les entreprises d’insertion (2,64 euros), les agences d’intérim (1,65 euros) ou encore les CPAS (0,65euros), l’élue Écolo s’était en fait tout d’abord intéressée aux agences d’intérim : « Ma première question au ministre fédéral del’Emploi de l’époque, Josly Piette (CDH), portait sur les bénéfices engrangés par celles-ci. Mais le ministre a directement embrayé sur les ALE… Et c’est cela quiest sorti dans la presse ! »

Néanmoins, Muriel Gerkens continue à s’intéresser de près aux agences d’intérim et déclare : « Si les ALE se font de l’argent, je ne vois paspourquoi les agences d’intérim ne s’en feraient pas … ». Et elle n’est apparemment pas la seule. Ainsi, dans un communiqué de presse daté du 28 mars 2008, la Centralegénérale FGTB Liège-Huy-Waremme2 s’indigne du procès fait aux ALE et charge lourdement les agences d’intérim. Contacté partéléphone, Geoffrey Goblet, secrétaire en charge des titres-services pour la Centrale, renchérit : « Au moins, les ALE ont été honnêtes dans lesdéclarations sur leurs bénéfices qu’elles ont faites pour l’audit. Par contre, je soupçonne fortement les agences d’intérim d’engranger également de grosbénéfices mais de l’avoir en quelque sorte camouflé, notamment en gonflant les frais annexes. Dans le document de PriceWaterhouseCooper, il est clairement stipulé que leschiffres déclarés par les entreprises doivent être comparés à ceux déposés à la BNB. Or, cela n’a pas été fait… ». Unecomparaison que la Centrale générale FGTB Liège-Huy-Waremme déclare avoir réalisée partiellement : « Le problème, c’est que les agencesd’intérim déposent des comptes consolidés, il est donc impossible de savoir quelle est la part de bénéfices engrangés par ces mêmes agences grâceaux titres-services. Mais ce qui nous a mis la puce à l’oreille, c’est que dans le cas de l’agence Randstad, pour laquelle nous avons pu disposer de ces chiffres, ils ne correspondent pas…» Une agence Randstad3 qui, par la voix de son Manager Corporate Communications & Public Affairs, Jan Denys, répond à ces propos en affirmant qu’il leur est «(…) difficile de réagir tant que la FGTB n’a pas produit officiellement les chiffres ».

Des travailleurs précarisés ?

Un autre effet pervers des titres-services serait la création de catégories de travailleurs précarisés qui seraient soit licenciés une fois qu’ils n’entreraientplus dans les conditions du plan, soit maintenus dans un cycle de contrats à durée déterminée plus longtemps que ne le prévoit la loi. « Les employéstravaillant sous le régime des titres-services appartiennent à deux catégories. Le première regroupe ceux qui reçoivent, en plus de l’argent gagnégrâce aux titres-services, des allocations. La seconde concerne ceux qui ne touchent rien. Pour les premiers d’entre eux, ceux-ci doivent se voir offrir un contrat à duréeindéterminée de minimum 19 heures par semaine après six mois de travail sous le régime des titres-services. Pour la seconde catégorie, les travailleursreçoivent un contrat après trois mois mais celui-ci peut être inférieur à 19 heures par semaine », continue Geoffrey Goblet qui n’hésite pas àincriminer à nouveau les agences d’intérim. « Certaines d’entre elles cherchent à maintenir les travailleurs dans le système des titres-services et ne leur offrentpas ces contrats à durée indéterminée… »

Ainsi, le syndicat prétend disposer d’un document que Manpower ferait signer aux employés travaillant sous le régime des titres-services lorsque les six premiers mois sontpassés. « La plupart d’entre eux ne sont pas au courant qu’ils ont dès lors droit à un contrat à durée indéterminée… C’est à cemoment-là que l’agence leur fait signer un document dans lequel les travailleurs déclarent vouloir continuer à travailler dans le cadre des titres-services. Ils croient recevoirquelque chose de bénéfique alors que ce n’est pas vraiment le cas… » Du reste, chez Manpower4, on rétorque que le document ne serait proposé quand dansdes cas bien précis : « Il faut savoir que certains travailleurs ne souhaitent pas passer à 19 heures par semaine (ndlr : ou moins pour les travailleurs émargeant àla deuxième catégorie) en contrat à durée indéterminée, explique ainsi Marc Vandeleen, Communication Manager chez Manpower. Dans ce cas, nous leur proposonsce document qui les maintient sous le régime du titre-services. A contrario, nous sommes quelquefois nous-mêmes dans l’impossibilité de leur proposer assez d’heures pouratteindre les 19 heures légales. Le document est alors également une bonne solution. » Des propos qui viennent corroborer ceux de Jean-Olivier Collinet, porte-parole deDaoust5 : « Certaines des personnes qui travaillent chez nous sous le régime des titres-services ont été parfois désinsérées pendant denombreuses années et sont très fragilisées. Il faut assurer leur réinsertion dans le monde du travail en douceur. Leur proposer directement un contrat àdurée indéterminée, avec un « carcan » strict pourrait avoir pour effet de les faire fuir… Du reste, un nombre conséquent des ces personnes demandentà rester en titres-services. »

Repenser le système…

Au-delà de ce débat, il semble que l’ensemble des interlocuteurs impliqués dans le système de
s titres-services songent, de plus en plus, à demander un affinementou un ajustement de celui-ci. En effet, suite à « l’affaire » des bénéfices et à l’heure où l’on parle d’étendre les titres-services à lagarde d’enfants, voire au jardinage et au bricolage, une telle démarche serait peut-être utile. Ainsi Jean-Pierre Pollénus, directeur d’Atout EI, la Fédérationwallonne des entreprises d’insertion6, déclare : « Les bénéfices sont une réalité, il ne faut pas le cacher. La vraie question n’est pas de savoirqui en engrange le plus mais plutôt de savoir ce que l’on va faire de cet argent. Le système des titres-services est beaucoup trop flou à ce niveau-là… Ce qu’il faudrait,c’est que les fonds récoltés soient utilisés systématiquement pour l’emploi. En cela, l’article du journal Le Soir est caricatural. Si les bâtimentsachetés par les ALE servent à abriter les centrales de repassage, je n’y vois aucun inconvénient. » Des propos que tiennent également Jean-Olivier Collinet («Qu’une entreprise fasse des bénéfices, cela me paraît plutôt normal. Ce qu’il faut savoir, c’est comment l’argent va être utilisé par après… »)et Muriel Gerkens qui affirme « (…) vouloir faire pression pour que l’on sache ce qu’on peut faire avec l’argent des bénéfices ».

Inutile de dire que ces précisions seraient les bienvenues alors que le flou règne également quant à la volonté d’élargissement, par le nouveaugouvernement, du champ d’application des titres-services. « Là aussi, il faudrait entamer une grande réflexion, déclare Jean-Pierre Pollénus. Il ne faut pas croireque les titres-services s’adaptent à tous les types de travaux, ce n’est pas une recette miracle transposable sans aménagements. Je suis très circonspect… ». S’achetantà l’avance, ce qui nécessite une certaine prévisibilité de l’activité à rémunérer, et étant valables pour une durée de travails’étalant par tranche d’une heure par titre, les titres-services semblent en effet peu adaptés à un travail de brico-dépannage tel que la réparation en urgence d’unrobinet – travail dont la durée ne dépassera peut-être pas vingt minutes… En ce qui concerne la garde d’enfants, c’est toute la question des compétences àdétenir pour ce genre de travail ainsi que celle de l’accès à une profession bien spécifique qui se pose. Success story fulgurante du monde de l’emploi, lesystème des titres-services est peut-être arrivé à une étape cruciale de sa jeune existence : celle de la réflexion.

1. Muriel Gerkens, députée fédérale Écolo :
– adresse :Maison des parlementaires – Bureau 2213, rue de Louvain, 21 à 1008 Bruxelles
– courriel : muriel.gerkens@ecolo.be
– site : www.murielgerkens.be
2. Centrale générale FGTB Liège-Huy-Waremme :
– adresse : place Saint-Paul, 13 à 4000 Liège
– tél. : 04 221 95 11
– fax : 04 222 05 98
– courriel : fgtbliege@fgtb.be
– site : http://www.fgtb-liege.be
3. Ranstad :
– adresse : Place de Brouckère, 4 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 229 14 00
– fax : 02 223 29 09
– courriel : info@randstad.be
– site : www.randstad.be
4. Manpower Belgium Head Office :
– adresse : av. Louise, 523 à 1050 Bruxelles
– tél. : 02 639 10 70 – fax : 02 639 10 71
– courriel info@manpower.be
-site : www.manpower.be
5. Daoust :
– adresse : Galerie de la Porte Louise, 203 Bte 5 à 1050 Bruxelles
– tél. : 02 513 14 14
– fax : 02 513 06 50
– courriel : info@daoust.be
– site : http://www.daoust.be
6. Atout EI, Fédération wallonne des entreprises d’insertion :
– adresse : rue du Téris, 45 à 4100 Seraing
– tél. : 04 330 39 86
– fax : 04 330 65 00
– courriel : federation@atoutei.be
– site : www.atoutei.be

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste (emploi et formation)

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