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Garantie pour la jeunesse: Bruxelles mise gros

Des moyens importants vont être débloqués pour la «Garantie pour la jeunesse» à Bruxelles. Un pari risqué?

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Des moyens importants vont être débloqués pour la «Garantie pour la jeunesse» à Bruxelles. Un pari risqué?

Un peu plus de 28 millions d’euros. C’est ce que devraient consacrer les différentes instances bruxelloises (Région de Bruxelles-Capitale, Cocof, etc.) à la mise en place de la fameuse Garantie pour la jeunesse dans la capitale. Franchise «Made in Brussels» née d’une initiative européenne (voir encadré), la Garantie pour la jeunesse a un objectif clair: lutter contre le chômage des jeunes de moins de 25 ans et améliorer leurs compétences. Au programme: 3.000 formations, 2.000 stages et 1.000 emplois. Six mille offres au total. Ce chiffre ne tombe pas du ciel. Douze mille jeunes s’inscrivent en moyenne chaque année chez Actiris. Six mille trouveraient un emploi dans les six mois et n’auraient pas besoin d’aide. Six mille autres seraient plus en difficulté. C’est à eux que s’adresse la Garantie pour la jeunesse.

Lors d’une conférence de presse tenue au cabinet de Didier Gosuin (FDF), ministre de l’Emploi et de la Formation, les différents organismes impliqués dans le projet – Actiris, Bruxelles Formation et le VDAB – ont détaillé ce qu’ils mettront en place. Sans oublier, bien sûr, d’insister sur la fameuse concertation ayant permis d’accoucher du projet.

Un projet européen

Le 22 avril 2013, le Conseil des ministres de l’Union européenne adoptait une «recommandation sur l’établissement d’une garantie pour la jeunesse», entérinée par le Conseil européen fin juin 2013. Elle se basait sur une proposition faite par la Commission européenne en décembre 2012.

Une batterie de mesures

À partir du 1er janvier 2015, les 136 conseillers d’Actiris recevront uniquement le public jeune trois après-midi par semaine. Dans un premier temps, un accompagnement «traditionnel» leur sera proposé (CV, lettres de motivation, tests de langues, tests de connaissances de base). Au bout de quatre à six mois, ceux qui n’ont pas trouvé de travail seront soit orientés vers les partenaires pour des accompagnements plus spécifiques (ex.: alphabétisation…), soit estampillés «Garantie pour la jeunesse» et prêts à se voir proposer un stage, une offre d’emploi ou une formation.

Pour les prendre en charge, un service Youth Guarantee a été créé au sein d’Actiris en octobre 2013. Depuis lors, il a basé son travail principalement sur l’offre de stages de transition, lancés par l’ancienne ministre fédérale de l’Emploi, Monica De Coninck (sp.a). De l’aveu même de Grégor Chapelle, directeur général d’Actiris, le résultat semble pour l’heure quelque peu décevant. À la fin octobre, 714 stages avaient été attribués. «Les critères que les jeunes doivent remplir pour accéder aux stages sont trop restrictifs», a-t-il argumenté lors de la conférence de presse. Avant d’annoncer que la Région bruxelloise allait tenter de les assouplir. Elle peut effectivement le faire: les compétences réglementaires en matière d’accès au stage de transition sont passées aux Régions à la suite de la sixième réforme de l’État. Détail important: le service s’occupera aussi de l’offre d’emplois. Un défi. 1.000 emplois, c’est beaucoup. Trop? «125 postes vont être créés dans le cadre des conventions premier emploi, enchaîne Grégor Chapelle. Nous en avions déjà 96. Pour le reste, il y a aussi les ACS, les PTP et les offres d’emplois d’Actiris.»

Le service Youth Guarantee devrait être renforcé à partir de janvier 2015 puisque ses effectifs passeront de 13 job coachs à 23. Malgré cela, il semble clair qu’il ne pourra pas assurer aux jeunes un emploi ou un stage dès aujourd’hui. Les jeunes ne devraient donc pas être envoyés d’office vers lui. Dans un premier temps, ce sera probablement le service qui ira piocher dans la «réserve» des jeunes estampillés «Youth Guarantee». Avant de tourner à plein régime et de garantir quelque chose à chaque jeune? C’est le pari qui est fait.

La formation ne devrait pas être en reste non plus. Mille formations devront être créées par Bruxelles Formation. Actiris devrait également lui commander des formations ainsi qu’au VDAB Brussel pour un montant de 3,5 millions d’euros. Enfin, l’offre de formation sera également développée par Bruxelles Formation en partenariat avec l’enseignement de promotion sociale, les organismes d’ISP, etc.

Demi-vérité?

Bruxelles a donc décidé de mettre 28 millions sur la table. Une somme importante… et risquée? Lors de la conférence de presse, Grégor Chapelle n’a en tout cas pas manqué de se plaindre de la lenteur des financements européens à destination du projet. Une affirmation qui sonne comme une demi-vérité. Certes, les deniers en provenance de l’UE ne sont toujours pas sur la table. Mais la Belgique et Bruxelles ne semblent pas exemptes de tout reproche dans cette affaire.

Pourquoi? La Youth Guarantee, comme on l’appelle au niveau européen, s’appuie notamment sur un soutien financier provenant de la Youth Employment Initiative. Cette initiative européenne concentre son aide sur les régions enregistrant un taux de chômage des jeunes supérieur à 25% et sur les jeunes NEET (Not in Employment, Education or Training). Elle est dotée d’un financement «à trois têtes». Les fonds proviennent en premier lieu d’une ligne budgétaire spécifique consacrée à l’emploi des jeunes, de trois milliards d’euros. De cette enveloppe, la Belgique a obtenu 39,64 millions à répartir sur 2014 et 2015. Bruxelles obtiendra +/- 13 millions d’euros. Deuxièmement, une contribution au moins égale vient des allocations nationales du Fonds social européen (FSE). Pour la Belgique, il s’agira donc également de 39,64 millions d’euros et de 13 millions pour Bruxelles. Enfin, d’après les règles du FSE, le financement nécessite un cofinancement des financeurs publics nationaux (États, conseils régionaux…). Dans le cadre de la Youth Guarantee, le montant en provenance des Régions et Communautés en Belgique s’élèvera donc aussi à 39,64 millions d’euros… et à +/- 13 millions pour Bruxelles.

Au total, Bruxelles devrait donc bénéficier de 39 millions d’euros sur 2014 et 2015 pour financer la Garantie pour la jeunesse par le biais des moyens de la Youth Employment Initiative. Les 28 millions d’euros annoncés en conférence de presse viennent en quelque sorte «couvrir» les 13 millions que les financeurs publics doivent mettre sur la table dans le cadre du cofinancement FSE. 

Les griefs de Grégor Chapelle se portent notamment sur l’autre partie du financement FSE. Celui provenant des allocations nationales du FSE. Un financement toujours en attente. Mais il semble y avoir une raison. Pour bénéficier des sous du FSE, les États et Régions doivent notamment rendre des «programmes opérationnels» (PO) à la Commission européenne. Des PO qui précisent les mesures et actions qui pourront être financées. Or, il semblerait que les PO couvrant Bruxelles – et les autres –  aient été remis assez tard, après mai 2014. En cause: la complexité belge. Avant de rendre les PO, il a en effet fallu que les Régions et Communautés se mettent d’accord sur une clef de répartition des moyens FSE disponibles. Or, «les accords belgo-belges au niveau des clés de répartition ont pris du temps et retardé l’introduction des PO», nous dit-on du côté de l’Agence Fonds social européen.

Autre point: afin d’éviter de trop grands délais pour les financements FSE de la Youth Employment Initiative, la Commission européenne avait prévu que les États puissent accélérer la procédure traditionnelle en rendant des programmes opérationnels spécifiques spécialement dévolus à celle-ci. Il s’agissait en quelque sorte d’«isoler» les financements de la «YEI». Et de ne pas les inclure dans les PO «généraux» remis à la Commission. Car rappelons-le: les programmes opérationnels FSE contiennent bien d’autres mesures que celles relatives à la Youth Employment Initiative. La France et l’Italie ont procédé de la sorte. Et ont vu leurs programmes adoptés en juin et juillet. Bruxelles, pas plus que les autres entités belges, ne s’est pas servi de cette possibilité. Probablement pour les mêmes raisons de complexité institutionnelle évoquées plus haut.

Un risque qui mérite d’être pris

Voilà donc Bruxelles qui cofinance des mesures contenues dans des programmes opérationnels pas encore approuvés. Une fois que ceux-ci l’auront été, ce ne sera pas pour autant fini. Le FSE ne versera pas sa manne financière comme cela. Il faudra que Bruxelles avance les sous afin de financer les mesures avant les contrôles de validation menés par le FSE. Un cas de figure qui vaut également pour la fameuse «ligne budgétaire» spécifique consacrée à l’emploi des jeunes, premier pilier de financement de la Youth Employment Initiative. Ici aussi, il faudra avancer l’argent.

Dans ce contexte, les 28 millions annoncés devraient servir autant à cofinancer qu’à préfinancer. Un risque, certes. Mais qui est à la hauteur du défi de l’emploi des jeunes dans la capitale. Il mérite donc probablement d’être pris.

 

 

Aller plus loin

Alter Échos n°375 du 31.01.2014 : Des jeunes 100% garantis?

Alter Échos n°362 du 14.06.2013 : Chômage des jeunes: l’Europe s’agite

 

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste (emploi et formation)

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