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Regard critique · Justice sociale

Mixité dans le logement social : il y a du boulot !

Si faire de la mixité sociale dans le logement social peut sembler louable, les moyens pour y parvenir peuvent être contestables. C’est ce que révèle une étude duCentre pour l’égalité des chances

16-07-2010 Alter Échos n° 299

Si faire de la mixité sociale dans le logement social peut sembler louable, les moyens pour y parvenir peuvent être contestables. C’est ce que révèle une étude duCentre pour l’égalité des chances1. Une étude qui soulève quelques réactions de la part des politiques.

Au printemps 2008, éclatait l’affaire du Foyer namurois. Cette société de logement social sélectionnait les candidats-locataires sur la base de critèresethnico-culturels. Objectif avoué : favoriser la mixité sociale pour éviter la création de ghettos ethniques. Pour certains, il s’agissait ni plus ni moins dediscrimination. Aussitôt, le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme avait pris langue avec la Société wallonne du logement pour sepencher sur cette problématique. Mais, ailleurs dans le pays, d’autres pratiques de discrimination faites en vertu de la mixité sociale ont pu être observées dans lelogement social. Que faire dès lors, si ce n’est commanditer une étude ? Ce fut fait en 2009. Et les résultats ont été présentés au cours de lamatinée du 29 juin sous l’intitulé « Diversité et discrimination dans le logement social : pour une approche critique de la « mixité sociale » ».

Poncifs d’usage

Bien évidemment, l’étude n’a pu éviter quelques poncifs d’usage :
• il n’y a « pas de définition univoque du concept de mixité sociale »,
• la mixité sociale sert à « favoriser la mobilité sociale et l’égalité des chances ; favoriser la cohésion sociale et lutter contre leracisme et les conflits interethniques ; améliorer le contrôle et la cohabitation ; (…) peut aussi être politiquement instrumentalisée afin de pouvoir discuterde problèmes de société sans devoir s’attaquer à leurs causes sous-jacentes », tels les inégalités dans la société, le replicommunautaire, etc.

Jozef De Witte, directeur du Centre, a tout d’abord observé que si la mixité sociale semble une bonne réponse pour éviter la concentration de publics dans certainsquartiers, elle pose néanmoins question. « Que veut-on mélanger ? Veut-on mélanger des pauvres et des riches dans un même quartier, faire de lamixité intergénérationnelle avec des jeunes et des vieux, ou un mix de différentes cultures ? Et si oui, est-ce que le logement social peut apporter uneréponse ? Veut-on faire de la mixité sociale dans le logement social, améliorer les finances du logement social ou améliorer la sociétéinterculturelle. » Il constate que « la mixité sociale est un concept un peu flou et comporte en soi un risque de discrimination ». Et d’ajouter :« L’enfer est pavé de bonnes intentions. Il y a des risques de dérapages. Au-delà des intentions, il faut mesurer l’application, il peut y avoir desdégâts collatéraux. »

Mixité par le bâti plus efficace ?

L’étude a été réalisée par l’Erasmus Hogeschool Brussel – Ster Stedenbouw en Ruimtelijke Planning. Elle a été menée auprès decinq sociétés de logement social wallonnes, cinq flamandes et trois bruxelloises. D’autres acteurs institutionnels et associatifs ont également étéconsultés. C’est le chercheur Wouters Bervoets qui était chargé de présenter les résultats. L’étude se décline en identification des pratiques demixité dans le logement social dans les trois Régions du pays, que ce soit sur la base du patrimoine ou des mécanismes d’attribution des logements.

Pour les chercheurs, « le meilleur moyen de tendre à la mixité sociale est (…) le patrimoine ». Pour y parvenir, il faut accroître l’offre de logementssociaux pour avoir une diversité plus grande d’habitants. Mais cela n’assure pas pour autant une bonne répartition territoriale de ce type d’habitat, certaines communes plus riches n’envoulant pas sur leur territoire. Par ailleurs, l’augmentation de l’offre de logement social n’empêche pas pour autant la formation de ghettos. D’où la nécessité d’avoir unurbanisme réfléchi (ex. : avec des quotas de logements sociaux pour les gros projets immobiliers privés). Mais là aussi, la vigilance s’impose. Certains pouvoirslocaux décident de ne pas construire de grands logements pour favoriser l’exode de familles immigrées. Autre piste pour favoriser la mixité : diversifier le type de logementslors de la restructuration de quartiers anciens. Ici, c’est du spectre de la gentrification qu’il faut se méfier. Enfin, quatrième piste proposée par les chercheurs :disséminer le logement social dans la ville en réalisant des petits projets, plutôt que de gros blocs. Mais n’y a-t-il pas un risque (ou une volonté) de rendre lesproblèmes moins visibles, sans les résoudre ?

« La seule manière de réaliser aujourd’hui une mixité sociale d’une façon objective passe par le biais de nouveaux projets deconstruction ou de lourdes rénovations. Nous n’allons plus construire des logements identiques en grands nombres les uns à côté des autres comme àl’époque. C’est fini, nous mélangeons maintenant des habitations avec un nombre de chambres différent avec des logements adaptés aux personneshandicapées. C’est la manière la plus simple de réaliser une mixité sociale. » (Interview, SLSP)

« J’ai connaissance d’un projet de logements sociaux dans un quartier calme de la ville où le programme de construction original consistait, pour plus de la moitié,en grands logements de trois, quatre, voire cinq chambres à coucher. Dans la pratique, ça veut donc dire pour des familles d’immigrants. Sous la pression des comitésd’habitants, il y a eu des protestations sérieuses contre ce projet et on a adapté le programme de construction. Aujourd’hui, le projet consiste principalement en de petitslogements pour des personnes plus âgées. » (Interview, groupe de pression)

Qui peut avoir un logement ?

Jouer sur l’attribution de logements sociaux est un autre moyen de favoriser la mixité. Certains acteurs recourent aux « objectifs ». « Cette approcheimplique d’intégrer dans le règlement d’attribution local des objectifs chiffrés visant certaines catégories d’habitants, par le biais d’unrèglement d’attribution local. Un pourcentage donné de revenus plus élevés ou de familles traditionnelles dans un quartier ou complexe sont des exemples tirésde la pratique », notent les chercheurs. Toutefois, le risque est grand que les personnes plus précarisées restent sur le carreau.

Une autre approche consiste à « placer » les
gens. « Dans certains cas, les sociétés de logement social comparent, lors del’attribution, le profil locataire et celui des nouveaux locataires. Pour garantir la stabilité de l’environnement, la société de logement essaie, par exemple,d’éviter qu’une famille nombreuse ne s’installe au beau milieu de personnes âgées, un Palestinien près d’un juif orthodoxe, un pédophilecondamné près d’une école… ou tente d’éviter les concentrations de toxicomanes et de personnes souffrant de problèmes psychologiques dans unmême immeuble. » Comme on peut s’en douter, les chercheurs estiment que « le « placement » est bien plus subjectif, moins transparent et plus difficile àcontrôler. Le risque d’abus et de discrimination est bien présent, surtout lorsque des locataires potentiellement problématiques, les revenus plus faibles ou les candidatslocataires d’origine étrangère se voient systématiquement attribuer les logements de moins bonne qualité. »

Troisième et dernière technique d’attribution, le « refus ». Mais s’agit-il vraiment d’une attribution ? Les chercheurs observent que « les »refus » de candidats locataires sont de plus en plus utilisés pour tenter de tenir les locataires potentiellement problématiques à l’écart du logement social, sur labase d’informations obtenues officiellement ou non auprès d’un service social, de la police locale, par un certificat de bonnes vie et mœurs, etc. Dans d’autres cas,les candidats locataires sont éconduits sur la base d’un rapport établi après une visite à domicile préalable. » Difficile de ne pas y voir unepratique discriminatoire pour les chercheurs.

« Toutes nos propositions pour des critères de priorité supplémentaires visant l’amélioration de la mixité sociale ontété refusées sous prétexte qu’elles étaient discriminatoires. On avait par exemple demandé de pouvoir réattribuer un logement en prioritéà des actifs dès que 80 % des habitants d’un quartier étaient sans emploi. Mais cela a été refusé sous prétexte que c’étaitdiscriminatoire, parce que la législation prévoit l’attribution sur la base des revenus et non pas de l’activité. » (Interview, SLSP)

En guise de recommandations, les chercheurs estiment que la lutte contre la pauvreté doit rester prioritaire. Ils pointent aussi la nécessité de mettre davantage de logementsabordables sur le marché locatif privé, via les agences immobilières sociales notamment. Enfin, il faut, selon eux, développer l’encadrement social et en faire une missionà part entière des sociétés de logement social.

Réactions des politiques

Au cours de cette matinée, les trois ministres régionaux du Logement étaient représentés. Pour Helmer Rooze, conseiller au cabinet de Freya Van den Bossche(SP.a), ministre flamande du Logement, « la mixité sociale n’est pas un objectif, mais un moyen d’arriver à une vie plus agréable dans certains quartiers. Que ce soitvia la participation des habitants, les règlements d’attribution visent la qualité de vie entre autres… » Il admet que le manque de choix ou la volonté d’habiterrapidement un logement social entraîne souvent un déséquilibre dans l’occupation des complexes sociaux. Mais la Flandre ayant prévu la réalisation de quelque 43 000logements pour 2020, il lui sera possible de répondre à la demande.

Pol Zimmer, directeur de cabinet adjoint et responsable de la Cellule Logement au sein du cabinet de Christos Doulkeridis (Écolo), secrétaire d’État bruxellois en charge duLogement, l’étude est très intéressante, parce « qu’elle joue un rôle d’interface entre trois secteurs du logement régionalisés qui ne se parlentplus ». Néanmoins, il pointe certaines lacunes à l’étude. Pour lui, « la question de la mixité sociale ne peut être abordée àtravers le seul secteur du logement social ».

« Donzelot a mis en évidence l’impasse de la mixité sociale vue uniquement à partir d’une offre de logements publics », rappelle-t-il. Pour lui, ondemande beaucoup au logement social, sans s’interroger sur ses capacités à répondre aux demandes qu’on lui formule. Pol Zimmer regrette encore que l’étude évoquepeu la place des usagers dans le logement social : « Il y a des processus de participation. Les usagers doivent être des acteurs, et l’étude ne les positionne pas en tant quetels. » Il insiste d’ailleurs sur le fait que le métier du logement social s’est diversifié et qu’il va au-delà d’une gestion immobilière pure. Quant auxobjectifs bruxellois d’offre de logements pour 2020, ils sont de 15 % de logements publics par commune.

Quant à Bernard Monnier, directeur de cabinet adjoint et responsable de la Cellule Logement, au sein du cabinet de Jean-Marc Nollet (Écolo), ministre wallon du Logement, il constateque « l’étude a montré l’absence de recettes en termes de mixité sociale ». Il remarque qu’en Wallonie, le besoin de mixité sociale est souventavancé dans le cadre de l’équilibre financier des sociétés de logement social. Il observe peu de difficultés en lien avec la mixité culturelle et davantagede difficultés avec l’âge des occupants. Bernard Monnier pointe la sous-occupation de grands logements par des personnes âgées, qui empêchent ainsi des grandesfamilles d’accéder au logement social. De plus, quand dans un quartier majoritairement occupé par des personnes âgées, arrivent des grandes familles, cela n’est pas sansposer problème.

« Un mélange de population sur la base économique est fondamental. Les loyers sont calculés selon les revenus. À cause de l’appauvrissementdes locataires, nous avons moins de rentrées financières et donc moins de moyens pour l’entretien des bâtiments. Donc la mixité sociale a aussi son importance pour leprincipe selon lequel les plus riches paient pour les plus pauvres afin de maintenir un équilibre financier. » (Interview, SLSP)

« Dans ma société, on a cherché à atteindre un mélange intergénérationnel. Mais ça n’a pas fonctionné et on ne le faitplus. Souvent, les personnes âgées ne supportent pas le bruit des enfants. D’ailleurs, les familles sans enfant ne supportent parfois pas non plus des enfants qui jouent dans lequartier. » (Interview, association de locataires)

Pour lui, le débat sur la mixité sociale est à branches multiples. « Avant de dire on va créer autant de milliers de logements supplémentaires, ilfaut travailler sur l’image du logement, la qualité du bâti, du quartier, avec des espaces publics appropriables… Il est en effet difficile de trouver des locataires pour les logementsmoyens situ&eacute
;s dans les ensembles sociaux. Et même si l’on arrivait à y attirer des revenus plus élevés, nombre de personnes dans le parc privé locatif nepourront pas accéder au logement public. » Dès lors, il faut aussi agir sur le parc privé et établir une meilleure adéquation entre les attentes despropriétaires pour un loyer acceptable et des locataires qui n’entreront jamais dans le logement social.

Au boulot

Pour conclure, Édouard Delruelle, directeur adjoint du Centre, constate que « la mixité sociale fait l’objet d’un grand consensus politique », mais qu’il en vatout autrement quand on creuse un peu. Il observe aussi que la mixité joue parfois comme un leurre, qu’il s’agit plutôt de racisme, de repli sur soi… Il prend bonne note de larecommandation implicite de l’étude pour poursuivre le screening en matière de lutte contre les discriminations – car la mixité produit des effets pervers. Quant àla dernière suggestion – de continuer à faire d’autres études –, elle le fait sourire : « Je n’ai jamais connu d’étude qui ne se concluait paspar la nécessité de faire d’autres études. »

1. Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme :
– adresse :
rue Royale, 138 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 212 30 00
– site : www.diversite.be

Baudouin Massart

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