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Regard critique · Justice sociale

Logement

La tour Brunfaut infernale

Insalubre depuis des années, la tour Brunfaut sera enfin rénovée. L’asbl La Rue s’est chargée de faire entendre la voix des habitants à travers différentes actions de cohésion sociale. Un documentaire retraçant leurs conditions de vie avait d’ailleurs été réalisé par les locataires en partenariat avec le Centre vidéo de Bruxelles.

© Margo D'heyere

Insalubre depuis des années, la tour Brunfaut sera enfin rénovée. L’asbl La Rue s’est chargée de faire entendre la voix des habitants à travers différentes actions de cohésion sociale. Un documentaire retraçant leurs conditions de vie avait d’ailleurs été réalisé par les locataires en partenariat avec le Centre vidéo de Bruxelles.

Du haut de ses 16 étages et 97 logements sociaux, le 65 Brunfaut est réputé à Molenbeek pour faire vivre un calvaire à ses résidents depuis maintes années. Pièces étroites, moisissures, odeurs nauséabondes, mauvaise isolation acoustique et thermique, non-conformité des normes incendies. Bref, insalubrité.

La SCRL «le Logement molenbeekois» est en charge des quelque 3.280 logements sociaux de Molenbeek situés dans son parc locatif. Son rôle est notamment de veiller à l’amélioration du parc et au bon entretien des logements. En 2004, elle interpelle l’asbl La Rue «à propos de problèmes de propreté aux abords du 65 qui jouit d’un bel espace poubelle à ciel ouvert à l’arrière du bâtiment, explique Mme Verhaeren, en charge du dossier au sein de l’asbl. La société souhaitait qu’on mène une action de sensibilisation auprès des gens». Dans le cadre d’un contrat de quartier, La Rue menait à l’époque un observatoire d’habitabilité. «Au final, on a découvert que la propreté, c’était un peu la face émergée de l’iceberg», confie Mme Verhaeren. Les cafards confirmeront. «Tant que le projet de rénovation n’était pas annoncé, on venait à Brunfaut en proposant des activités, mais, en gros, on venait avec des pommes alors que ce que les habitants voulaient c’étaient des poires, regrette Mme Verhaeren. Créer de la cohésion sociale n’était pas possible tant qu’il n’y avait pas de changements concrets au niveau de l’habitation.»

Un long processus

S’interrogeant sur le respect des normes incendies dans la tour, La Rue, accompagnée d’une partie des habitants du 65, a interpellé le Logement molenbeekois. Une étude a été lancée, laquelle aurait conclu à une résistance de maximum 30 minutes aux flammes. Ce sont ces résultats accablants qui auraient mis le pied à l’étrier de la société de logement.

En 2009, une étude de faisabilité est réalisée afin de décider si la tour devrait être détruite ou rénovée. Partant d’une rénovation en site occupé, les habitants apprendront finalement en 2014 qu’ils devront quitter l’immeuble qui sera rénové de fond en comble. «Il y a eu une perte de temps incroyable, regrette Mme Verhaeren. Le Logement disait ‘Vous devriez être contents, on va rénover’.»

En septembre 2014, un atelier vidéo est mis en place par La Rue en partenariat avec le Centre vidéo de Bruxelles. Son but était de créer du lien social à travers des réunions hebdomadaires. Certains habitants y participaient également afin d’être tenus au courant de l’avancée du projet. Un documentaire, «65, rue Brunfaut. Ça ira mieux demain», est né de ce travail. Des témoignages interpellants, amusants, parfois les deux à la fois, confrontent le spectateur au défi humain qu’est celui d’habiter au 65. Une locataire explique par exemple être un jour passée à travers le sol de sa chambre alors qu’elle dormait dans son lit avec son mari. Plus tard, elle se fera cambrioler par un homme la tenant par la gorge à la porte de son appartement.

À la suite de la projection du documentaire en avant-première, différents acteurs du projet de rénovation sont intervenus lors d’un débat. De nombreux habitants s’étaient déplacés. «L’appartement, ça fait beaucoup sur la vie», confiait Christelle Davion, ancienne locataire qui a continué à soutenir les habitants malgré son départ. «Je me suis toujours dit que le jour où je partirai, je soutiendrai les gens qui restent ici dans cette tour. C’est pour ça que j’ai voulu participer à ce film, c’est une partie de ma vie bien sûr, mais aussi une manière de soutenir les gens qui sont toujours dans cette tour», poursuivait-elle. «Il est urgent que chacun prenne ses responsabilités face aux promesses qui ont été faites. Nous espérons que ce film aidera les décideurs à réagir», commentait Eric Jadin, résident de l’immeuble depuis seize ans. Certains habitants auraient affirmé que la participation à ces ateliers vidéo fut un soulagement. Ils compteraient «continuer de battre le fer tant qu’il est chaud» aux côtés de La Rue.

© Margo D'heyere
© Margo D’heyere

Problème de communication

Alors que le but initial du projet de cohésion sociale était entre autres «d’améliorer la communication entre les locataires et la société de logement», les concertations auraient été assez rares, laissant les locataires dans le flou.

Selon Mme Verhaeren, «c’est un gage de meilleure réussite pour l’avenir que d’associer les gens et leur expertise au projet. Personne ne peut remplacer le vécu qui pourrait justifier que telle ou telle idée des architectes n’est pas pertinente». Le Logement molenbeekois ne verrait pas cela du même œil. Lors du débat, M. Eylenbosch, président du Logement molenbeekois, avait affirmé qu’il n’y avait «plus de place autour de la table» pour davantage de concertation.

Ça ira mieux demain?

Le plan de relogement impose que la tour soit entièrement vidée pour février 2016. Le Logement molenbeekois aurait proposé aux locataires trois listes de logements sociaux appartenant à leur parc de location. Les locataires devaient visiter les appartements et cocher ceux qui les intéressaient. Problème: parmi ces choix, «la plupart des logements étaient égaux ou pires à ceux dans lesquels les habitants vivent maintenant. Forcément, s’ils partent, ce n’est pas pour retrouver un logement avec les mêmes problèmes que celui qu’ils quittent», explique Mme Verhaeren. La situation aurait été réglée depuis, M. Eylenbosch assurant que les logements seraient rénovés avant l’aménagement.

La problématique du relogement poserait d’autres questions. «Quel pourcentage de locataires reviendra alors que leur vie va se construire ailleurs? Est-ce que les personnes âgées auront le courage de subir un autre déménagement, se demande Claire Verhaeren? Il y a des gens qui savent déjà qu’ils ne reviendront plus et puis d’autres qui disent ‘Je n’ai pas vécu des années ici pour ne pas enfin vivre dans le luxe du 65 Brunfaut’.» Et qu’en sera-t-il des frais de déménagement? «Tous les habitants peuvent bénéficier des aides du Logement molenbeekois, précisait M. Eylenbosch lors du débat. Ceux qui souhaiteront retourner à Brunfaut après les travaux pourront le faire et seront prioritaires sur les listes.»

Quant à l’augmentation du loyer, «actuellement, les gens gardent le même contrat de bail avec un avenant, explique Mme Verhaeren. Il y est normalement mentionné le loyer qu’ils payeraient à l’avenir dans le logement dans lequel ils sont au cas où ils voudraient rester. Jusqu’à la fin du chantier, ils paient le même loyer que celui qu’ils payaient au 65». Selon le Logement molenbeekois, le loyer de base du 65 sera plus élevé des suites des travaux mais cette augmentation serait contrebalancée par des charges de chauffage diminuées. Le nouveau bâtiment sera passif, réduisant de 80% ses dépenses d’énergie.

 

 

En savoir plus

« 65, rue Brunfaut. Ça ira mieux demain » a été sélectionné par le Festival Coupe-Circuit sur les réalités sociales. Le film sera donc diffusé en ligne du 1er au 31 mars sur le site du festival.

La Rue asbl, Claire Verhaeren, 02 410 33 03, cverhaeren@larueasbl.be, www.larueasbl.be

Centre vidéo de Bruxelles asbl , Philippe Cotte , 02 221 10 67, philippe.cotte@cvb-videp.be, www.cvb-videp.be

Margo D'Heygere (st.)

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