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Regard critique · Justice sociale

Carte blanche

«513 enfants en danger sont inscrits sur la liste d’attente pour entrer dans un service résidentiel général»

24-10-2022
Pexels, mar-newhall

Après avoir tenté, en vain depuis de nombreux mois, d’alerter le Cabinet de la Ministre de l’Aide à la Jeunesse et son Administration sur l’urgence des besoins des jeunes confiés au tribunal, les juges de la jeunesse francophones et les magistrats de la section jeunesse du Parquet de Bruxelles tiennent à vous informer avec force, officiellement et d’une seule voix, qu’ils ne sont tout simplement plus à même d’assurer leur mission de protection des enfants en danger qui leur sont confiés en raison du manque structurel de places disponibles pour le tribunal dans les structures résidentielles générales et d’urgence, autant qu’en ce qui concerne les services d’accompagnement intervenant en milieu de vie.  

La réalité de vie des mineurs en danger dont nous avons la responsabilité peut vous être relayée à travers les situations suivantes: 

Anabella, 15 ans, a été placée en urgence à l’hôpital pour être protégée du danger immédiat qu’elle courait dans son milieu de vie. Elle y réside depuis 6 mois, sans motif médical, dans l’attente d’une place disponible dans une structure d’hébergement de l’Aide à la Jeunesse. 

Maurice, 5 ans en 2021, a dû être retiré à sa mère suite à un épisode de décompensation psychotique. L’enfant, traumatisé par cette brusque séparation, a été placé en surnombre dans un centre résidentiel d’urgence qui ne l’a accepté que 24 heures, pour être déplacé dès le lendemain dans un autre service résidentiel d’urgence. Son placement a été remis en question de 20 jours en 20 jours pendant plusieurs mois, sans la moindre perspective de trouver une structure d’hébergement, malgré des demandes ininterrompues. Il a finalement intégré une pouponnière après 5 mois d’attente. Un an plus tard, il atteint l’âge limite de la structure dans laquelle il s’est enfin posé et va devoir être à nouveau déplacé, sans aucune perspective actuellement. 

 Julia et Anna, respectivement 4 et 6 ans, maltraitées en famille, hospitalisées en février 2022 avant d’être placées de vingt jours en vingt jours en Service d’accueil d’urgence, n’ont pu intégrer un lieu d’hébergement qu’en août 2022.  Les deux sœurs ont été séparées à défaut de place dans la même institution, alors que le lien qui les unit est décrit comme essentiel à leur développement. 

Mireille, 16 ans, dont la mère a été inculpée pour avoir porté des coups à son enfant, a intégré un service résidentiel d’urgence à Bruxelles en août 2022. Elle a été déplacée dans un autre service d’accueil d’urgence en dehors de Bruxelles au terme du premier placement qui n’a pu être reconduit. Jusqu’à présent décrite comme une excellente élève, sa scolarité, qui constituait sa seule base sécure, est sérieusement impactée par les changements de lieux de vie précaires successifs qui lui sont imposés dans l’attente de trouver une structure d’hébergement stable. 

Les juges de la jeunesse francophones et les magistrats de la section jeunesse du Parquet de Bruxelles tiennent à vous informer avec force, officiellement et d’une seule voix, qu’ils ne sont tout simplement plus à même d’assurer leur mission de protection des enfants en danger qui leur sont confiés en raison du manque structurel de places disponibles pour le tribunal dans les structures résidentielles générales et d’urgence, autant qu’en ce qui concerne les services d’accompagnement intervenant en milieu de vie.  

Au moment où nous écrivons, de nombreux d’enfants attendent à Bruxelles d’intégrer un service résidentiel d’urgence absolument nécessaire pour les préserver d’un grave danger pour leur intégrité physique et psychique, voire pour leur vie. 513 enfants en danger sont inscrits sur la liste d’attente pour entrer dans un service résidentiel général.  

A défaut de places immédiatement disponibles pour eux dans le secteur de l’Aide à la jeunesse, ces enfants, durement éprouvés par la vie, sont placés à l’hôpital sans motif médical, dans la perspective de passer, lorsqu’une place se libérera, d’une structure d’urgence vers une autre, parfois pendant de nombreux mois, voire d’être remis en famille malgré le danger, à défaut de pouvoir intégrer la structure résidentielle dont ils ont cruellement besoin. La grande majorité d’entre eux est obligée de se contenter de solutions précaires, voire totalement inadéquates, pendant de très nombreux mois, voire des années. Dans certaines catégories d’âge, le délai d’attente pour intégrer un milieu institutionnel est de 3 ans…ce qui ne permet plus de répondre à toute les demandes d’aide, certains enfants devenant même majeurs avant d’avoir pu être protégés. 

A défaut de places immédiatement disponibles pour eux dans le secteur de l’Aide à la jeunesse, ces enfants, durement éprouvés par la vie, sont placés à l’hôpital sans motif médical, dans la perspective de passer, lorsqu’une place se libérera, d’une structure d’urgence vers une autre, parfois pendant de nombreux mois, voire d’être remis en famille malgré le danger, à défaut de pouvoir intégrer la structure résidentielle dont ils ont cruellement besoin.

Nous ne parlons pas ici de jeunes à la croisée des secteurs du Handicap et de la Santé mentale pour lesquels les places disponibles sont tellement rares que l’attente se compte en années. Nous parlons de jeunes relevant exclusivement de l’Aide à la jeunesse, qui ne reçoivent plus la protection qu’ils sont en droit d’attendre dans un délai raisonnable. 

Nous, juges de la jeunesse et magistrats de la section jeunesse du parquet de Bruxelles, soucieux d’apporter aux enfants dont nous avons la responsabilité l’aide dont ils ont besoin, refusons d’être complices de solutions de façade qui contribuent chaque jour à les abîmer. Nous refusons de porter la responsabilité de la maltraitance institutionnelle que ces enfants subissent en raison de solutions bricolées découlant du manque de places mises à leur disposition.  

Nous portons la parole d’Anabella, de Maurice, d’Anna, de Julia, de Mireille et de tous les autres enfants dont nous avons la responsabilité, lesquels ne peuvent entendre qu’ils ne sont plus pris en compte pour des motifs budgétaires ou en raison des difficultés liées aux prix de l’immobilier à Bruxelles, ce qui complique la finalisation de nouveaux projets d’hébergement.  

Parce qu’aucune raison conjoncturelle ni budgétaire ne justifie, dans un pays comme le nôtre, que l’on sacrifie la vie et le bien-être le plus élémentaire des enfants les plus fragilisés, nous en appelons à une vraie prise de responsabilité politique pour que des solutions inventives, rapides et pérennes soient mobilisées afin de leur garantir une protection respectueuse de la temporalité de leurs besoins.  Il en va du respect des principes protectionnels de droit interne comme des obligations découlant de la Convention internationale relative aux droits de l’Enfant. A défaut, notre pays devra assumer le constat d’une faillite du système de protection de l’Enfance en danger. 

*Les prénoms des enfants ont été volontairement modifiés pour préserver leur identité. 

 

Les juges de la jeunesse du Tribunal de première instance francophone de Bruxelles 

Rosario ALONSO PEREZ VILLANUEVA, Julie DEVAUX, Véronique DUMONT, Anouck DUQUESNE WATELET de la VINELLE, Frédérique HOSTIER, Claire LAMBERT, Muriel LEISER, Olivier MALLINUS, Cécile MATHIEU, Michèle MEGANCK, Pierre NEMRY, Oriana SIMONE, Hélène STRANART,  Frédérique VAN HOUCKE.        

Les magistrats francophones de la section jeunesse du Parquet de Bruxelles         

Sabine ALLEGRE, Marie-Hélène BAYE, Julie HELSON, Clothilde HOFFMANN, Clotilde DEJEMEPPE, Valérie PIENS, Michaëla ROEGIERS, Caroline VANDRESSE, Caroline VAN NIEUWLANDT, Pascaline van de PUT, Chloé JACQUES, Géraldine VANDEPUTTE. 

 

En savoir plus

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