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Prostitution: à défaut d’une vision, une concertation

Le mardi 3 février dernier, la prostitution a fait l’objet d’une longue série d’interpellations au parlement bruxellois. Les parlementaires avaient eu vent d’une récente étude de l’Observatoire bruxellois pour la prévention et la sécurité (OBPS) qui s’est attachée à réaliser une véritable photographie de la prostitution à Bruxelles.

La Villa Tinto, à Anvers, une manière de gérer et de contrôler la prostitution. © Flickrcc Amaury Henderick

Le mardi 3 février dernier, la prostitution a fait l’objet d’une longue série d’interpellations au parlement bruxellois. Les parlementaires avaient eu vent d’une récente étude de l’Observatoire bruxellois pour la prévention et la sécurité (OBPS) qui s’est attachée à réaliser une véritable photographie de la prostitution à Bruxelles.

L’un des atouts de l’étude de l’OBPS est de mettre en lumière la dysharmonie des politiques locales en la matière. Sur les cinq communes concernées, alors qu’Ixelles et Saint-Gilles ne font pas mention de la prostitution dans leur déclaration de politique et font preuve d’un certain «attentisme» en la matière, Bruxelles-Ville, Schaerbeek et Saint-Josse, communes les plus concernées, «en parlent» et adoptent des règlements généraux de police. Mais ces mesures, tout comme les politiques de rénovation urbaine de certains quartiers, ont des effets de «déplacements». Déplacements d’un quartier à l’autre, souvent au profit de lieux moins sécurisés et associés à des conditions d’hygiène moins favorables. Déplacements de la prostitution publique vers la prostitution privée ou encore vers plus de clandestinité.

Bien-être, santé et statut social des personnes prostituées, sécurité et tranquillité des riverains, criminalité, proxénétisme et traite des êtres humains… autant de facettes du phénomène qui mériteraient une prise en charge globale et cohérente. L’OBPS, se focalisant sur le niveau bruxellois auquel il se situe, recommande l’organisation d’une concertation régionale entre les autorités locales concernées, «en vue de convenir d’une vision politique partagée du phénomène et d’harmoniser les actions mises en œuvre».

Mardi 3 février, commission des affaires intérieures du parlement bruxellois. Chez les parlementaires, on est encore loin de résoudre l’éternel débat entre abolitionnisme, prohibitionnisme et réglementarisme. Une unanimité se dégage néanmoins sur la nécessité de mettre sur pied une véritable coordination. La prostitution doit être envisagée, au minimum, à l’échelle régionale. Là-dessus, tout le monde est d’accord.

Pour ou contre l’éradication de la prostitution de rue? Pour ou contre une Villa Tinto à Bruxelles? Le ministre-président bruxellois Rudi Vervoort est bien loin lui aussi d’apporter des réponses claires. Il s’engage par contre à organiser, dans les semaines à venir, une vaste concertation, avec pour objectif, «d’aboutir à la fin du semestre». Aboutir à quoi? Dieu seul le sait… Car «comme pour beaucoup d’autres questions, il n’existe pas une réponse simple qui puisse tenir compte de cette complexité et de la diversité locale», soutient-il, précisant tout de même qu’«il ne s’agit pas uniquement d’avoir une approche sécuritaire du problème» et n’excluant pas qu’une Villa Tinto soit «une solution appropriée».

Un nouvel organisme d’intérêt public

Si l’autonomie communale devrait être respectée, notons qu’une série de compétences en matière de prévention et de sécurité viennent d’être transférées au niveau régional dans le cadre de la sixième réforme. Un nouvel organisme d’intérêt public (OIP) va être mis sur pied: l’avant-projet d’ordonnance créant «Bruxelles Prévention & Sécurité» est passé en seconde lecture au gouvernement bruxellois le 12 février dernier. Il devra, entre autres, coordonner la rédaction d’un plan régional de sécurité et octroyer les subsides de prévention aux communes. La concertation «prostitution» proposée par Rudi Vervoort sera pilotée par l’OBPS, tandis que l’OIP sera le pivot de la coordination des zones de police (un règlement général de police commun coordonnera la lutte contre la traite des êtres humains). Une coordination entre la Région et la Cocom sera également mise sur pied.

Et s’il paraît bien difficile de mettre tout le monde au diapason sur une problématique qui divise, «si l’on ne part pas sur des débats philosophiques, mais qu’on reste dans des choses très pragmatiques, ce sera possible», précise Nathanaël Bailly, chercheur à l’OBPS, qui ajoute aussitôt: «La concertation devrait se centrer sur Schaerbeek, Saint-Josse et Bruxelles. J’ai l’impression qu’ils vont évoluer vers quelque chose de progressiste et vers un encadrement, mais ils vont alors devoir assumer un véritable encadrement.»

«S’il y a un problème moral, c’est le côté argent facile non taxé.»

Nathanaël Bailly, de l’Observatoire bruxellois pour la prévention et la sécurité, a mené une étude sur la prostitution en région bruxelloise. Interview.

Alter Échos: Quelles sont les tendances récentes qui caractérisent la prostitution à Bruxelles?

Nathanaël Bailly: Un phénomène récent est l’arrivée, depuis quelques années, des filles qui viennent de Bulgarie ou de Roumanie, deux pays qui viennent d’entrer dans l’Espace Schengen (depuis le 1er janvier, Roumains et Bulgares sont libres de travailler dans l’ensemble de l’Union européenne sans permis de travail, NDLR).

A.É.: Ces filles sont-elles exploitées ou viennent-elles de leur plein gré?

N.B.: C’est complexe. Il y a d’un côté, un gars de la brigade des mœurs de Schaerbeek qui me dit: «Vous savez, toutes les filles de la rue d’Aerschot sont des victimes.» D’un autre côté, il y aurait un phénomène de «tourisme d’un été». Je ne peux pas objectiver, mais il y aurait beaucoup de filles qui se disent étudiantes et qui viendraient ici quelques mois pour se renflouer. Pour moi, s’il y a un problème moral dans la prostitution, ce n’est pas dans la sexualité, mais c’est le côté argent facile, non taxé. Ce sont des personnes pour qui la manne d’argent est énorme comparé au niveau de vie dans leur pays d’origine. C’est avant tout un bras de fer économique autour d’une activité lucrative qui n’est pas régulée, même si elle le devient petit à petit via les plans d’encadrement.

A.É.: Que sait-on de la prostitution privée?

N.B.: Nous avons très peu d’infos sur la prostitution privée. Les seules portes d’entrée sont l’inspection du travail ou les plaintes de voisins. La prostitution privée, ce serait deux tiers de la prostitution à Bruxelles, selon les estimations. Mais politiquement, ce sont des contrats privés qui ne posent pas de problème. Sauf pour l’inspection du travail, car ce sont des revenus non déclarés.

A.É.: Quid d’un statut du travail pour les prostituées?

N.B.: Je pense que le fédéral ne se prononcera pas sur cette question. Avec les nouveaux plans d’encadrement de la prostitution en vitrine, à Saint-Josse et à Schaerbeek, cette activité se régule à l’échelon local, à défaut de l’être à un autre niveau de pouvoir. Dans les faits, on considère que ce sont des bars et que ce sont des serveuses, et donc on peut les taxer comme cela. À Schaerbeek, le plan d’encadrement comprend un volet urbanistique (normes d’hygiène, etc.) et un volet touchant à l’enregistrement de la personne prostituée. Mais je me demande comment ils vont le mettre en œuvre, parce qu’il y a une rotation énorme. Les personnes étrangères devraient obtenir un permis de travail, c’est peu réaliste. Mais il existe aussi des cas de personnes qui travaillent comme prostituées dans une carrée, qui se sont acheté leur appartement en déclarant leur revenu, sans que personne sache que c’étaient des prostituées.

A.É.: Villa Tinto, Eros Center, si l’on met à part les a priori moraux, quelles questions posent ces modèles?

N.B.: La première, c’est: «Qui va gérer le business?» C’est trop compliqué pour une administration. Alors jusqu’où va le partage public privé? Soit il y a une gestion publique du bâtiment, et le reste est privé. Ou alors tout est privé. Deuxièmement, il y a une crainte du regroupement qui vient des personnes prostituées. Car ceux qui vont dans ce genre de lieux sont vraiment des consommateurs décomplexés, tu ne peux plus faire semblant de venir là par hasard. La rue a quelque chose de plus soft pour se créer de nouvelles clientèles. On peut mettre en parallèle la réflexion de Jean-Michel Chaumont, professeur à l’UCL, qui dit que la prostitution doit être vue et décentralisée: pour le bien-être des personnes qui font ce travail, il faut l’humaniser.

 

Aller plus loin

Alter Échos n°334 du 16.03.201: «Anvers: ‘Pas de prostituées sur mon trottoir!’»

Alter Échos n°390 du 14.10.2014: «Saint-Josse: du quartier Nord au quartier Rouge»

En savoir plus

Bailly N., «La prostitution en Région de Bruxelles-Capitale», étude réalisée dans le cadre de la conférence interministérielle bruxelloise social-santé, Observatoire bruxellois pour la prévention et la sécurité, septembre 2014.

Marinette Mormont

Marinette Mormont

Journaliste (social, santé, logement)

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