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Santé

Patients partenaires : Bonjour, Docteur, comment tu vas ?

Dans cette maison médicale, patients et soignants se réunissent en bande organisée, autour d’une idée novatrice: le médecin connaît son métier, mais le patient connaît sa santé. Devenir «patient partenaire», c’est faire descendre votre docteur de son piédestal.

Louise Canu 13-09-2023 Alter Échos n° 512
©FlickrCC/Alex Proimos
©FlickrCC/Alex Proimos

Il a une gueule à la Delon, le côté pédant en moins. Dans sa vie, Joël Bouillon n’a pas eu la reconnaissance qu’il escomptait. Quand il travaillait en tant qu’assistant social, sa cheffe lui a mené la vie dure. «Tu es gros, on dirait que tu vas accoucher, tu sens la frite.» Un harcèlement qui se termine en burn-out, auquel le décès de sa maman et une rupture sentimentale douloureuse n’arrangent rien. «Deux gros chocs», qui le conduisent à s’installer à Liège, avec l’espoir de remonter un peu la pente. Il s’inscrit à la maison médicale La Passerelle, où ses thérapeutes lui conseillent vivement de rejoindre l’association de patients. Et là, bingo: il revêt le statut de «patient partenaire» et troque sa solitude contre un quotidien tout en soin.

À l’origine du «partenariat patient», un constat: le monde médical change, et avec lui l’équilibre traditionnel des relations entre soignés et soignants. Si la médecine n’est plus réservée à une élite, perdure cette bonne vieille idée du «soignant qui connaît la vérité, qui sait ce qu’il faut faire, et duquel le patient est prié de suivre les avis». Un modèle «technocratique» dans lequel ne se reconnaît pas la maison médicale La Passerelle.

À l’origine du «partenariat patient», un constat: le monde médical change, et avec lui l’équilibre traditionnel des relations entre soignés et soignants.

La Passerelle se situe en Outremeuse, l’un des quartiers populaires de Liège. Ses habitants s’accordent à dire que le quartier n’est pas spécialement beau, mais cela n’a pas d’importance. Il est connu pour sa mobilisation sociale et ses valeurs de solidarité. La maison médicale, déterminée à promouvoir un système de soins horizontal, est à l’image du secteur.

Le «partenariat patient» prend racine dans le modèle politique de La Passerelle, basé sur l’autogestion. «L’ensemble de l’équipe, y compris les patients qui sont représentés à l’assemblée générale, prend les décisions et gère de manière collective et non hiérarchique la maison médicale», lit-on sur le site internet. Ces discussions englobent une foule de problématiques, allant du choix de la couleur des bacs à plantes à la gestion des groupes de parole sur la fin de vie des patients. La prise de décision ne risque-t-elle pas d’en être ralentie? «C’est sûr, en dictature, tout va plus vite, rétorque le docteur Olivier Montigny. À voir si c’est réellement satisfaisant pour tout le monde.»

Nouer un «lien thérapeutique»

Avec son étiquette Décathlon qui dépasse de sa polaire, son blue-jean et ses chaussures de randonnée, Olivier Montigny vous met tout de suite à l’aise. Alors qu’il hésitait à embrasser une carrière de pianiste professionnel, il réalise un stage de médecine tropicale au Cameroun. Il faut imaginer un gamin de 23 ans et son maître de stage qui s’occupent, seuls, de 300 patients dans un hôpital. L’expérience marque.

«L’art de diriger consiste à savoir abandonner la baguette pour ne pas gêner l’orchestre», a dit un jour le chef d’orchestre autrichien Herbert von Karajan. En ce sens, Olivier Montigny n’est pas tout à fait passé à côté d’une carrière musicale. Ses consultations sont des morceaux dont il interprète la partition de concert avec les patients. Aux jeunes parents de l’enfant qui pleure, il montre le thermomètre. 38,7°. «Est-ce que vous seriez d’accord pour un sirop antibiotique?» À Jules, 9 ans, il pose la question: «Toi, tu penses qu’il faudrait quelque chose pour que ta langue arrête de piquer?» Enfin, le maestro prend la mesure du tourment parental. «Madame, vous l’avez très bien soigné.»

À votre arrivée, Olivier plante son regard dans le vôtre, et vous demande, tout sourire: «Comment allez-vous?» Il noue un «lien thérapeutique», comme on dit dans le jargon médical, qui se veut inclusif et collaboratif. «Ça marche mieux quand on essaye de trouver des solutions ensemble. Si on propose une solution qui ne convient pas, elle ne sera pas mise en place et ne fonctionnera pas.»

Tenez, un exemple. Isabelle est patiente à La Passerelle. Cela fait déjà un bout de temps qu’elle se plaint de douleurs inexpliquées, mais sa mutuelle fait pression pour qu’elle retourne au travail, après presque deux ans de mi-temps thérapeutique. Elle a vu des spécialistes dans tous les sens, sans parvenir à «trouver de solution miracle». Olivier, lui, se place à l’écoute de sa patiente.

– Isabelle: «Je n’ai pas de demande particulière. C’est juste que ça fait bizarre, ce mi-temps, qui se termine. Voilà, je crois que c’est tout.»

– Olivier: «C’est déjà bien.»

La patiente accepte son retour au travail sans trop broncher, ce qui ne manque pas d’étonner son médecin traitant. «Je pense que ça arrangerait bien la mutuelle. J’aime beaucoup la mutuelle, hein!», précise Olivier. «Cette patiente ne va techniquement pas mieux. Je ne voudrais pas qu’elle soit bêtement la victime du système parce que c’est une bonne poire, ce n’est pas une bonne raison.» Au mur, une photographie en noir et blanc montre des manifestants brandissant une pancarte: «On préfère travailler tous que travailler plus.»

Isabelle est patiente à La Passerelle. Cela fait déjà un bout de temps qu’elle se plaint de douleurs inexpliquées, mais sa mutuelle fait pression pour qu’elle retourne au travail, après presque deux ans de mi-temps thérapeutique.

Le cabinet d’Olivier relève du joyeux bordel, il fonctionne mieux comme ça, depuis le temps. Il a une théorie à ce sujet. «Je ne suis pas sûr que la qualité des soins soit proportionnelle au fait que tu aies un grand cabinet luxueux, avec tes diplômes affichés au mur. Il y a des docteurs comme ça. Avec de beaux sièges en cuir, un grand bureau en chêne et une belle bibliothèque avec plein de livres très compliqués et bien rangés.»

Patients et professionnels ne sont pas séparés par un bureau, comme c’est le cas dans la plupart des cabinets. Celui-ci est positionné contre le mur, permettant ainsi au binôme de s’asseoir côte à côte. Et, fait suffisamment rare pour être souligné, le patient dispose d’une pleine visibilité sur le contenu de l’ordinateur du praticien. «L’ordinateur au milieu, c’est pour que le patient ait accès à son dossier et qu’il puisse participer, réagir. L’idée, c’est d’être le plus transparent possible. Et puis, on ne sait pas tout, en tant que médecin, on apprend aussi beaucoup quand le patient prend un peu les rênes.»

Pas des «patients»

18 heures, les soignants donnent un dernier tour de clef. Quelques patients montent les quatre étages pour se rendre au conseil d’administration de L’Impatient, l’association de patients de La Passerelle. Elle se veut solidaire des patients et de leurs différences sociales et culturelles. Ils corrigent tout de suite: ce ne sont pas des «patients». Ici, on préfère le terme «usagers», qui est un mot plus se situant plus dans l’action.

Certains usagers se fichent royalement du concept de «partenariat patient». «Il y a encore beaucoup de personnes qui arrivent, ont une confiance aveugle et disent: c’est vous le docteur, c’est vous qui savez», explique Olivier Montigny. D’autres ne s’y retrouvent tout simplement pas. Fanny Dubois, secrétaire générale de la Fédération des maisons médicales, observe ces différences d’appréciation d’un très bon œil. «Le modèle du ‘partenariat patient’ est d’abord un cadre théorique, mais les patients l’expérimentent à leur façon et utilisent leurs propres mots. Cela me rassure de savoir que les patients ne se robotisent pas derrière les savoirs froids des soignants!»

Ici, on préfère le terme «usagers», qui est un mot plus se situant plus dans l’action.

Surprise: aucun «pro» n’est présent autour de la table lors de cette réunion du conseil d’administration. Joël Bouillon, membre de L’Impatient, réagit. «J’aimerais bien comprendre pourquoi.» Olivier Montigny non plus ne participe pas aux réunions de l’association de patients. Quand on lui demande pourquoi, la réponse est franche: «Je pense qu’il faut être prudent à ce que l’asbl L’impatient ne devienne pas une deuxième asbl de la maison médicale, et à préserver une certaine indépendance vis-à-vis des soignants.» Une autre explication, peut-être moins noble, pourrait également justifier l’absence des pros. «Il y a aussi le risque qu’ils ne soient pas toujours très impliqués ou très concernés par ce qu’il se passe dans ces rencontres, et c’est un travail à faire.» Même si, comme Olivier l’admet: «Aucun ne dira qu’il est contre la participation des patients, au risque de se faire virer. Mais ce n’est pas toujours évident pour les praticiens d’accepter que les patients aient leur mot à dire.»

Le tandem patient/soignant, une vitrine de la maison médicale «pour faire bien»? C’est un risque dont l’équipe ne se cache pas. Elle espère qu’à l’avenir, «on pourra considérer les patients comme de vrais partenaires». En attendant ce jour, les patients s’organisent ensemble.

Prendre moins de médocs

L’équipe file au café social Le Chal’heureux, créé à l’initiative des patients, à quelques pas de La Passerelle. Au menu de ce soir, riz sauté, poulet frit et thé vert. Les membres comptent bien offrir un espace de partage «aux personnes isolées et précarisées du quartier d’Outremeuse». Quand on sait que 80% de notre santé est déterminée par des facteurs non biologiques, cela vaut le coup pour les bénévoles de connaître «le vécu et les conditions de vie des personnes autour de soi».

Les nombreuses activités organisées par L’Impatient peuvent aussi être le moyen de brouiller les frontières. «Ici, je m’appelle Joël. Au cabinet, c’est M. Bouillon. J’aime bien cette double casquette.»

Parfois, Joël Bouillon se demande s’il ne s’investit pas «un peu trop». N’empêche que, quand il ne participe pas aux activités communautaires ou qu’il n’est pas au cabinet, il écrit. «Comme beaucoup d’entre nous parfois je me suis senti seul, isolé, je peux confirmer qu’être ensemble et partager des expériences, c’est gai!» Le sosie de Delon qui proclame un slam sur une maison médicale d’un quartier populaire de Liège, la situation a le mérite d’être originale. «C’est ça aussi, la santé et la solidarité, nous, patients, pensons qu’être ensemble, c’est pas du toc, c’est une thérapie de choc, pour prendre moins de médocs.»

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