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Regard critique · Justice sociale

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Participation : éviter le piège de l'alibi démocratique

Rendre aux personnes précaires le droit à la parole, à participer à la construction de la société, c’est un beau projet. À condition d’êtreprêt à les écouter.

04-10-2010 Alter Échos n° 302

Rendre aux personnes précaires le droit à la parole, à participer à la construction de la société, c’est un beau projet. Mais est-on entièrementprêt à écouter ce qu’ils ont à nous dire ?

Il vous suffira de piocher au hasard quelques numéros d’Alter Échos pour le constater, la participation est devenue un terme très à la mode. Mêmel’Union européenne, cette lourde machine institutionnelle dont les rouages peuvent paraître bien étranges aux yeux du citoyen lambda, s’y est mise. Chaque année, unerencontre européenne des personnes en situation de pauvreté est organisée en collaboration avec la Commission. Et les fonctionnaires européens n’ont pas non plusoublié les sans-abri (voir Alter Échos nº 295 : « L’UE fait parler les SDF »).

« C’est la personne qui porte la chaussure qui sait le mieux si elle fait mal et où elle fait mal, même si le cordonnier est l’expert », écrit Yves Sintomer,professeur de sciences politiques à l’université de Paris 8. Donner aux citoyens les moyens de débattre, d’exprimer leur avis et de peser dans les décisions n’a pourtantpas toujours été au goût du jour. Le concept de démocratie participative émerge dans la foulée de mai 68. C’est l’époque où l’on se met àdouter de tout, de l’autorité, de Dieu, du progrès, de la science. Aucune institution n’est épargnée par la vague contestataire. « Et tout cela a un impactévident sur la façon dont les décisions sont prises. Le prêtre, le médecin, l’homme politique ne sont plus les détenteurs uniques de la vérité.L’idée que chacun détient un bout de savoir se fait jour », explique Charles Lejeune, secrétaire général de la FCSS (Fédération des centres deservice social)1.

Bienvenue dans l’ère post-moderne. La démocratie participative vient compléter la démocratie représentative. « Au niveau associatif, cela se traduitpar l’idée qu’on ne travaille plus pour les gens, mais avec eux », synthétise Marie-Claude Chainaye, chargée de projet chez Solidarités nouvelles2, uneassociation qui vise la promotion de la citoyenneté active pour tous.

Participation ou participation ?

En commençant ce sujet sur la participation, il m’a été donné d’entendre, presque sans exception, le même commentaire. Grosso modo : « Une interviewsur la participation ? Pourquoi pas. Mais tout dépend de ce que vous entendez par là. Car la participation est un concept dans lequel on met parfois des choses trèsdifférentes. »

Signer une pétition, manifester, s’engager dans un collectif, participer à une formation, au marché de l’emploi, à un groupe de parole, à un groupe d’achatsolidaire, à la gestion d’un jardin collectif, à la vie d’une association, à un processus politique… La participation peut prendre bien des formes, de la plus passive àla plus active. Sans compter que le concept se balade allégrement de la gauche à la droite, des militants post-soixante-huitards aux tenants de l’État social actif à lasauce Tony Blair.

En Belgique, le concept d’État social actif est décrit pour la première fois dans la déclaration de politique gouvernementale de 1999. « L’Étatsocial actif veut suivre une nouvelle approche. (…) Il ne s’agit plus seulement d’assurer les revenus, mais aussi d’augmenter les possibilités de participation sociale», déclare à l’époque le ministre de l’Emploi, Frank Vandenbroucke (SP.A). Dans la foulée, la participation apparaît comme un « devoir » deréciprocité dans l’échange social, décode Abraham Franssen dans un article publié dans La Revue nouvelle3.

À l’occasion du séminaire sur « les alliances de la société civile dans la lutte contre la pauvreté » (voir dans ce numéro « Lancementde l’alliance européenne de lutte contre la pauvreté » ), l’ACW, équivalent flamand du MOC, conférait au concept une dimension toute différente.L’intervention au micro de Kriestel Driessens, professeur de sciences politiques à de l’université d’Anvers, résumait bien le ton général : « Participer,signifie plus que « prendre part à », prendre part à une formation obligatoire par exemple. Participer, c’est avoir son mot à dire. La vraie participation demande qu’il y aitcoproduction et partage du pouvoir décisionnel. »

Un moyen et non une fin

Rendre à chacun le droit à la parole, l’aider à trouver sa place dans la société, personne n’oserait contester le bien-fondé d’un si beau projet.Seulement, il ne suffit pas de consulter le terrain pour construire une politique. « L’objectif est de lutter contre la pauvreté, rappelle avec insistance Charles Lejeune de la FCSS. Laparticipation est un moyen parmi d’autres d’y arriver. Le problème, c’est que certains ont tendance à confondre le moyen avec l’objectif. Participer n’est pas un but en soi et nedoit pas nous égarer du vrai enjeu, réduire les inégalités. » Michel Debruyne, responsable de l’organisation du séminaire de l’ACW, ne dit pas autrechose. « Une vraie participation implique une participation sur le but même. Si le politique a décidé du but à l’avance, alors on est dans larécupération. Le dialogue social ne sert qu’à légitimer une décision prise d’avance. »

Et si les processus participatifs aboutissent à mettre en cause le système, il faut aussi être prêt à l’entendre. « Le processus de participation peutêtre extrêmement déroutant. On exprime de la colère, on ne sait pas vers quoi on va aller, à quoi cela va mener », constate Marie-Claude Chainaye, deSolidarités nouvelles. « Le contexte idéologique ambiant n’est pas vraiment favorable à écouter les revendications vers plus de justice sociale »,déplore pour sa part le secrétaire général de la FCSS. La participation, ajoute-t-il, devient un moyen de faire avaler la pilule amère. « Les gens sontheureux d’être consultés, d’aller à la table des ministres et d’exposer leurs revendications. Cela leur rend une dignité… Et ça les détourne de leurproblème principal : le manque de revenus, de logements, d’emplois. »

Dans le même registre, Michel Debruyne tente un petit parallèle historique. « Le sociologue Herbert Marcuse disait qu’on avait parfois intérêt à laisser lesgens se révolter un peu pour leur faire oublier leurs revendications. Aujourd’hui, on pourrait remplacer le mot révolte par participation. »

La participation au pouvoir

Cette c
ritique acérée ne doit pas nous faire perdre de vue que les exemples de bonnes pratiques sont au moins aussi nombreux que les tentatives, plus ou moins conscientes,d’instrumentalisation. Parmi les bonnes pratiques, citons en vrac, les maisons médicales qui ont intégré les patients dans leur gestion, le système d’épargnesolidaire inspiré des tontines africaines mis en place par le Ciré, les systèmes d’échanges locaux… Impossible de tous les citer !

Chez Solidarités nouvelles, le public, comme on dit dans le jargon associatif, participe à l’assemblée générale. « Chez nous, le public a son mot àdire et on doit s’ajuster en fonction de ses remarques, ses critiques, ses propositions. C’est une façon particulière de travailler, qui implique une remise en cause constante de notrepart, mais c’est aussi un processus très riche et dynamique », explique Marie-Claude Chainaye.

Au Gabs4, organisme d’insertion socioprofessionnelle et d’éducation permanente situé en Basse-Sambre, on fonctionne selon le même type de schéma.« On voulait une AG qui soit représentative des habitants de la région. Les gens ne comprennent pas ce qu’est une asbl, une AG, un conseil d’administration, tout çaleur paraît compliqué, intimidant. On peut faire la même remarque par rapport au monde politique. Notre rôle, c’est d’expliquer aux gens comment les choses fonctionnent, demontrer que c’est à leur portée. J’ai le sentiment qu’il y a vingt-cinq ans, les gens étaient plus impliqués dans la vie associative et militante. Il y avait aussi unsentiment d’appartenance à une classe sociale. Aujourd’hui, c’est plus dur d’amener les gens même à participer à un club sportif. Nous sommes plus individualistes. Je penseque les processus de participation peuvent aider à renouer avec cette dynamique militante et associative », confie avec enthousiasme Claudio Pescarollo, directeur du Gabs.

« La participation est un processus intéressant d’ancrage de la citoyenneté à condition d’être pensé comme une étape d’un processus dedécision, de jouer le jeu jusqu’au bout », plaide Charles Lejeune de la FCSS. Et pour mener la partie à bien, une règle simple à respecter : se donner le temps.« Les politiques travaillent avec des échéances électorales, ils veulent des résultats visibles à moyen terme. Mais le processus de participation peutchevaucher plusieurs mandats. Construire la participation prend du temps et il faut l’accepter », souligne Marie-Claude Chainaye.

1. FCSS :
– adresse : rue Gheude, 49 à 1070 Bruxelles 
– courriel : info@fcss.be
– tél. : 02 223 37 74
– site : www.fcss.be
2. Solidarités nouvelles :
– adresse : rue Léopold, 36 à 6000 Charleroi
– tél. : 071 30 36 77
– site : www.solidaritesnouvelles.be
3. « Le sujet au cœur de la nouvelle question sociale », par Abraham Franssen, in La Revue nouvelle, nº 12, décembre 2003.
4. Gabs :
– adresse : rue des Glaces Nationales, 142-144 à 5060 Auvelais
– tél. : 071 74 04 84
– courriel : formagabs@gabs.be
– site : www.gabs.be

Sandrine Warsztacki

Sandrine Warsztacki

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