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Regard critique · Justice sociale

Emploi/formation

Des barreaux aux bureaux

Pour se réinsérer dans l’échiquier professionnel, les détenu(e)s et ex-détenu(e)s avancent chaque pion avec l’espoir d’une seconde chance. En Belgique, où le taux de récidive atteint 60 %, des initiatives comme l’asbl Après épaulent la difficile réinsertion après la détention.

Léa Dornier 11-12-2023 Alter Échos n° 514
(c) Flickrcc Joshua Davis

«J’ai regardé la Casa de Papel, j’ai trouvé ça chouette. Mais c’est du cinéma. Dans la réalité, tu pourris en prison. J’y ai passé 27 ans, je me suis évadé cinq fois avec une arme à feu.» Au premier abord, Serge Thiry ne laisse rien paraître de cette réalité. Avec son épaisse moustache et son timbre suave, il dégage une forme de douceur et d’élégance bien singulière. Il est sorti de prison à 50 ans, aujourd’hui, il approche des 70 et il a créé l’asbl Extra-Muros pour sensibiliser aux risques de la délinquance. Qu’est-ce qui a provoqué ce retournement de situation? Dans sa cellule, après moult années de détention, on lui a mis une guitare entre les mains et il a eu un déclic. Il a compris qu’il pouvait être autre chose qu’un voyou. Il a obtenu une libération anticipée pour bon comportement. «J’ai consacré la même énergie pour m’insérer dans la société que celle que j’ai déployée pour m’évader.»

À sa sortie, Serge Thiry doit respecter certaines conditions, dont celle de trouver du boulot. Les agences d’intérim lui demandent toujours l’extrait de son casier judiciaire (anciennement nommé «certificat de bonne vie et mœurs»). Il ne se prend que des portes. Pourtant, «sa situation judiciaire fait partie de sa vie privée», souligne Maxime Closset, intervenant psychosocial à l’asbl Après, œuvrant à la réinsertion professionnelle de détenu(e)s ou ex-détenu(e)s bruxellois. La loi stipule qu’il n’y a qu’un certain nombre de professions réglementées pour lesquelles l’extrait de casier judiciaire est obligatoire. «Quand un employeur le réclame pour une profession non réglementée, juridiquement, il n’est pas en porte-à-faux, car tout citoyen a le droit d’en faire ce qu’il veut. Mais on peut se poser des questions d’ordre moral.»

À sa sortie, Serge Thiry doit respecter certaines conditions, dont celle de trouver du boulot. Les agences d’intérim lui demandent toujours l’extrait de son casier judiciaire. Il ne se prend que des portes.

Après avoir essuyé tous ces refus, Serge Thiry, tente sa chance avec une autre approche: la sincérité. Il franchit le seuil d’une énième boîte d’intérim et déballe ce qu’il a sur le cœur. «Madame, vous allez me demander mes papiers et je ne vous les donnerai pas. Je sors de prison, la justice estime que j’ai payé ma dette et que j’ai ma place dans la société, mais personne ne me laisse une chance. Si la société n’est pas prête à recevoir les gens comme moi, pourquoi me libérer alors?» Son interlocutrice lui tend la main. Il est embauché comme plongeur dans un restaurant de luxe et y travaillera toute sa fin de carrière. «J’ai beaucoup aimé, il ne faut pas faire la fine bouche.»

Première étape: la formation

Vingt ans plus tard, la demande excessive de casier judiciaire persiste. À cela s’ajoute une surqualification du monde du travail. «Même pour le nettoyage, maintenant, il faut une formation», atteste Maxime Closset. En sortant de prison, certains ex-détenu(e)s aimeraient travailler rapidement, pour avoir une source de revenus. Ils/elles vont «essayer de trouver du taf avec ou sans nous, et finalement revenir tout penauds en comprenant qu’il faut se qualifier d’abord». L’asbl Après épaule les justiciables au cours d’un long travail d’orientation pour trouver le métier qui leur plaît vraiment.

Pour celles et ceux encore derrière les barreaux, se tourner vers une formation est plus facile à faire valoir auprès du TAP (Tribunal d’application des peines) comme projet de réinsertion afin d’obtenir une libération conditionnelle ou un bracelet électronique, pour lesquels la procédure dure entre quatre et sept mois. «C’est un enfer de faire correspondre le début de la procédure avec des dates d’audience fixées trois semaines à l’avance et des dates d’entrée en formation qui ont parfois lieu qu’une fois par an… Il y a tout ce discours hypocrite et contradictoire de la part de la justice», continue Maxime Closset. Le TAP est tout de même devenu plus flexible sur son calendrier au fil des années. A contrario, depuis septembre 2022, la loi relative au statut juridique externe (LSJE) entre progressivement en vigueur et durcit les conditions d’obtention d’une libération anticipée pour les peines de moins de 3 ans. Elle n’est pas rétroactive et ne concerne que les nouvelles condamnations; ses effets sont encore peu visibles.

La réinsertion est un processus aux contours flous et qui fait souvent marche arrière. En Belgique, le taux de récidive est de 60%. Plus d’un(e) ex-détenu(e) sur deux retourne derrière les barreaux. Généralement pas pour avoir commis un nouveau délit, mais plutôt pour avoir bafoué les règles du bracelet électronique ou de la libération conditionnelle. Il faut jongler avec des contraintes comme se rendre à de nombreux rendez-vous, avertir lors d’un changement d’adresse et ne pas quitter le territoire. «Même si votre grand-mère décède, que l’enterrement est au Maroc et que ça vous paraît impensable de le louper», comme l’a expérimenté un bénéficiaire de l’asbl Après. Vous vous étiez rapproché d’une réinsertion effective, vous aviez trouvé un emploi, mais c’est retour à la case prison.

Cultiver la résilience pour prévenir la récidive

Comment favoriser l’intégration sur le long terme? Surtout, la personne doit être proactive, autant dans sa vie privée qu’au sein de son réseau d’intervenants qui l’accompagnent. «La prison est un des systèmes les plus désautonomisant du monde», déplore Maxime Closset. Ce n’est pas Serge Thiry qui dira le contraire. «Tu ne fais rien de ta propre initiative, c’est insidieux, on ne s’en rend pas compte. Quand j’ai été libéré, je suis allé boire un café et j’ai demandé la permission au serveur pour aller aux toilettes.»

La réinsertion est un processus aux contours flous et qui fait souvent marche arrière. En Belgique, le taux de récidive est de 60%. Plus d’un(e) ex-détenu(e) sur deux retourne derrière les barreaux.

Pour l’ancien taulard, les prisons sont «des mouroirs», alors qu’elles devraient être «des tremplins pour rebondir». Il est catégorique: «La prison ne m’a rien apporté si ce n’est de la haine et de la révolte.» Pourtant, il fait preuve de beaucoup de résilience et veut montrer qu’on peut se relever de tout. Aux détenus qu’il rencontre, dans le cadre de son asbl, il leur dit qu’«il y a moyen de s’en sortir un jour, mais il y a un choix à faire». Maxime Closset partage cet optimisme. Avoir un passé judiciaire est un handicap supplémentaire sur un marché du travail déjà «hardcore et discriminant». Ce boulet au pied peut être contrebalancé par une formation et en étant bien préparé aux entretiens d’embauche. L’asbl Après est là pour ça.

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