Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Le hip-hop, vecteur d’engagement

L’histoire de Lézarts urbains, c’est un peu l’histoire du hip-hop… et d’une certaine jeunesse.

02-03-2012 Alter Échos n° 333

Lézarts urbains1 promeut les cultures urbaines. Au premier rang desquelles figure le hip-hop. Alain Lapiower raconte l’histoire de son association et, à travers elle, l’histoire complexe de ce mouvement artistique. Une autre façon de parler des jeunes des quartiers populaires.

Alter Echos : Pouvez-vous nous retracer l’historique de Lézarts urbains ?

Alain Lapiower : Lezarts urbains est issue d’une association relativement ancienne, fondée en 1977 par des militants et ex-soixante-huitards : la Fondation Jacques Gueux. L’association travaillait sur la culture urbaine en milieu ouvrier. A la fin des années ’80, les cultures ouvrières et rurales tombaient en désuétude. Dans le même temps, il y avait tout un milieu social en ébullition, lié notamment à l’immigration, dans un contexte de crise. Il y avait toute cette jeunesse de deuxième ou troisième génération qui s’est mise à ruer dans les brancards. Le contexte était aux tensions généralisées. C’était l’époque des émeutes en France, puis en Belgique. Des évènements fondateurs qui, par ailleurs, ont changé le travail social. C’est dans ce contexte que les premiers évènements organisés par Lézarts urbains ont eu lieu. L’association, sous sa forme actuelle, a un peu plus de 10 ans. Comme le nom l’indique, notre travail est centré sur les cultures urbaines.

AE : Quelles sont les activités de Lézarts urbains ?

AL : Nous faisons de la diffusion artistique. De l’accompagnement ou de l’aide à la structuration de projets artistiques. Nous proposons aussi du coaching de scène. Enfin, nous diffusons de l’information. Nous avons un centre de documentation. Il est aussi possible de faire appel à nous pour des formations ou animations, à partir des cultures urbaines.

AE : Comment définissez-vous les cultures urbaines ?

AL : Il s’agit de cultures qui ont émergé il y a une trentaine d’années dans les quartiers de relégation et dont la culture hip-hop est la plus emblématique. Une culture née à la fin des années septante aux Etats-Unis avec l’émergence de disciplines qui n’étaient pas forcément liées entre elles. Il y avait le graffiti, le break dance, le rap, les DJ. Des associations se sont fondées pour fédérer cette culture hip-hop de façon plus formelle. Les années ’80 ont vu émerger ce véritable mouvement culturel, très fort, avec des artistes, des clans, qui s’exprimaient et tenaient le haut du pavé. Plusieurs générations ont été marquées par ce mouvement et cette esthétique. Mais il n’y a pas que le hip-hop. D’une certaine manière, le reggae est aussi une culture urbaine. Il y a une inscription dans la modernité, un ancrage populaire et un propos social. Mais attention, il faut préciser que le terme « culture urbaine » est un concept récent, inventé par les pouvoirs publics. Tout le monde l’a récupéré.

AE : Le propos social est-il essentiel à la définition de ce que vous appelez une « culture urbaine » ?

AL : Tout mouvement culturel possède une série de traits qui lui sont propres et qui ne correspondent jamais uniquement à une motivation sociale. Il y a toujours, et peut-être avant tout, une esthétique. C’est ce qui va différencier de façon formelle les goûts des uns et des autres. Certains ne sont peut-être attirés que par l’aspect formel, mais il ne faut pas oublier la réalité sociale qui l’a vu naître. Les cultures urbaines ont émergé dans des quartiers de relégation, où l’on rassemble artificiellement la misère. Il s’agit de mouvements nourris par des populations souvent déracinées, sans travail, déplacées.

Le slam : un cas à part

L’amour, c’est comme un voyage en train disait Grand corps malade. C’est alors que le slam devint « tendance » et grand public.

Le slam est un art oratoire. Quelques poèmes parlés, parfois sur de la musique. Cette discipline naquit aux Etats-Unis dans les années ’80. « Le slam a ses racines dans le rock », nous dit Alain Lapiower. Des textes clamés par des poètes rock. « Le slam est issu d’une tradition de lectures, contre l’assoupissement et l’élitisation des cafés littéraires », nous explique le directeur de Lézarts urbains, qui a personnellement rencontré Marc Smith, l’un des initiateurs du mouvement.

Dans le même temps, le désir d’écriture se faisait toujours plus puissant dans les milieux hip-hop. « Les rappeurs se sont présentés dans les cafés slams », nous narre Alain Lapiower. Et, pourrait-on dire, ils ont tout déchiré. « Ils se sont vite avérés, à l’époque, les personnalités les plus vivantes et vivaces », précise-t-il. C’est ainsi que le slam est peu à peu devenu une composante des cultures urbaines. En France, puis en Belgique, cet art de jongler avec les mots a été diffusé par des rappeurs.

La magie opère vite. Beaucoup de « gens bien », qui n’aimaient pas vraiment le rap, ont jeté leur dévolu sur le slam. C’est ce que raconte le directeur de Lézarts urbains : « Il y a eu un intérêt fort pour le slam de la part de milieux scolaires, de profs de français, de cercles bien-pensants. Un intérêt dérangeant sur le fond, car ça faisait tout à coup une sorte de classification à caractère social entre les cultures urbaines qui pouvaient entrer au salon et celles qui ne le pouvaient pas. Nous avons donc pris nos distances avec le slam. »

Quand la ministre de la Culture a voulu organiser un concours de slam et « surfer sur la vague », Lézarts urbain lui a rappelé que c’est bien le rap qui a généré ce nouveau champ d’écriture. Alors naquit le « prix des paroles urbaines » qui consacre les différents styles d’écriture urbaine.

AE : Quel a été le rôle de Lézarts urbains dans le développement de ces cultures ?

Le hip-hop s’est d’abord introduit par les médias français. Toute une jeunesse s’est reconnue dans cette culture de la jeunesse noire du Bronx. A Bruxelles, à Liège et, plus tard, à Charleroi. Il y avait une sensibilité culturelle dans ce milieu. Mais pas de possibilité de cristallisation de cette culture que personne ne voyait et qu’on ne considérait pas vraiment comme une culture. Au contraire, les premiers articles sur le sujet dans les médias belges exprimaient un mépris profond pour le hip-hop. A l’époque, il n’y avait pas de scène. On voyait des messages sur les murs. Les gens pensaient que c’était de l’arabe.
La première chose qu’il fallait faire : prendre conscience de la mesure de ce mouvement. C’est comme ça que l’association s’est développée. L’ambition était tout d’abord de répondre à une série de besoins criants. Le manque de reconnaissance. Le manque de possibilités matérielles d’exister. Il fallait donc trouver des scènes, aider les projets artistiques, informer le public. L’objet de l’association était simplement de répondre à l’urgence, à la pression de la base. Nos missions se sont définies par la force des choses. Il fallait au minimum deux festivals par an, de danse et de rap, des expositions etc. Ces artistes voulaient rentrer en pleine lumière. Ils ne voulaient pas rester « underground ». Tous ces artistes ont un lien fort avec la rue, mais ils ne veulent pas y rester.

AE : Le secteur « jeunesse », les maisons de jeunes (MJ) notamment, ont joué un rôle important dans cette émergence…

Le secteur associatif des MJ a été le premier acteur à soutenir ce mouvement. Nous avons toujours eu une relation privilégiée avec les Maisons de jeunes et leurs fédérations. J’ai monté les premiers festivals avec eux. Les premiers groupes connus, comme Starflam, se sont servi des MJ pour exister.

AE : Vous vous êtes ensuite éloignés du monde des MJ ?

Nous n’avons jamais voulu appartenir au secteur jeunesse. Nous étions aidés par l’éducation permanente. On s’est vite rendu compte que les jeunes n’allaient pas le rester éternellement. Il y a toujours une composante jeunesse dans nos activités, mais nous aimons aussi travailler avec de jeunes adultes qui ont des ambitions autres. Très vite, nos objectifs ont changé. Nous souhaitions donner les moyens à cette mouvance de devenir adulte et d’être reconnue comme un mouvement artistique à part entière. Avec sa richesse et sa complexité, comme les autres mouvements. Quand nous avons compris ça, les MJ n’étaient plus le partenaire principal. L’ambition des artistes était d’être reconnus comme artistes et plus seulement comme « groupes de MJ ».  L’enjeu concernait les arts de la scène, les arts plastiques. Nous nous sommes tournés vers le secteur culturel. Même si les MJ ne sont plus nos seuls partenaires, nous gardons avec elles un lien important. Chaque année, lors de notre festival de danse, il y a un plateau réservé aux MJ.

AE : Ce tournant a été plutôt positif pour vous…

AL : Il y a quatre ans, nous avons failli disparaître. Nous sommes entrés en négociation avec le ministère de la Culture. Soudainement, il y a eu un basculement, tout a changé. La ministre nous a conventionné et a doublé notre subside. Elle a même créé un nouveau département nommé « cultures urbaines » où d’autres associations ont été reconnues. Il y a eu un changement complet de la sphère institutionnelle, alors qu’avant, on nous regardait avec condescendance. Lézarts urbains est désormais un partenaire privilégié du Conseil de la musique. Nous sommes consultés pour les grands concours musicaux de la Communauté française etc.

AE : Toutes les craintes face au hip-hop seraient donc tombées ?

AL : Il reste malgré tout une grande méfiance. Nous avons deux fois plus de difficultés que les autres opérateurs pour proposer nos artistes. Le hip-hop belge ne passe jamais sur la RTBF. Les scènes manquent. Seul le Botanique nous accepte.

AE : Quelles sont les raisons de ces résistances ?

AL : A mon avis, elles sont essentiellement sociales. On ne pardonne pas au rap les choses pour lesquelles on a toujours eu beaucoup de tendresse dans les autres courants culturels. Les insultes, dans le rock, ça passe. Tout le monde trouve les Sex pistols si « mignons ». Mais quand c’est Booba qui s’exprime, alors ça ne passe pas. On ne leur pardonne pas, car ils sont presque tous issus de l’immigration, car on considère « qu’ils ne savent pas se tenir » et surtout « qu’ils ne parlent pas des bonnes choses ». J’écoute ce que disent les gens sur le rap, c’est sidérant. On leur reproche de parler tout le temps de la « société ». Mais justement, plus personne n’en parle. C’est le seul courant où il y a encore du contenu.

AE : Le regard porté sur le hip-hop a pourtant fondamentalement évolué. Certains artistes ont pignon sur rue, la musique dépasse les clivages sociaux…

AL : Il y a en effet une dispersion de la culture hip-hop diffusée dans des sphères géographiques et sociales différentes qui a infusé, en partie, dans la classe moyenne. Dans le même temps, de nouvelles formes sont apparues. Le graffiti est remplacé par ce que l’on appelle le « street art », qui n’a plus rien à voir avec les lettrages des débuts. Et ça continue à évoluer comme on le voit avec Bonom [NDLR célèbre artiste bruxellois de street art dont les photographies des oeuvres sont parfois exposées]. Mais même sous cette forme, cela reste foncièrement engagé socialement. Certains deviennent simplement artistes, avec des tournées, des disques, de la promotion. Et des lieux institutionnels, comme les théâtres ou centres culturels, se sont ouverts. Mais il y a toujours un lien avec l’arrière-fond socioculturel. Les textes et spectacles restent nourris des mêmes mobiles. Ils mentionnent souvent la misère, les questions de société, toujours très présentes dans le rap. Un style qui reste toujours très implanté dans les milieux populaires.

AE : Outre la promotion d’artistes, il vous arrive de faire des animations, dans des écoles ou des MJ ?

AL : C’est le volet sociopédagogique de notre travail. Nous utilisons les cultures urbaines comme outil éducatif. Nous avons une « écurie » d’animateurs artistes. Ils ont cette vocation d’utiliser une des disciplines des cultures urbaines comme outil. On nous sollicite pour animer des ateliers. Dans les quartiers populaires, il y a une sensibilité positive pour les cultures urbaines. Presque tous écoutent du rap. Ils savent tout de suite rapper, et ça permet d’aborder n’importe quel sujet. Le rap permet d’apprendre à écrire, à structurer sa pensée, à avoir des débats politiques et sociaux. C’est grâce à l’existence du rap que, dans un quartier populaire, quand on a une feuille et un bic, les jeunes ne vont pas écrire sur le ciel bleu et les fleurs. Ils vont écrire sur leur quartier et leurs difficultés. C’est un apport du rap. C’est un outil qui libère la parole.

AE : Le hip-hop est-il porteur d’engagement pour les jeunes ?

AL : Quand on voit des jeunes des classes moyennes qui écoutent du rap, il faut se demander ce qu’ils y cherchent. Et ce qu’ils y cherchent, c’est justement cet engagement. Dans la révolte de jeunes issus de l’immigration, ils trouvent quelque chose, même s’ils ne sont pas eux-mêmes issus de l’immigration. On trouve parmi eux des enfants de soixante-huitards ou des jeunes en rupture avec leur milieu. Ce sont d’ailleurs ceux qui sont les plus radicaux. Il y a une attirance pour ce courant, car c’est ce courant qui est dépositaire de l’engagement aujourd’hui.

1. Lézarts urbains :
– adresse : rue de la Victoire, 102 à 1060 Bruxelles
– tél. : 02 538 15 12
– site : http://www.lezarts-urbains.be

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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