Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Santé

Salles de consommation: Bruxelles dit peut-être, le fédéral dit non

Le dix-sept octobre dernier, la première salle de consommation à moindre risque (SCMR) destinée aux usagers de drogues par injection ouvrait rue Ambroise-Paré, dans le quartier de la gare du Nord à Paris. En Belgique, la Région bruxelloise dit peut-être. Le fédéral dit non.

03-11-2016
© Billy Miquel

Le dix-sept octobre dernier, la France a franchit le pas. La première salle de consommation à moindre risque (SCMR) destinée aux usagers de drogues par injection a ouvert rue Ambroise-Paré, dans le quartier de la gare du Nord à Paris, où se concentrent une multitude d’usagers qui consomment dans l’espace public. L’espace est géré par l’association Gaïa-Paris, association active depuis 2006 dans la réduction des risques et des dommages liés à l’usage de drogues. L’objectif du projet? Garantir aux usagers de drogues l’accès à un espace de consommation sécurisé, ainsi qu’à un accompagnement médical et social. L’ouverture de cet espace permet «de prendre soin des usagers de drogues et du quartier, en diminuant les consommations sur l’espace public», estime Bernard Jomier, adjoint à la maire de Paris chargé de la santé et du handicap (Source: www.paris.fr).

En Belgique, ce débat n’a de cesse d’être reporté. Maggie De Block vient de fermer la porte à toute initiative en la matière. «La loi belge interdit actuellement de telles salles et le gouvernement fédéral ne soutiendra pas une modification de cette loi», a estimé la dernière conférence interministérielle «drogues» du 24 octobre dernier. Tout au plus, y aura-t-il une nouvelle étude en la matière (Lisez le communiqué de la Fedito Bruxelles sur le sujet).

Les autorités régionales bruxelloises s’étaient pourtant récemment montrées ouvertes sur le sujet (Cocom, Cocof): «Un autre projet auquel nous sommes particulièrement attentifs est la mise en place d’une salle de consommation à moindre risque. Ce projet est mené en collaboration étroite avec la Région et la COCOF. Un tel dispositif s’inscrit pleinement dans la politique de réduction des risques sanitaires (Hépatite C, SIDA)», peut-on lire dans la Déclaration de politique générale du Collège Réuni en date de ce 20 octobre. Une délégation de parlementaires bruxellois venait tout juste de rentrer d’une visite de la salle parisienne. Reste à savoir les autorités bruxelloises auront le courage politique d’avancer sur le dossier en l’absence d’un changement législatif au niveau fédéral. L’enjeu? Mettre les travailleurs sociaux et médicaux à l’abri de poursuites judiciaires pour incitation ou facilitation à l’usage de stupéfiants (voir encadré).

En Belgique comme ailleurs, les besoins sont criants (Lire «Drogues à ciel ouvert, cocktail de risques»). Ils se concentrent parfois dans les stations de métros (Lire le reportage réalisé par Bruzz dans le centre ville de la capitale). Certes, toutes une série de services en matière de prévention, de de réduction des risques et de soins existent. Mais une partie de la population échappe toujours à ces dispositifs. Face à la situation alarmante de certaines stations de métro bruxelloises, les autorités se sont contentées de mettre sur pied un dispositif policier de dissuasion en surface, associé à la présence régulière d’un maître-chien stups (source: Belga). Une réponse qui, on peut en être sûr, ne résoudra pas les problématiques socio-sanitaires d’un public particulièrement fragilisé.

Aujourd’hui en Europe, plus de 6.000 personnes meurent par overdose chaque année (Jetez un œil à la carte réalisée par France Culture sur la répartition de ces décès en Europe). Hépatites, HIV, abcès, mais aussi désaffiliation sociale… les overdoses ne sont en fait que l’une des problématiques auxquelles tentent de répondre les salles de consommation à moindre risque. Relisez, pour en savoir plus, notre «Tour du monde des salles de consommation».

 

Les projets salles de consommation nécessitent-ils de toucher à la loi fédérale de 1921 sur les stupéfiants pour être mis sur pied?

Réponse de Christine Guillain, professeur de droit pénal, à Alter Échos en 2014 («La tolérance zéro est une hérésie», AÉ, 25 novembre 2014): Il y a eu le même problème avec les testings d’ecstasy dans les festivals. Marc Verwilghen, alors ministre de la Justice, affirmait que ces testings pouvaient être considérés comme de l’incitation ou de la facilitation à l’usage. Ce n’est évidemment pas le cas.

Au plan juridique, il y a plusieurs possibilités. Soit qu’on introduit une exception dans la loi de 1921, en disant que les salles de consommation ne tombent pas sous son application. Une telle exception existe à propos des dispositifs d’échanges de seringues. Mais ce n’est pas évident de modifier une loi. On peut aussi très bien discuter avec les autorités locales et le parquet pour se mettre, de facto, à l’abri des poursuites. Évidemment c’est toujours bancal, car le parquet peut changer d’avis six mois après. Autre solution: mener le projet dans le cadre d’une expérience scientifique, comme cela a été fait pour Tadam, projet de sevrage par héroïne médicalisée, à Liège.

Il y a donc peu de risques de poursuites et de condamnations. Mais on n’est jamais complètement à l’abri. Cela dit, comme pour toute infraction, pour que celle-ci soit punissable, il faut qu’il y ait une volonté de la commettre. Dans la jurisprudence, on retrouve des tenanciers de cafés qui ont fermé les yeux sur un trafic de drogues dans l’arrière-salle de leur bar, en connaissance de cause. Ici, l’idée des personnes qui mettent en place ces projets n’est pas d’inciter à la consommation. Le parquet devrait donc démontrer que cette volonté existe, et je ne vois pas très bien comment il pourrait le faire. Même s’il y a eu beaucoup de déclarations en la matière, il n’y a jamais eu de poursuites à l’égard d’un dispositif d’aide aux usagers.

Les droits de l’homme pourraient aussi être mobilisés: le droit à la santé, le droit à la vie, l’interdiction de traitements inhumains et dégradants… On peut tout à fait démontrer la contrariété d’une politique répressive avec les droits de l’homme.

 

 

 

Marinette Mormont

Marinette Mormont

Journaliste (social, santé, logement)

Pssstt, visiteur, visiteuse du site d'Alter Échos !

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, notamment ceux en lien avec le Covid-19, pour le partage, pour l'intérêt qu'ils représentent pour la collectivité, et pour répondre à notre mission d'éducation permanente. Mais produire une information critique de qualité a un coût. Soutenez-nous ! Abonnez-vous ! Et parlez-en autour de vous.
Profitez de notre offre découverte 19€ pour 3 mois (accès web aux contenus/archives en ligne + édition papier)