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Regard critique · Justice sociale

Petite enfance / Jeunesse

Le printemps érable en veilleuse

Après des mois de grèves étudiantes et de tension avec le gouvernement canadien, le printemps érable semble bien fini.

12-10-2012 Alter Échos n° 347

Après des mois de grèves étudiantes et de tension avec le gouvernement canadien, le printemps érable semble bien fini. L’accalmie estivale et les élections anticipées ont eu raison du conflit. Les associations étudiantes leaders du mouvement, la Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE)1, la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) et la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ)2, ont pourtant des vues bien différentes sur l’avenir de la lutte.

Le jeudi 22 mars 2012 restera une date historique pour le Québec : 200 000 étudiants se réunissent pour manifester leur colère dans les rues de Montréal. C’est l’apogée d’un mouvement de grève étudiante entamé le mois précédent en réaction à la politique du gouvernement Charest. Le Parti libéral, au pouvoir depuis 9 ans dans la province du Québec, avait annoncé une augmentation de 75 % des droits de scolarité universitaire en cinq ans. La réponse citoyenne sera sans appel.

Jeanne Reynolds, porte-parole de la CLASSE, raconte. « Cela faisait en fait deux ans que l’on se préparait à entrer en grève. Il y avait eu plusieurs actions de manifestation, des rassemblements. Mais c’est vraiment au mois de février 2012 que les associations étudiantes ont commencé la grève. Cela a pris environ neuf semaines avant que le gouvernement ne se décide à nous rencontrer pour négocier. Une entente a été conclue et on a cru que les gens allaient se satisfaire de ça et rentrer en classe. Ce qu’on a vu, c’est le contraire : les gens étaient plus déterminés que jamais. Ça nous a surpris. A partir de ce moment-là, il y a eu d’autres évènements, comme des émeutes nées de la répression policière. » En réaction à ces évènements, le gouvernement Charest présente le projet de Loi 78, adopté par l’Assemblée Nationale du Québec le 18 mai. La loi prévoit notamment une obligation, pour les manifestations de plus de 50 personnes, de transmettre leur itinéraire aux forces policières. Elle vise aussi à limiter les tenues de piquets de grève et à garantir l’accès aux établissements d’enseignement. Dans les établissements en grève, les sessions collégiales et universitaires sont suspendues jusqu’à la fin de l’année scolaire.

 « A partir de ce moment-là, on est entré dans une autre phase. C’était une protestation étudiante, et c’est devenu un mouvement social. Des citoyens sont sortis dans la rue et ont manifesté eux aussi. Puis l’été est arrivé et c’est forcément devenu plus tranquille. Il n’y avait pas de grève, mais il y a quand même eu des manifestations », raconte Jeanne Reynolds.
Le mouvement s’est enchevêtré dans un autre conflit politique, selon Antoine Robitaille3, du quotidien Le Devoir, de tendance souverainiste. « Dans un contexte où le Parti libéral était accusé de corruption et de trafic d’influence, Jean Charest pensait que sa seule chance de rester au pouvoir était de profiter du conflit étudiant », explique-t-il. Le calcul était simple : le soutien appuyé de Pauline Marois (chef du Parti Québécois) aux étudiants grévistes, qui lui valait de nombreuses critiques, et le ras-le-bol de la population après des mois de conflit joueraient en sa faveur. Les élections, prévues en décembre, sont donc anticipées.

Les élections du 4 septembre

« La campagne était très intéressante car il était impossible d’en prévoir l’issue. Pendant la lutte, Pauline Marois portait le carré rouge pour montrer qu’elle était en faveur de la grève étudiante. Selon plusieurs personnes du PQ, c’était une erreur car elle était trop proche des leaders étudiants », commente Antoine Robitaille. Mais le calcul politique de Jean Charest s’avèrera illusoire. Le 4 septembre, le Parti québécois remporte les élections. Sa promesse électorale de régler le conflit étudiant, l’affirmation croissante du nationalisme québécois et les soupçons de corruption au sein du Parti libéral ont été les facteurs-clé de sa victoire.

Rapidement, Pauline Marois annonce le gel de la hausse des frais de scolarité et promet d’organiser un « Sommet de l’éducation » afin de débattre de la question. Le 8 septembre, les représentantes de la FEUQ et de la FECQ affirment que le conflit étudiant est terminé.
Martine Desjardins, présidente de la FEUQ, assure que son association garde un œil critique sur l’action gouvernementale. Cependant, elle affiche une certaine confiance à l’égard du Parti québécois. « Il semble que le nouveau gouvernement mise sur la collaboration et la concertation au lieu de l’affrontement pour régler les différends avec les groupes de la société civile. En ce sens, si le gouvernement veut travailler avec les étudiants pour améliorer l’accessibilité et la qualité de nos universités, nous serons à la table afin de travailler à atteindre ces objectifs. » explique-t-elle.

La CLASSE observe une attitude plus réservée. « C’est un parti qui cherche le consensus, qui a repris nos revendications, peut-être pour toucher un électorat étudiant. Mais on a des doutes sur sa réelle intention politique, comme en ce qui concerne l’annulation de la hausse. Et puis il y a le Sommet… Le PQ veut une indexation des frais scolaires, ce qui est dans la même logique que le Parti libéral En ce qui concerne les autres organisations étudiantes, on peut dire qu’historiquement, elles sont plus « collées » aux partis politiques. Elles n’ont pas forcément la même indépendance vis-à-vis des partis politiques que l’ASSE (Association pour une solidarité syndicale étudiante). Il y a des affinités avec le Parti québécois. Par exemple, l’ancien président de la FECQ est maintenant député du PQ. Donc peut-être que maintenant ces gens-là sont confiants ».

Quel futur pour la lutte étudiante ?

Quelles stratégies les associations étudiantes ont-elles adopté en vue de cette rencontre avec le nouveau gouvernement ? La CLASSE répond : « En fait, on n’a pas encore les détails du Sommet. On aimerait connaître sa composition, savoir comment il va fonctionner, ce dont on va parler. Nous, ce qu’on veut, c’est que ce soit un endroit de réflexion sur ce qu’est vraiment l’éducation post-secondaire. Il pourrait y avoir un débat sur la gouvernance de nos universités, se demander si les étudiants et les professeurs ne devraient pas avoir plus de voix. ».

Et qu’en est-il de la question de la gratuité des frais scolaires, déjà évoquée à plusieurs reprises pendant la grève ?

A ce sujet, le camp étudiant est divisé. La FEUQ explique avoir une « position de gel des frais de scolarité, position consensuelle qui rejoint le plus grand nombre d’étudiants. Le gel des frais de scolarité garantit une amélioration de l’accessibilité aux études, et ce, sans mettre une pression supplémentaire sur les finances publiques. ». A l’ASSE, le discours est plus tranché. « Ça fait très longtemps que l’ASSE milite pour la gratuité scolaire. La CLASSE, c’était juste une coalition le temps de la grève. Théoriquement, elle va bientôt redevenir l’ASSE. Et à l’ASSE, on a une perspective de gratuité scolaire. Ça sera une année de débats pour convaincre les gens que oui, c’est possible. ». Malgré l’accalmie estivale, la question scolaire semble bien loin d’être réglée.

1. CLASSE :
– adresse : 2065, rue Parthenais, local 383, Montréal
– site : http://www.bloquonslahausse.com
2. FEUQ :
– adresse : 15, Marie-Anne Ouest, 2e étage. Montréal, H2W 1B6
– site : http://feuq.qc.ca

3. Antoine Robitaille,

-adresse : Tribune de la presse, 1050, rue des Parlementaires, bur. 221, Québec, G1R 5J1

– courriel : arobitaille@ledevoir.com

En savoir plus

Alter Echos n° 340 du 08.06.2012
https://www.alterechos.be/index.php?p=sum&c=a&n=340&l=1&d=i&art_id=22459 Printemps érable : le Québec réinvente le contrat social

Sandrine Warsztacki

Sandrine Warsztacki

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