À Liège, des citoyens en action contre le béton

À Liège, des citoyens en action contre le béton

Environnement/territoire

À Liège, des citoyens en action contre le béton

Dans la Cité ardente, des habitants s’organisent pour protéger leurs milieux de vie de la menace de grands projets immobiliers. Alter Échos est allé à la rencontre de celles et ceux qui résistent à l’urbanisation au Ry-Ponet, à la Chartreuse et dans le quartier Naniot-Molinvaux. Trois territoires préservés du béton en bordure de ville où se croisent préoccupations environnementales et sociales, engagement affectif et intérêt collectif, où se jouent à travers le temps et les paysages des histoires de transmission et de collaboration.

Manon Legrand Images : Marin Driguez 07-07-2021

Investie d’une dizaine de chalets en bois, la place Cathédrale, au cœur historique de Liège, a des airs de petit village en cette journée de «défense des terres», organisée par le festival de la transition alimentaire Nourrir Liège. Plusieurs collectifs y campent pour faire connaître leurs actions de défense des territoires menacés par des projets immobiliers, ou plus globalement nuisibles au milieu de vie, comme l’extension de l’aéroport de Liège ou l’implantation d’une filiale du géant de l’e-commerce chinois Alibaba.

Cartes et plans, feuillets d’explication et le tout neuf «Manuel de résistance aux projets inadaptés, imposés et nuisibles» (lire en fin de reportage)… Les outils ne manquent pas dans chaque stand pour informer et tenter de mobiliser de nouveaux citoyens. Mais l’événement, un jour férié arrosé d’averses régulières, n’attire guère les foules.

Cela laisse le temps aux collectifs de prendre des nouvelles des groupes amis engagés sur des territoires voisins, autour d’une bière, locale bien sûr. On goûte l’Épineuse, un breuvage pour «se sortir le cul des ronces», vendue au profit de la mobilisation du collectif «Un Air de Chartreuse». «La lutte, c’est de l’argent. Mais c’est surtout beaucoup d’énergie et de temps», explique Pierre Wacquier, l’une de ses chevilles ouvrières, le moral un peu en berne de ne pas voir accourir des curieux et de potentielles recrues. «Ça use la mobilisation… D’autant qu’à la Chartreuse, on est dans un sprint depuis trois ans, pas dans une course de fond.»

Jean Peltier passe de chalet en chalet. Membre de la plateforme Ry-Ponet, l’homme «fraîchement retraité» aux allures de druide est aussi un militant de longue date et une irréductible figure de lutte contre les projets immobiliers inadaptés. Une fois lancé, il pourrait parler des heures des actions qu’il mène en compagnie d’autres camarades pour défendre le parc du Ry-Ponet, mais patience… Autant découvrir cette histoire les pieds dans la terre et au grand air que dans une aubette de marché de Noël balayée par les gouttes.

Des hectares et des années de lutte

Nous le retrouvons donc quelques semaines plus tard, gourde pleine et bonnes chaussures de marche, au cimetière de Chênée, quartier au confluent de la Vesdre et de l’Ourthe à quelques kilomètres à peine du centre de Liège. La balade commence non loin de là devant une belle ferme en carré, la «ferme du Père Lejeune» aujourd’hui aux mains de la Compagnie financière de Neufcour, anciennement société des charbonnages de Wérister, qui a compris dès les années 70 que le foncier lui permettrait de se remettre des pertes dues à la fermeture des mines. Et qui place les écoquartiers au cœur de son marketing.

Neufcour, une société qui cause bien du souci aux habitants du coin depuis qu’elle a présenté un projet de lotissements de 520 logements sur 35 hectares en pente, précisément sur la zone des Haïsses-Piedroux, une partie des 300 hectares de prairies, cultures agricoles, landes et bois qui composent le site du Ry-Ponet, vaste zone paysagère à cheval sur les communes de Liège, Beyne-Heusay, Chaudfontaine et Fléron, surplombant les vallées de la Vesdre, l’Ourthe et la Meuse. On est en 2014 et le grignotement de ce territoire chargé d’histoire a commencé.

Ce projet, «loin d’être une surprise pour la Ville, mise au courant bien avant les premiers concernés», provoque la stupeur des riverains de Chênée. «C’est un dortoir posé sur le versant de la Vesdre, résume Jean, avec en bas des immeubles de trois étages à loyer moyen, et tout en haut des villas quatre façades avec une vue imprenable.» Les habitants craignent un engorgement des rues, mais aussi des écoles puisque le projet ne prévoit pas d’infrastructure collective.

La mobilisation s’active, avec l’appui d’Urbagora, association liégeoise de mise en débat des questions urbaines. Habitants et associations se positionnent contre le projet immobilier et proposent, en projet alternatif, de créer un parc sur le site de 300 hectares où cohabiteraient agriculture et nature. Par ailleurs, ils suggèrent de construire du logement au centre de Chênée sur un ancien site industriel à dépolluer et à réhabiliter, une option défendue par plusieurs collectifs engagés contre le béton, qui ne séduit guère les promoteurs pour qui construire sur des espaces verts est moins cher.

Respecter les morts et le vivant

En 2015, la Plateforme Ry-Ponet voit le jour. Séances d’informations, visites guidées, présence aux fêtes locales… les actions de sensibilisation se multiplient pour tenter de bloquer le projet de lotissement. «Par les visites guidées, on a essayé de faire prendre conscience aux gens des quartiers avoisinant le site qu’il s’agissait d’un problème global», explique Jean Peltier, dont l’énergie est communicative. En mai 2017, la demande de permis fait l’objet d’une enquête publique. La Plateforme se mobilise, 10.000 lettres types sont distribuées en toutes-boîtes dans les quartiers proches pendant un mois, doublées de porte-à-porte. Jean raconte, en en riant encore, une séance publique de présentation du projet dans une salle de gym surchauffée, dont le représentant du promoteur immobilier doit garder un souvenir plus amer. «On sentait qu’il avait l’habitude de présenter son projet devant des échevins et chefs d’administration buvant sagement leur café. Ici, il était face à un grand nombre de personnes. On avait préparé des questions précises et on connaissait parfois mieux la situation que lui. Tout le monde n’est pas spécialement sensibilisé ou spécialiste, mais tout le monde connaît bien sa rue, son quartier et sait se représenter les problèmes engendrés par ces projets immobiliers.» Quand l’enquête publique s’achève, près de 4.800 courriers d’opposition sont envoyés à la Ville. La société retire sa demande de permis et annonce qu’elle en présentera un autre… qui se fait toujours attendre. Mais pas de repos pour les braves.

Quelques arrêts «points de vue» plus tard et des tronçons sur le Ravel, aménagé sur l’ancienne ligne des charbonnages, nous pénétrons dans une zone classée au patrimoine, après la Deuxième Guerre mondiale, pour ses imprenables panoramas, dont celui sur l’imposante basilique de Chèvremont. Jean attire notre attention sur une petite chapelle entourée de trois tilleuls feuillus. «Il y en avait cinq avant que la foudre ne passe par là. Cinq arbres bicentenaires plantés pour honorer la mémoire de soldats bretons morts dans une embuscade après que l’armée française et les troupes liégeoises eurent infligé une défaite aux Autrichiens en 1794, explique celui qui se révèle s’y connaître autant en histoire qu’en aménagement du territoire, tant il y a un fond de résistance derrière. Ce qui est frappant, c’est qu’ils étaient tous originaires de Bretagne, du même village Sainte-Anne d’Auray, sainte à qui est aussi dédiée la paroisse locale depuis le XIXe  siècle. La coïncidence a frappé les esprits et a nourri le souvenir.» Défendre le parc, c’est préserver un patrimoine, historique et environnemental. C’est respecter les morts et le vivant.

Justice sociale et environnementale

À un jet de pierre de la chapelle se trouve la ferme Sainte-Anne, en vente depuis vingt ans. Le collectif avait imaginé lancer une coopérative pour racheter le bâtiment et en faire un lieu agrotouristique. Mais une visite et la prise de conscience de l’état vétuste du bâtiment avaient un peu douché leurs espoirs. C’est à ce moment qu’un promoteur de Malmedy se porte acquéreur de la ferme et d’autres terrains pour y construire deux lotissements et transformer la vieille bâtisse en salle de fête.

À nouveau, la Plateforme se mobilise. Les fenêtres et les troncs placardent d’affiches aux slogans cocasses «4 mariages et des emmerdements» ou «Plutôt campagne que champagne». Plus sérieusement, le collectif relance une campagne d’information comme il l’a fait en 2017 (mais sous Covid cette fois!). L’énergie se concentre sur la «mère de toutes les batailles» comme la nomme le Manuel de résistance : l’enquête publique. Quelque 3.200 personnes y répondent. «Personne ne s’attendait à une telle mobilisation, certainement pas le promoteur et encore moins le petit service d’urbanisme de Beyne-Heusay», s’amuse Jean Peltier. Mais le propriétaire a depuis dégainé l’arme du recours contre la commune.

D’autres obstacles se posent encore sur le chemin du parc paysager, dont le projet d’extension des parkings du CHU Notre-Dame des Bruyères et un éventuel projet de construction par la société de logement social «Le Logis social» sur un terrain aujourd’hui exploité par un agriculteur bio. Contre ces projets émanant de sociétés publiques, la Plateforme ne bataille pas de la même façon. «Nous ne mettons pas sur le même pied un projet public de logement social et un projet privé de logement à but essentiellement commercial – même si nous ne sommes pas prêts à accepter n’importe quoi. Cest pourtant très facile de s’opposer à du logement social. Mais on répondra fermement aux gens qui s’y opposeraient en prétendant que ces constructions serviront à mettre des ‘pauvres’ et des ‘maroufs’», prévient Jean Peltier, soucieux de lier justice sociale et environnementale.

En plus du blocage de la transformation commerciale de la ferme Sainte-Anne, les bonnes nouvelles se sont multipliées ces cinq derniers mois. La Ville de Liège vient de lancer une procédure de modification du plan de secteur afin d’accueillir du logement sur la friche industrielle en bord de Vesdre. L’étude globale et le Masterplan destinés à réfléchir à l’avenir du parc paysager soutenu par Liège Métropole, la communauté de communes de l’arrondissement, sont aussi sur les rails. Des bouffées d’air qui font du bien…

Dans la jungle de la Chartreuse

À la Chartreuse par contre, forêt urbaine perchée sur la rive droite de la Meuse, 15 minutes à pied d’Outre-Meuse, on retient son souffle. Quelques jours avant notre visite, mi-juin, le collectif Un Air de Chartreuse, qui protège le site, a déposé un recours au Conseil d’État contre un permis d’urbanisme.

C’est à un pot de fer massif que les habitants s’attaquent: Matexi. 486 millions de chiffre d’affaires en 2020, soit le double d’il y a cinq ans. L’entreprise a livré l’année dernière près de 1.500 logements et développe une centaine de quartiers. Matexi adore Liège. Ou Liège adore Matexi. L’entreprise a jeté son dévolu sur la Chartreuse il y a trois ans, menaçant d’amputer 25.000 m2 d’arbres – situés sur une zone sans affectation définitive au plan de secteur – des 170.000 m2 que compte ce coteau aux multipropriétaires (privé et public), pour y construire un lotissement de 48 logements.

«La législation a changé en juin 2020. Ce qui veut dire que le promoteur ne pourra plus déposer un permis de la même manière à l’avenir. Il devra faire avec un avis contraignant de la protection du patrimoine. Si l’on arrive à casser ce permis, ça ne passera plus pour le prochain, c’est vraiment ce combat-ci qu’on doit gagner», espère Pierre Wacquier, qui a repris des couleurs depuis la dernière fois. Il habite depuis près de 15 ans dans la dernière maison de la rue, et a pour jardin ce «Central Park de cinq quartiers», ancien site militaire stratégique dont il reste un fort, de type Vauban, qui fait le bonheur des amateurs d’Urbex et des touristes.

Quarante-huit logements, c’est moins que les 220 prévus initialement. Mais c’est déjà trop pour les habitants. «Cette phase 1 ouvre la porte à d’autres projets et à une urbanisation beaucoup plus importante sur un site qui, sur 35 hectares, est classé comme zone de grand intérêt biologique», s’inquiète le collectif.

Les pieds s’enfoncent dans le terrain humide bordé d’une végétation dense et sauvage. Cette jungle urbaine est reconnue pour la grande diversité de ses milieux, où alternent parties plus aménagées et d’autres sauvages, permettant tant aux promeneurs en quête de hauteur qu’aux abeilles et autres bestioles de s’épanouir hors des sentiers battus, de se trouver un espace de chasse et un nid douillet.

Apprendre en marchant

Pour tous les amoureux de la Chartreuse, il n’est pas question de toucher à une zone sur laquelle la nature a repris ses droits librement au fil des années. S’il s’agit d’un combat affectif pour un lieu qu’ils ont dans la peau, l’intérêt est collectif. «Ce ne sont pas les intérêts exclusifs des riverains qui motivent la lutte. On le fait pour tous les Liégeois, on défend ce qui est le jardin des jeunes des cités de Bressoux, des scouts des communes environnantes, le terrain d’apprentissage des élèves des écoles. C’est un poumon vert pour la ville», insiste Lise Bachelet, balayant au passage les arguments des détracteurs de ces citoyens engagés qui pourraient les qualifier de Nimby («Not in my backyard», «Pas dans mon jardin!»).

C’est en traversant et en observant ce territoire de long en large que les membres du collectif – 40 personnes dans le noyau dur et des milliers de sympathisants – ont gagné de l’expertise dans le dossier. Pour tenir tête à leur interlocuteur et leurs détracteurs, ils ont aussi dû se spécialiser sur des questions urbanistiques et juridiques. Si bien qu’ensemble, ils peuvent aborder avec aisance les détails techniques des plans de secteur, les modalités des enquêtes publiques, ils ont un avis critique sur la politique liégeoise et sont même incollables sur les crapauds calamites.

Ces «simples» citoyens sont aussi devenus en quelques années des interlocuteurs dans le débat public, qui tentent de proposer une vision d’aménagement du territoire cohérente et globale, à contre-courant du traitement projet par projet qui guide les autorités publiques désorientées par ces territoires morcelés. «Le collectif a développé toute une série d’outils d’intelligence collective abordant les questions inhérentes au dossier (mobilité, sécurité, logement, environnement, aspects historiques…) et permettant de valoriser les parcelles privatives au profit de projets durables et solidaires», précise Lise. Encore faut-il qu’on les écoute…

«On a le sentiment que les outils démocratiques sont de la poudre aux yeux. On a remporté la palme du concours Liège 2025 (consultation populaire sur l’avenir de la ville, NDLR) avec des milliers de signatures qui allaient dans le sens d’une sanctuarisation du site dans sa globalité au profit de la collectivité avec un aménagement a minima de l’espace vert reconnu, permettant la sécurisation des parcelles et le respect de la biodiversité présente. Et on n’a jamais eu de retour», déplore le collectif, toujours bien motivé à en découdre.

Terre maraîchère et coopérative foncière

Dernière halte sur l’autre rive de la Meuse, dans le quartier Naniot-Molinvaux, situés à la lisière d’Ans, pour rencontrer le dernier-né de la lutte contre la bétonisation, le Collectif Nalvaux. Des effluves de crêpes parfument la terrasse. L’école est en grève, alors les enfants se régalent chez les grands-parents. La maison, sous le soleil, a des airs d’agriturismo toscan. Mais ce ne sont pas les collines de cyprès qu’on découvre en hauteur, une fois traversé le jardin-potager en plateaux, mais une ancienne zone de maraîchage dont il ne reste que quelques serres laissées à l’abandon. À gauche, le terril Sainte-Barbe, dont la sauvegarde en zone naturelle a fait l’objet d’une lutte acharnée dans le passé. En bas, la rue Molinvaux. Et droit devant, une maison imposante trône, suzeraine, au milieu d’un terrain envahi par les hautes herbes. C’est sur cette zone escarpée que pourrait bientôt apparaître un complexe immobilier contre lequel le collectif Nalvaux se mobilise. «Là, c’est la coopérative maraîchère bio. Là, tu as l’écohabitat, et là, le parc de la diversité, et là, le parc de la biodiversité, un espace à la fois récréatif et formatif, et là encore, une Maison de l’environnement, de la solidarité et de la participation.» Étienne Hublart, l’un des fondateurs du collectif, s’imagine déjà le projet alternatif envisagé avec les habitants sur ce site, pour l’instant couché sur papier.

En mai 2019, une demande de permis est introduite pour la construction de 11 maisons unifamiliales, d’un immeuble de quatre appartements et d’un immeuble de 23 appartements sur une parcelle de 10 % de la surface totale. Les habitants ne sont pas dupes. Renseignements pris chez les collectifs de la région, ils comprennent que cela pourrait constituer la première phase d’un projet immobilier de beaucoup plus grande ampleur. Ils les ont vus, ces dernières années, les logements Matexi pousser comme des champignons non loin de là autour du terril, les immeubles remplir les dents creuses de la rue des 14 Verges en contrebas, ainsi que les premiers logements d’un nouveau quartier sortir de terre à côté de la Cité Lonay d’Ans. Pression automobile, nuisances sonores et pollution, risque accru d’inondations, perte de visibilité et de luminosité pour les riverains du projet immobilier font partie de leurs craintes. Mais d’emblée, ils inscrivent leur combat dans une perspective plus large : la défense de l’environnement et de la biodiversité, la promotion de projets agricoles en bio et des circuits courts, la lutte contre le réchauffement climatique, la nécessité de penser un habitat qui favorise le lien social et la protection d’un espace faisant partie de l’âme du quartier. Ils récoltent plus de 3.000 signatures lors de l’enquête publique – la demande de permis est rejetée en février 2020.

Le problème est que ces terres ont été classées par la Wallonie comme une zone d’habitat et qu’elles appartiennent à des propriétaires privés. Elles ont donc une valeur bien supérieure à celle des terres agricoles. Soutenu par l’asbl Financité, le collectif réfléchit à la création d’une coopérative foncière qui achèterait ces terres afin d’assurer la réalisation de son projet alternatif : : «L’idée est de travailler sur une formule qui apparente l’investissement à un placement sur un carnet d’épargne. L’objet social serait limité à la gestion du patrimoine foncier. On pourrait garantir que l’argent puisse être récupéré dans la semaine par les personnes qui l’ont placé, à condition que ce ne soit pas de trop grandes sommes. Un fonds de réserve serait nourri, entre autres, par la vente d’un hectare pour l’écohabitat solidaire», explique Étienne Hublart. Soutenu par l’asbl Financité, le collectif est prêt à lancer un large appel au financement. Avec le soutien de la Ville ? «Le collège communal a rejeté la demande de permis de bâtir. C’est déjà une bonne chose. Pour le reste, la Ville se positionne comme un intermédiaire comptable et désargenté entre les citoyens et les promoteurs, entre bien commun et intérêts privés», ajoute-t-il. Dans ce bout de campagne à la ville, on compte les uns sur les autres. Et le Covid a même resserré les rangs. « On a une histoire assez collective dans le quartier, de solidarité et de lutte. On est comme le village d’Obélix», résume Étienne Hublart.

Et si tout ne finira peut-être pas par des chansons, les récits des luttes de ces valeureuses troupes mobilisées aux quatre coins de Liège survivront sans aucun doute au béton.

Liège téméraire et pionnière
Liège concentre un grand nombre de collectifs, si bien qu’une coordination liégeoise d’Occupons le terrain a été mise sur pied. Comment expliquer l’engouement? Parce que le Liégeois est de nature fier? Parce qu’il a toujours résisté à l’envahisseur? Parce que la Cité ardente a une histoire de lutte ouvrière et syndicale? Parce qu’elle est particulièrement sujette aux appétits économiques et aux grands projets inutiles? Chacun se racontera l’histoire qu’il voudra. «La vivacité des collectifs s’explique notamment par le fait que tout le monde se connaît et connaît assez bien les territoires concernés, ce qui n’est pas forcément le cas dans des régions plus étendues comme la province de Luxembourg», avance Steve Bottacin, animateur en transition écologique et économique au sein de l’asbl Barricade, lieu de débat et d’émulation collective, qui a, pionnière, dès 2016 impulsé l’idée de fédérer ces citoyens en lutte.«Nous avons voulu rassembler les citoyens mobilisés pour défendre des espaces verts, donner la parole à ces collectifs afin qu’ils se rencontrent, partagent leurs expériences et leurs outils plutôt que de réinventer l’eau chaude chacun dans son coin, explique-t-il. Il est important aussi de transmettre des luttes urbaines victorieuses.» Comme celle du site de Favechamps, il y a 30 ans: quatre hectares de prairies et une ferme menacés fin des années nonante par la construction de villas de luxe par le groupe français Bouygues… Dix années d’actions plus tard, Favechamps est devenu un site classé, un lieu de promenade et un bien commun sauvé des griffes de la privatisation. La preuve que le pot de terre parfois l’emporte. En savoir plus sur le site de Barricade
Occupons le Terrain, se fédérer pour résister

Contournement routier à Perwez, zoning à Arlon, chemins forestiers privatisés à Manhay, construction de cabanons à Herbeumont, extension d’aéroport… Tous ces projets, qui éclosent aux quatre coins de Wallonie et à Bruxelles, accaparent des terres agricoles, privatisent les espaces verts et les ressources naturelles, contournent les questions démocratiques et aiguisent l’appétit des promoteurs immobiliers.En réaction, des citoyens ont décidé de se mobiliser pour défendre leurs milieux de vie. Une lutte qui n’est pas simple, parce qu’elle s’attaque à des acteurs économiques et publics puissants, nécessite des connaissances fines en termes juridiques et urbanistiques, du temps et une bonne résistance à l’épuisement. Pour mieux se connaître, se soutenir et se renforcer pour résister, est né au printemps 2018 le réseau Occupons le Terrain, qui rassemble à ce jour plus de 40 collectifs. Il a publié ce printemps le «Manuel de résistance aux projets inadaptés, imposés et nuisibles», un guide pratique qui explique étape par étape – de la rumeur à la riposte – comment inverser la marche des choses sur le terrain, rédigé sous la houlette de Jean Pelier, décidément dans tous les coups.

Infos: Occupons le Terrain a fait l’objet d’une émission de Tout va bien, web média est produit par le festival Esperanzah!.à revoir en ligne.

Manon Legrand

Manon Legrand