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Regard critique · Justice sociale

Petite enfance / Jeunesse

«Ce que je voudrais, c’est que les juges se mettent à notre place»

Ces articles ont été écrits par des jeunes lors d’ateliers Scan-R réalisés dans des IPPJ. 

© Flickrcc Jeanne Menjoulet

Vécu funeste

Waddie, 21 ans, Bruxelles

On m’a dit «faut être prêt pour affronter son passé», mais les blessures sont déjà cicatrisées

À l’époque j’avais des frères sur qui je pouvais compter, mais un jour nos chemins se sont séparés

Pour eux j’avais tout sacrifié et ils m’ont dit «ferme ta gueule et va faire tes billets»

Un jour, j’entends mon téléphone sonner: «Bonjour, monsieur, votre père est décédé»

Il est parti au moment où on renoue les liens du passé

Ce jour-là, la haine a pris le dessus sur l’espoir

Mon cœur est devenu scellé, mon esprit un trou noir, mon cerveau aux pensées funestes alimenté par les ténèbres

J’ai pas terminé de vous raconter la haine qui m’alimentait comme la fois où j’ai semé la haine dans le champ de mes sentiments

Mais j’ai cultivé que la peur de mes proches, ces proches qui m’ont quitté tous un par un

En attendant, je lève mon troisième doigt à la misère et je souris au commissaire.

 

Trop de problèmes dans ma tête

Yasmine, 16 ans, Éghezée

J’ai besoin d’évacuer, j’ai trop de choses dans la tête, de problèmes familiaux. La solution à mes problèmes, c’est de ne plus y penser pour essayer d’oublier. J’ai besoin de vacances, de ne plus avoir de soucis, de vivre ma vie comme je veux la vivre. Je sais que je devrais parler, mais c’est dur, ça ne sort pas.

De toute façon, quand tu parles de ce que tu as vécu, ça paraît banal, car beaucoup de jeunes vivent des choses compliquées. Donc quand tu en parles, les gens ne savent pas à quel point c’est dur. Et en en parlant, on attire de la pitié, donc je ne parle pas de mes problèmes, je garde la face même si c’est dur. Ma situation familiale se dégrade de plus en plus pour mes petits frères et sœurs à cause de ma mère et ce n’est pas en m’exprimant que ça changera. Les éducateurs ici me reprochent de ne pas parler de ce que je vis.

L’argent est important, car je pourrais partir un mois, seule, et en profiter, rencontrer de nouvelles personnes. Zapper juste quelque temps ma vie actuelle. Au début de mon placement en IPPJ, j’avais des week-ends (même si ça se passait mal) et, dès que je sortais à 8 h, j’allais au paki, je m’achetais une bouteille et je la buvais dans le train jusqu’à ce que j’arrive à Bxl.

La conso est un de mes problèmes, mais elle me permet d’oublier mes soucis. Si je l’écris, c’est parce que je sais que c’est mal, car ma mère se drogue beaucoup. C’est pour ça que mes petits frères et sœurs ne sont pas en sécurité. Je n’ai absolument pas envie de devenir une femme comme ma mère. Mais quand je fume, je me sens mieux. Depuis ma naissance, je n’ai jamais vécu une année complète avec ma mère et je n’ai pas de père. Je n’ai eu que mes grands-parents comme exemple et quand j’étais petite, ma mère et mes grands-parents ne s’entendaient pas du tout bien. J’étais tout le temps tirée entre les deux.

Récemment, à cause d’un acte de ma mère, j’ai décidé de couper contact avec elle. Ça fait trois semaines que je me redirige vers mes grands-parents, je sais que c’est mieux pour moi, mais ma mère me manque et c’est dur de ne pas lui parler ni à mes frères et sœurs. C’est très dur mentalement, mais j’essaye de tenir.

Le pire, c’est quand tu rencontres la première fois ta juge, tu te dis: c’est lui/elle qui décidera qui je peux voir, où je vais aller, elle décidera de toute ta vie. Même si l’État nous donnait à tous de l’argent, il y a des cons dans la vie et il y aurait quand même des vols, car les gens n’ont pas envie de gaspiller leur argent. Il y aurait quand même des dealers, car il y a beaucoup de consommateurs donc ça fait de l’argent en plus

La justice est très loin quand on vit en IPPJ

Latifa, 16 ans, Namur

Pour le moment, je vis dans une IPPJ. Ce que je voudrais, c’est que les juges se mettent à notre place, qu’ils restent 24 h ou 48 h en cellule, qu’ils patientent comme nous pendant des heures et qu’ils mangent les tartines au fromage pourri. Il faudrait qu’ils voient l’hygiène dans les cellules. Il faudrait que l’État nous donne de l’argent parce que les parents ne nous en donnent pas forcément. Avec une autre gestion de l’argent, il y aurait moins de vols, de dealers, de prostituées. On m’a accusée pour rien, cela pour dire que non seulement les enquêtes n’avancent pas, mais en plus, quand ils font des enquêtes, ils ne les font pas bien. Qu’on soit victime ou accusé, c’est vraiment abuser. Il faudrait qu’ils changent de comportement ou qu’il leur arrive ce qu’on a déjà subi pour qu’ils nous prennent au sérieux.

Justice?

Je trouve que tout est déjà planifié, qu’au lieu de nous écouter, les juges nous placent directement. Je trouve qu’ils devraient être plus à l’écoute. Ils nous mettent directement une étiquette. Après, ça dépend des juges, ils prennent leur décision avant même qu’on rentre dans leur bureau et nous placent dans une institution même s’ils nous connaissent juste sur papier.

Police

Les policiers n’ont aucun respect. Je trouve qu’il n’y a pas de logique dans leur tête. Je suis outrée de ce genre de comportements. Je trouve que même les enquêtes ne suivent pas du tout. La justice et la police ne font aucune démarche. J’ai subi un viol et j’ai été séquestrée. On n’a même pas pris en compte ce que je disais; du coup, je n’ai même plus envie de parler de ça à cause d’eux. Je n’arrive plus à en parler parce que vu qu’on ne m’a pas prise au sérieux, qu’on s’est foutu de moi, ça m’a mis un gros blocage.

En IPPJ pour être enfin aidée

 Laeticia, 17 ans, Gembloux

Tout a commencé quand j’étais petite. J’avais 9 ans, mes parents se sont séparés. Ça a été dur pour moi, car on ne m’a jamais expliqué pourquoi. Je n’avais pas assez d’attention, donc je mentais et créais des disputes pour avoir de l’attention. Ma mère me disait que mon père était absent pendant mon enfance pourtant, c’était faux. Elle m’a manipulée et elle voulait me mettre contre mon père. Plus tard, il m’a expliqué la raison de leur séparation, ma mère l’a trompé plusieurs fois. J’ai donc commencé à détester ma mère.

Vers mes 13 ans, j’ai commencé à fuguer de chez elle. J’allais traîner dans de mauvais quartiers, avec de mauvaises personnes. Certaines consommaient des drogues, d’autres dealaient, d’autres faisaient des braquages. Toutes avaient de 16 à 30 ans.

J’allais de plus en plus souvent là-bas sans autorisation. À force de traîner avec elles, la drogue m’attirait aussi et j’ai commencé à fumer du cannabis. Plus tard, j’ai été acheter ma conso toute seule. Un jour, j’ai ramené ma conso à l’école et ils m’ont attrapée. J’ai été renvoyée et me suis retrouvée sans école et dans la rue. Je restais dehors tout le temps. Un soir, j’étais en soirée, j’avais bu et fumé… Un type a profité que j’étais défoncée. Il a dit qu’il allait m’emmener à l’hôpital, car je n’étais pas bien. Il m’a emmenée dans un parc. Il m’a frappée et violée.

Après tout ça, je suis tombé en dépression. Je me droguais de plus en plus coke, ecstasy, LSD,… Je manquais d’argent et j’ai commencé à vendre avec des gars. Après, j’ai gardé l’argent et je me suis barrée. Plus tard, ils sont venus frapper et cambrioler ma mère.

En gros, on a demandé de l’aide pendant six mois, personne n’a rien fait. On a demandé de l’aide au SAJ, psy, etc. On a dû arriver jusque-là pour que quelqu’un agisse et que les choses changent.

Les plaintes classées sans suite

Salomé, 16 ans, Jambes

J’ai été violée quand j’avais 7 ans et j’ai porté plainte à l’âge de 12 ans. Deux ans après, j’ai appris que c’était classé sans suite. Maintenant, à l’âge de 15 ans, j’ai été droguée et encore une fois violée par un homme qui avait le double de mon âge. Je n’arrive pas à porter plainte par peur que cela soit classé sans suite, que l’homme me tape ou…

Je ne comprends pas pourquoi une personne qui abuse d’une autre prend moins qu’une personne qui deale de la drogue alors que la personne abusée ne le veut pas tandis que la personne vend à des gens qui veulent acheter.

La solution pour que les plaintes soient moins classées sans suite serait de faire de vraies recherches et non seulement écouter les deux versions.

L’aide pour après est taboue, psychologique comme physique, des aides devraient être mises en place avec des budgets corrects. Les écoles, les centres, les parents, etc., parlent peu des solutions ou même des sujets de ce genre.

Les répercussions sont importantes: je n’arrive plus à me confier, car j’ai l’impression que cela ne servira à rien. Autres répercussions encore: une prise de poids de 30 kg inconscients pour que l’on me regarde moins et que l’on soit dégoûté de moi, du moins les garçons, une peur de sortir quand il fait noir, une peur d’être seule, ne plus avoir de plaisir à donner son corps durant un rapport sexuel, et encore la consommation pour pouvoir oublier et la méfiance vis-à-vis des hommes, des adultes.

Agence Alter

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