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Regard critique · Justice sociale

Petite enfance / Jeunesse

24 heures avec… Arnaud, jeune engagé au service citoyen

Engagé pour six mois au début du confinement dans une maison de repos grâce au programme de la Plateforme pour le service citoyen, Arnaud Jeangille parcourt les couloirs de la résidence aux côtés des aides-soignants. Ce jeune demandeur d’emploi découvre le travail de terrain dans un secteur qui a cruellement besoin d’un coup de main. Journée aux côtés d’un jeune homme qui distribue petits services et bonnes blagues aux résidents.

© Fanny Declercq

À l’entrée de la maison de repos Résidence Franki à Liège, Arnaud, masqué, tend le formulaire pour enregistrer toute personne qui entre dans les lieux. Il salue d’un geste avec le coude qui dépasse de son tee-shirt à l’effigie du service citoyen. C’est grâce à ce programme qu’il a commencé à faire du bénévolat dans la maison de repos et résidences-services depuis mars, au tout début de la pandémie en Belgique.

Ce programme de six mois permet à des jeunes âgés de 18 à 25 ans de s’engager au service de la collectivité en accomplissant des missions de terrain. «J’étais au chômage depuis un petit temps, j’avais désespérément besoin de me sentir utile, de faire quelque chose de ma vie, explique-t-il. Et on m’a dit qu’une maison de repos avait désespérément besoin d’aide, on s’est bien trouvés!»

Fournisseur de petits plaisirs

Après une semaine d’intégration et de formation à la Plateforme pour le service citoyen (lire: « Des jeunes de service », Focales n°31, décembre 2016), Arnaud, 22 ans, s’investit quatre jours par semaine bénévolement dans la maison de repos. Il commence sa journée par les courses pour les résidents. Il récolte les listes et les billets de dix euros et se rend au supermarché d’en face. Chocolat, biscuits, cigarettes, alcool: ces petits «plus» dans la vie des résidents sont écrits sur des bouts de papier en lettres cursives comme seuls nos aînés en ont encore le secret. «Ce sont leurs petits désirs, leurs plaisirs de la vie! Quand je lis telle ou telle liste de courses, je sais qui est le résident qui l’a écrite. Je les connais par cœur maintenant, aussi bien que les rayons du supermarché!»

«J’étais au chômage depuis un petit temps, j’avais désespérément besoin de me sentir utile, de faire quelque chose de ma vie.»

Pendant le confinement, son travail était nécessaire et a allégé la tâche des aides-soignantes. Aujourd’hui, les résidents peuvent sortir du home, qui n’a recensé aucun cas de contamination au coronavirus, mais beaucoup d’entre eux n’osent plus aller dans la rue et faire les magasins. D’autres ont perdu en autonomie après quelques mois de confinement. «Le travail d’Arnaud a été notre oxygène, une bouée. Sa présence était très importante pendant le confinement pour nos résidents, et elle l’est encore maintenant. Car, en temps normal, nous n’avons pas le personnel pour une telle tâche», reconnaît Miriam Vitello, directrice adjointe de la maison de repos.

De retour au home, c’est l’heure de la distribution des courses dans les chambres, celle-ci est toujours accompagnée de petits sourires de remerciement. «Je fais quand même drastiquement baisser la moyenne d’âge», chuchote-t-il avec son accent liégeois dans le couloir où sont affichés des dessins d’enfants, des poèmes et des mots envoyés par les familles et des anonymes pendant le confinement.

Au milieu des aides-soignantes qui arpentent la maison de repos, Arnaud trouve sa place: «Je suis là plutôt pour rire avec les résidents, pas pour les soigner évidemment. Une résidente m’a dit pendant le confinement qu’elle avait envie de mourir. J’ai essayé de la faire sourire, de prendre le temps de discuter avec elle.»

Les règles des retrouvailles

Au début du confinement, les visites étaient interdites aux 150 résidents. Les signes de main et les baisers se faisaient à travers une fenêtre ouverte donnant sur la rue où se rassemblaient les familles pendant un quart d’heure. Arnaud s’occupait alors aussi de donner aux familles le linge sale et de récupérer le linge propre et les colis, puis de les isoler quelques heures avant de les donner aux résidents. «En m’occupant du linge et des courses, comme plus personne ne pouvait sortir, je n’arrêtais pas de courir. J’ai directement été mis dans le bain, mais c’était quand même un peu hard», reconnaît-il avec le recul.

Lorsque les visites ont pu s’organiser, les rencontres tant attendues n’ont pas permis les étreintes: une plaque de verre séparait les résidents du monde extérieur dans la petite salle du home où les familles pouvaient enfin se retrouver, mais sans se toucher pendant vingt minutes.

Depuis le 1er juillet, les proches ont désormais le droit d’entrer dans la chambre du résident, à deux personnes au maximum, durant une heure, après avoir prévenu la direction de leur visite. Avec toujours ce même rituel à l’entrée: se laver les mains, être masqué, noter sa visite sur un formulaire. Et c’est à nouveau Arnaud qui vient en aide au personnel pour organiser et gérer ces allers-retours dans les couloirs dans le respect des mesures sanitaires.

«Je n’ai pas trouvé de travail, mais j’ai finalement décidé de reprendre des études en promotion sociale comme éducateur spécialisé, pour travailler auprès de personnes handicapées, âgées ou d’enfants.»

«Quand les visites ont repris, cela a fait beaucoup de bien à tout le monde. Mais il faut rappeler encore aux visiteurs qu’ils ne peuvent pas approcher les résidents. Pas de toucher, pas de bisous.» Des règles pas toujours évidentes à accepter pour les familles. «On fait une fois la remarque. Si les visiteurs ne respectent pas les consignes sanitaires, on ne les accepte plus», détaille-t-il.

De la chance aux jeux

Mais ce que préfère Arnaud, ce sont les animations de l’après-midi: lotto, jeux de société, célébrations d’anniversaires… «Le truc que j’aime le plus, c’est parler avec les résidents et participer aux activités.» Pour cet ancien chef baladin, qui a commencé deux premières années d’études à HEC et une autre première année pour devenir instituteur primaire, c’est ici que tout s’est joué.

«Je n’ai pas trouvé de travail, mais j’ai finalement décidé de reprendre des études en promotion sociale comme éducateur spécialisé, pour travailler auprès de personnes handicapées, âgées ou d’enfants. M’investir à la maison de repos m’a confirmé que j’étais bon là-dedans», raconte-t-il dans la salle d’animation, la bouche pleine de fraises Tagada gagnées lors de la précédente partie de Lotto. Il sourit: «J’ai de la chance dans la vie.»

 

Le service citoyen: un engagement sociétal et une tranche de vie

Née en 2007 à l’initiative de quatre organisations impliquées dans le secteur jeunesse, la Plateforme pour le service citoyen a pour objet l’institutionnalisation du service citoyen en Belgique à travers la création d’un cadre légal fédéral. Malgré le dépôt d’une vingtaine de propositions de loi, aucune n’a encore abouti, alors que douze pays européens ont institutionnalisé ce type de dispositif de manière ambitieuse. Sur le plan opérationnel, la Plateforme pour le service citoyen, financée par les Régions, propose un programme alternant 80 % de temps de mission et 20 % de formation. Âgés de 18 à 25 ans, les jeunes participants s’investissent à temps plein pendant six mois dans des projets d’utilité collective au service du bien commun: un musée, une maison de repos, un centre Fedasil… Plus de 1.500 jeunes s’y sont déjà engagés dans plus de 600 organismes d’accueil. Les jeunes d’une même promotion bénéficient – spécificité belge – de formations dispensées par la Plateforme plusieurs fois par mois et d’un accompagnement personnalisé. Leurs profils sont diversifiés: de la personne porteuse de bracelet électronique à l’étudiant diplômé ou en décrochage scolaire en passant par des demandeurs d’emploi à la recherche d’expérience. Le service citoyen a un impact multidimensionnel sur les jeunes et sur leurs trajectoires: il permet de s’émanciper, acquérir des compétences, se rendre utile et se projeter dans la société. Selon les chiffres de la Plateforme, 80% des jeunes (re)trouvent un emploi ou (re)prennent une formation dans les six mois qui suivent leur engagement sur le terrain.

Fanny Declercq

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