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"PTP wallons : atterrissage en douleur pour la troisième année ?"

22-10-2001 Alter Échos n° 107

Les syndicats wallons ont attiré l’attention depuis la rentrée sur les limites rencontrées par le Programme de transition professionnelle (PTP). En un mois et demi, les plusanciens travailleurs PTP, ceux qui terminent des contrats de trois ans entamés fin 98 se retrouvent sur le marché de l’emploi; or la plupart n’auraient pas amélioréleurs perspectives de réinsertion durable. Le malaise sur le terrain est effectivement manifeste. La ministre de l’Emploi et de la Formation en prend acte et envisage desréorientations.
1. Rapide retour sur les origines
Le Programme de transition professionnelle a été créé en 1997. Il a pour but à la fois d’offrir des emplois à durée déterminée àdes chômeurs peu diplômés et d’aller à la rencontre de demandes d’intérêt collectif. Avec deux ou trois sources de financement public pour les salaires, le PTPest certainement l’aide à l’emploi dont la mise en œuvre est techniquement la plus compliquée. Ce n’est encore rien à côté de la nécessité del’organiser comme un réel moyen de se réinsérer durablement sur le marché régulier de l’emploi.
1.1. L’ancêtre flamand : le projet d’expérience professionnelle
La Région flamande avait développé au cours des années 90, sous son précédent ministre de l’Emploi Théo Kelchtermans, plusieurs vagues de projets quitoutes ont décliné un même modèle d’insertion par l’expérience professionnelle.
Il s’agissait de mettre au travail pendant une durée déterminée des chômeurs de longue durée de façon à les réhabituer à une occupationprofessionnelle et que l’expérience ainsi acquise les repositionne plus favorablement sur le marché de l’emploi. Le principal outil utilisé était les Plans derésorption du chômage qui, plus massivement que dans le reste du pays, étaient ouverts aux personnes en insertion, et pas seulement aux professionnels qui les encadrent. Unetradition de mise en partenariats locaux s’est ainsi construite pour lancer ces projets de création d’emploi. Occupant une position similaire à celle de la formation par le travail dansle reste du pays, ce secteur a en fait été uniformisé grâce à l’arrivée du PTP.
C’est en partie pour diminuer le coût encouru par la Région flamande par personne mise au travail que Miet Smet se met à plancher sur le PTP, qui permettra à uncofinancement fédéral de venir rencontrer des activités déjà existantes issues des différentes vagues de projets des années 90, et dedémultiplier ainsi le soutien que leur offre la Région. En Flandre, on parle désormais de WEP+ au lieu de WEP (Werkervaringprojecten).
Le PTP naît en 1997. La première vague importante de contrats se concrétise en automne 98.
1.2. Les spécificités wallonnes du PTP
Préfigurant le modèle de mise en œuvre qu’on retrouvera par exemple avec les Conventions de premier emploi, le gouvernement Dehaene prévoit des déclinaisons de cetout nouveau PTP en fonction des dynamiques régionales et locales du marché de l’emploi. Les WEP+ flamands dureront un an, les wallons et les bruxellois dureront deux ans. Uneannée supplémentaire est possible pour les chômeurs provenant des zones où les taux de chômage sont les plus hauts au-dessus de la moyenne régionale (20communes en Wallonie).
Le PTP est la première mesure d’activation des allocations de chômage qui offre un contrat de travail. Il marque en Wallonie et à Bruxelles l’apparition d’un nouveau modèled’insertion : la transition professionnelle. Certes, celle-ci existait déjà dans de nombreux projets sur le terrain avec les contrats article 60§7 des CPAS, mais – et sansdoute plus pour longtemps – la mise au travail par les CPAS est une mesure dont le but principal a toujours été de faire retrouver au minimexé ses droits auchômage.
En Wallonie, le PTP est vite développé avec des ambitions quantitatives importantes. On se souvient du ministre Taminiaux serrant la main du 2.000e PTP wallon.
Le volet formation n’est pas obligatoire et l’accompagnement social n’est pas systématique (une convocation du Forem est envoyée à chaque travailleur) : ces aspects sontgénéralement laissés à la discrétion de l’employeur et donc traités de manière très inégale. Leur importance pour une réinsertiondurable en aval du contrat PTP apparaît pourtant évidente.
2. Trois ans de PTP : rien ne va plus?
Quelque 2.825 Wallons sont aujourd’hui occupés sous PTP (hors Communauté germanophone). Mais nombreux sont aussi ceux qui ont terminé un contrat de deux ans ces derniers mois.Les premiers contrats de trois ans signés en 98 arrivent eux à leur terme cet automne. C’est pour ces travailleurs PTP que c’est le plus pénible de couper les pontsavec leur employeur.
2.1. FGTB et CSC montent au créneau
La FGTB tire l’alarme dans un communiqué du 25 septembre, puis le lendemain la CSC1 : la fin des contrats PTP se traduit simplement en licenciements massifs de « travailleurs qui ontassuré correctement leur travail, et qui espéraient, comme dans le cadre des autres PRC, une véritable transition vers un emploi stable. » Or la majorité se retrouve auchômage, s’indigne la CSC, « sans avoir bénéficié d’un quelconque accompagnement ou d’une formation qui leur permette de valoriser leur expérience sur lemarché du travail ». Et de briser une flèche pour le Forem : « Les textes mentionnent explicitement que le Forem est chargé de l’accompagnement et de la formation des travailleursPTP. […] À charge pour lui de mettre en place les partenariats nécessaires à cette fin avec les acteurs locaux. » Pour les syndicats, l’accompagnement doit commencer dèsl’embauche et se poursuivre pendant le contrat et ensuite. La formation doit faire partie du temps de travail plutôt qu’être externalisée.
De plus, la où les emplois créés avec le PTP ont rencontré des demandes de services structurels, la CSC réclame que le personnel sous contrat PTP soit maintenu etque le financement devienne permanent.
Pour la FGTB, les problèmes rencontrés aujourd’hui donnent raison aux réserves qu’elle avait émises il y a trois ans.
2.2. Le CESRW fait le point
Le 8 octobre, le Conseil économique et social (CESRW) surenchérissait en remettant un avis – relativement mitigé – sur le nouveau projet d’arrêté dugouvernement wallon réorganisant l’accompagnement et la formation des PTP.2
===================================================La triple proposition de la ministre Arena
> Une formation en début de contrat, avec une prime de 10.000 francs versée à l’employeur. Budget : 5 millions par an, de quoi couvrir 50% de l’effectif.
> Une formation qualifiante en rapport avec le poste occupé. Budget : 15 millions, soit 40% de l’effectif.
> Un accompagnement intensif en fin de contrat. Budget : 20 millions, soit 57% de l’effectif.
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Reprenant une note d’évaluation de
l’administration, le Conseil rappelle qu’à part dans les projets montés par les missions régionales, il n’existe pratiquement pas deformation professionnelle des PTP, et que le nombre d’accompagnements et de recherches actives d’emploi « n’est pas encore significatif ». Il souligne que sans accompagnement, les travailleursPTP ont tendance à s’imaginer avoir trouvé un emploi pour de bon et ne sont demandeurs ni de formation ni de réflexion sur leur avenir professionnel. L’atterrissage en fin decontrat n’en est que plus pénible, et justifie pour les partenaires sociaux la mise en place d’une formule d’accompagnement qui soit à même de répondre à cessituations trop courantes actuellement.
Le CESRW abonde donc dans le sens proposé par la ministre, mais veut aller plus loin, notamment en demandant que pour chaque contrat PTP soit élaboré un plan de formation.
3. Trois exemples sur le terrain
L’organisation des postes PTP pour assurer une insertion, le devenir des « ex-PTP », ainsi que les solutions trouvées ou envisagées sur le terrain, sont d’une incroyable diversité.On s’en rend compte par un rapide coup de sonde.
On réalise ainsi qu’il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain : le PTP offre des avantages pour les travailleurs et pour les employeurs. On retiendra notamment que le faitde mettre des chômeurs en difficulté directement en emploi – plutôt que de leur proposer systématiquement d’entamer des formations –, leur permet notammentd’améliorer leurs revenus et joue sur la motivation au moins en début de contrat. Et ce malgré le statut ambigu qui fait que le travailleur PTP reste soumis à certainspans de la législation du chômage.
3.1. Le Centre coordonné de l’enfance à Charleroi
Le CCE3, à Charleroi, a engagé quelque 30 personnes dans le cadre d’un premier programme de transition professionnelle (PTP). À ce jour, cet organisme en a engagé unedizaine, tandis que quatre à cinq autres ont trouvé un emploi dans un tout autre secteur que celui où ils ont eu droit à un accompagnement. Les autres font l’objet d’unsuivi supplémentaire de six mois, au travers d’une formation qualifiante, ou d’une recherche d’emploi, ou les deux.4 Reine Marcelis du CCE : « Si nous avions eu l’enveloppe budgétairenécessaire, nous les aurions tous réengagés, car la demande en postes est là. En fait, ce qu’il faudrait c’est refinancer le secteur de la petite enfance. Beaucoup de cestravailleurs n’ont pas compris pourquoi leur contrat se terminait. Aussi, dans le cadre des nouvelles embauche PTP, nous allons davantage mettre l’accent sur le parcours d’insertion et renforcer lesuivi et l’accompagnement des personnes. Une équipe de cinq personnes va encadrer les PTP pour mettre en place un plan de carrière, examiner les difficultés sociales etfamiliales, etc. Pour laisser la place nécessaire à ce suivi, nous allons engager les PTP (35 à 40) à mi-temps. Cette révision à la baisse du temps detravail est d’autant plus nécessaire que nous avons affaire à des chômeurs de longue durée. Il est très lourd pour eux de recommencer à travailler et desuivre une formation en même temps. »
3.2. La DG des Routes et des Autoroutes du MET
De son côté, la Direction générale des Routes et des Autoroutes (DG 1)5, dépendant du ministère wallon de l’Équipement et des Transports, aemployé 150 PTP dans le cadre d’un premier programme qui s’est terminé en mars 2001.6 Une trentaine vont être maintenus jusqu’en juillet-août 2002. Leur travail consistaiten missions d’entretien de la propreté des routes et des parterres. Engagés à 4/5e temps par le MET, les PTP devaient bénéficier d’une formation (1/5e temps)assurée par le Forem. Néanmoins, vu que cette formation n’était pas obligatoire, il semble qu’aucun PTP ne l’ait suivie. À la DG 1, on juge qu’il serait plusintéressant de rendre obligatoire cette formation. La seule qui a été dispensée aux PTP concernait la sécurité, vu le caractère dangereux desautoroutes. Lorsque les crédits le permettaient, des formations au permis de conduire ont été organisées par la DG 1. Cette dernière déplore aussi qu’il n’yait pas eu de cellule de reconversion pour les PTP; en effet, le taux de reclassement est très faible. Tous les PTP ont été engagés sous contrat à duréedéterminée. Enfin, signalons que la DG 1 devrait embaucher 175 nouveaux PTP. Les auditions devraient se dérouler en novembre.
3.3. La cellule de gestion Centre-ville de Mouscron
Ici, 19 personnes sont employées comme stewards urbains sous contrat PTP depuis 1999. La Cellule engage sous contrat PTP à temps plein en apportant elle-même le complémentde financement nécessaire.7 Elle y trouve la souplesse pour organiser des formations liées à la fonction exercée et à la recherche d’emploi. Elle mise donc enpartie sur la rotation du personnel.
Avec l’AMCV, son organe fédératif, elle propose une formation initiale à ce nouveau métier, à laquelle sera bientôt ajoutée une formationcontinuée.
4. Les nouveaux services en tension
Le CESRW le mentionne marginalement, mais au niveau des responsables de projets la question est clairement posée : la nécessité de rotation du personnel cumulée auxlimites du PTP par rapport à ses objectifs d’insertion ont des répercussions directes et importantes sur la qualité et la durabilité des nouveaux servicescréés. Ce second objectif est lui aussi hypothéqué.
4.1. Des situations de travail trop spécifiques
La complexité des procédures d’embauche et des mécanismes de paiement du salaire est telle qu’il apparaît difficile aux employeurs, qui veulent structurer unaccompagnement, d’organiser le PTP comme un outil de socialisation à des situations professionnelles réalistes. Il en va de même là où les PTP sontdétachés dans d’autres organisations que celles qui les embauchent, puisque l’autorité patronale y est scindée de façon relativement artificielle etimprovisée. D’où des répercussions sur la motivation et éventuellement sur la qualité des conditions de travail.
4.2. L’offre de formation inadaptable
L’offre de formation professionnelle en Wallonie ne propose pratiquement pas de solutions – des formations courtes et capitalisables, même non qualifiantes – à des employeursqui cherchent un complément de formation d’un jour ou d’un jour et demi par semaine pendant deux ou trois ans. Les opérations qui ont pu être montées de façontrès volontariste avec l’enseignement de promotion sociale et avec les missions régionales font figure d’exceptions.
De plus, les formations non qualifiantes ne permettent pas de mobilité professionnelle suffisante pour donner au contrat PTP son effet tremplin. Et certaines formations qualifiantes n’offrentaucun débouché : l’exemple le plus manifeste est celui des PTP gardes-malades engagés dans le secteur des soins à domicile, qui, à la suite d’une formation enpromotion sociale, ne trouvent pas d’embauche du fait que ni l’Inami ni la Région wallonne ne financent ces prestations. L’exemple du CCE relevé ci
-dessus illustre cetteproblématique pour le secteur de la petite enfance.
4.3. La remise en cause de l’équilibre économique atteint
Le fait de se séparer d’une partie des travailleurs PTP entraîne des coûts qui peuvent faire capoter les activités économiques créées par les projets :reformer sur le tas une partie de son personnel amène des pertes de productivité ou des réductions du volume de prestations qui peuvent être importantes. Sans parler durisque de tomber sous le coup de la législation sur les licenciements collectifs quand le personnel PTP a été engagé sous contrat à duréeindéterminée.
4.4. La fatigue d’expérimenter
L’énergie et les moyens investis dans nombre de projets PTP leur ont permis de rencontrer des demandes sociales qui nécessitent une réponse permanente et qualitative. Unfinancement temporaire sous forme d’aide à l’emploi devient vite insuffisant. « Le fonctionnement et l’investissement réclament nombre de porteurs de projets PTP, doivent aussiêtre pris en compte par l’État dans la mesure des plus-values que ces projets apportent à la société en plus de la mise au travail des chômeurs. »
5. Marie Arena : “Des catastrophes »
A l’occasion du colloque organisé à l’initiative de Marie Arena le 18 octobre à Liège sur les services de proximité, la création d’emplois et ledéveloppement local8, la problématique des PTP était au cœur d’une bonne partie des discussions.
Lors de la table-ronde de clôture, la ministre a rappelé l’initiative du gouvernement wallon. Elle insiste sur le fait que la compétence et la stabilité feront lacrédibilité des nouveaux emplois de proximité. « On doit faire face au danger que beaucoup de services utilisent l’emploi précaire parce que c’est le seul moyen qu’ilstrouvent pour survivre. On a aujourd’hui affaire à des catastrophes avec les PTP : les gens partent dans la nature et on déstabilise les services. » Et d’ajouter que la prochaineentrée en vigueur du titre-service permettra déjà à court terme à certains projets de trouver des pistes de stabilisation.
1 CSC : Marie-Hélène Ska, Service d’études, chée de Haecht 579 à 1031 Bruxelles, tél. : 02 246 31 11. IW FGTB : Daniel Richard, , tél. : 0477312 360.
2 Rue du Vertbois 13c à 4000 Liège, tél. : 04/232 98 11, fax : 04/232 98 10, e-mail : cesrw@skynet.be, site Web : http://www.cesrw.be
3 Quai de Brabant 6 à 6000 Charleroi, tél. : 071 30 80 11, fax : 071 70 10 05, e-mail : contact@ccenfance.be.
4 Cette prolongation du suivi s’inscrit dans un cadre du programme européen Interreg, Hainaut – Nord-Pas-de-Calais – Picardie. Signalons que ce programme a contribuéà la mise sur pied d’une formation transfrontalière commune à destination de travailleurs, engagés dans le secteur de la petite enfance, dans le cadre du PTP en Wallonie,à Charleroi, et du CES (contrat d’emploi et de solidarité) en France, à Maubeuge. Cette formation a porté sur la connaissance du secteur de l’accueil de lapetite enfance, des modes de travail et des législations de chaque pays. Le reclassement des PTP joue, ici, sur la mobilité des travailleurs.
5 Boulevard du Nord 8 à 5000 Namur, tél. : 081 77 26 67, fax : 081 77 36 66.
6 Il était prévu initialement d’engager 208 personnes, mais ce nombre n’a pu être atteint faute d’un nombre suffisant de candidats.
7 Xavier Zwervaegher, Grand’Place 1 à 7700 Mouscron, tél. : 0497 52 77 08.
8 Rue Moulin de Meuse 4 à 5000 Namur (Beez), tél. 081 23 47 11, fax : 081 23 47 64.

Baudouin Massart

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