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Environnement/territoire

Bruxelles, à qui profiteront les nouveaux quartiers?

La gestion optimale du territoire figure parmi les grandes priorités du gouvernement bruxellois pour cette nouvelle législature. Objectif déclaré, faire face au boom démographique et lutter contre la dualisation sociale. Construction de nouveaux quartiers, transformation de la zone du canal, restructuration de la gouvernance: les chantiers annoncés sont nombreux. Mais à qui va vraiment profiter ce déploiement de moyens publics en matière d’aménagement du territoire?

©flickrccPhilippeClabots

La gestion optimale du territoire figure parmi les grandes priorités du gouvernement bruxellois pour cette nouvelle législature. Objectif déclaré: faire face au boom démographique et lutter contre la dualisation sociale. Construction de nouveaux quartiers, transformation de la zone du canal, restructuration de la gouvernance: les chantiers annoncés sont nombreux. Mais à qui va vraiment profiter ce déploiement de moyens publics en matière d’aménagement du territoire?

Faire entrer Bruxelles dans l’âge de la maturité, 25 ans après son acte de naissance. C’est ainsi que Rudi Vervoort (PS), ministre-président reconduit dans ses fonctions pour cette législature, a décrit la mission de sa nouvelle équipe devant le parlement régional, le 20 juillet dernier.

 

Pour lui, il est l’heure de faire «vivre un projet de région cohérent et novateur». Clé de voûte de cette renaissance régionale: une gestion mieux maîtrisée du territoire, décrite comme la mieux à même de répondre aux besoins de la population et d’assurer un avenir à la Région, qui «connaît une des plus grandes explosions démographiques d’Europe ainsi qu’une dualisation socio-économique croissante».

 

On se souviendra de l’enthousiasme de Laurette Onkelinx au moment de la formation du gouvernement: «C’est dans l’aménagement du territoire qu’il y aura le plus d’ambition, à court, moyen et à long terme». L’exécutif régional concentrera son action sur quelques chantiers d’envergure: la transformation de la zone du canal, présentée comme la nouvelle colonne vertébrale de Bruxelles et érigée en symbole du renouveau, ainsi que le développement de dix nouveaux quartiers sur des friches ferroviaires ou des sites à reconvertir. Parmi les espaces retenus, Reyers, Delta, Heysel avec le mégaprojet de centre commercial NEO, Tour et Taxis et Schaerbeek-Formation en complément du développement du canal, le boulevard Léopold III et l’OTAN…

Le ministre-président à la manœuvre

 

Pour réaliser ces ambitions, l’équipe Vervoort prévoit d’importants remaniements institutionnels. Ce n’est pas vraiment une surprise. Yves Goldstein, chef de cabinet de Rudi Vervoort, l’avait déjà communiqué lors de la précédente législature: «Il est indispensable de révolutionner la gouvernance en fusionnant la trentaine d’acteurs aujourd’hui existants». Donc acte.

 

Dès la rentrée parlementaire d’octobre, le gouvernement soumettra une ordonnance visant à «rationaliser les acteurs de l’aménagement du territoire». Ils seront regroupés au sein d’une plate-forme composée de deux entités distinctes: un bureau bruxellois de planification, qui regroupera les différentes administrations chargées de la connaissance socio-économique et de la planification territoriale (20 organismes concernés), et un opérateur foncier public responsable de coordonner les opérations sur le terrain. La volonté de simplification touche également l’exécutif puisque les compétences urbanistiques (développement territorial, politique de la ville…) sont centralisées chez le ministre-président lui-même alors qu’elles étaient davantage réparties sous la législature précédente.

 

Pour Mathieu Van Criekingen, géographe et enseignant-chercheur à l’ULB, le gouvernement se prépare ainsi aux négociations qui vont se jouer autour des réserves foncières bruxelloises. Il rappelle que les dix nouveaux quartiers prévus par la déclaration de politique gouvernementale correspondent aux derniers espaces de taille importante où la maîtrise du foncier est encore entre les mains de grands propriétaires publics, notamment la SNCB avec le quartier Midi, la gare Josaphat, Schaerbeek-Formation, etc. «La SNCB ne rigole pas et compte bien tirer profit des terrains qu’elle possède à Bruxelles. En restructurant sa gouvernance, le gouvernement se met en capacité d’être plus fort dans la négociation». Il note aussi que la Région veut avoir les mains libres dans la zone du canal, puisque l’idée est que ce soit désormais elle qui donne les permis en lieu et place des communes. «Autrement dit, dans cette zone d’exception, la Région va aussi s’attribuer certains permis à elle-même.»

Simplification et dérégulation

 

Si la Région se donne les moyens de mieux maîtriser le foncier, reste à voir qui va réellement profiter des effets de cette politique. Sur ces pans de territoire, le gouvernement veut surtout construire du logement, pour, dit-il, répondre au boom démographique. Sa stratégie – la Région manque d’argent – est de s’appuyer sur les grands promoteurs immobiliers, en utilisant les partenariats public-privé. Et pour hâter cette production immobilière, elle leur déroule le tapis rouge.

 

Pour Claire Scohier, d’Inter-Environnement Bruxelles, la volonté de simplification, leitmotiv qui traverse toute la nouvelle déclaration gouvernementale, se traduit ainsi par une forte dérégulation. «On ouvre les robinets sans avoir prévu les cadres qui permettront de capter les plus-values de ces opérations». Réforme du Code bruxellois de l’urbanisme, assouplissement du règlement d’urbanisme régional, obligation de soumettre les projets à une commission de concertation citoyenne revue à la baisse: la tendance inquiète aussi Liévin Chemin, du Rassemblement bruxellois pour le droit à l’habitat 1. «La commission de concertation est un acquis majeur de la société civile bruxelloise: environnementalistes, protecteurs du patrimoine ou mouvements sociaux ont obtenu cette obligation de l’enquête publique, après des années de lutte contre la bruxellisation. La simplification administrative a bon dos si elle vise à permettre aux acteurs les plus puissants financièrement d’accélérer et de multiplier leurs projets.»

 

Il rappelle que l’adoption du PRAS démographique lors de la précédente législature (Plan régional d’affectation du sol) avait déjà ouvert de larges boulevards aux grands projets immobiliers, alors même que le Plan régional de développement durable (PRDD), document duquel le PRAS est censé découler, n’avait pu aboutir (et n’a toujours pas abouti). Comme il le résume, on a d’abord décidé du «on peut faire quoi et où?» (le PRAS) avant le «on va faire quoi et comment?» (le PRDD). Le gouvernement annonce la mise à l’enquête publique du PRDD dans les six mois, mais, pour Liévin Chemin, le document court le risque d’être ajusté aux nouvelles orientations, notamment celles définies dans le PRAS démographique. C’est ce dernier qui, notamment, a permis de changer l’affectation des sols dans les zones à développer, à savoir le canal et les dix nouveaux quartiers. Prétexte invoqué: l’urgence de faire face à la crise du logement. Mais justement, à qui vont se destiner ces nouveaux logements?

Des logements pour tous?

 

Pour Mathieu Van Criekingen, la stratégie du gouvernement est déconcertante. «On va faciliter par tous les moyens la production de logements en laissant le champ libre au marché. Mais quel est le diagnostic? Dans les villes, où la production immobilière est importante, les prix montent, ils ne baissent pas. On dirait que le gouvernement résonne avec le sol comme avec les pommes et les poires, mais ce n’est pas la même chose.» Pour lui, cette approche va faire monter les prix et rendre l’accès au logement encore plus difficile à la grande majorité des Bruxellois. Autrement dit, la dualisation sociale, que le gouvernement prétend vouloir combattre, va encore s’aggraver. «C’est le serpent qui se mord la queue.»

«On va faciliter par tous les moyens la production de logements en laissant le champ libre au marché. Mais quel est le diagnostic? Dans les villes, où la production immobilière est importante, les prix montent, ils ne baissent pas. On dirait que le gouvernement résonne avec le sol comme avec les pommes et les poires, mais ce n’est pas la même chose.» Mathieu Van Criekingen, ULB.

Le constat est identique du côté du RBDH. «En accélérant la production de logement acquisitif neuf par de grands opérateurs privés, le nouveau gouvernement persévère dans une erreur flagrante relevée par le monde associatif depuis 2011», souligne Liévin Chemin. «Oui, il y a une croissance de la population et il faut loger tous les nouveaux Bruxellois. Mais lesquels en priorité? La stratégie du gouvernement ne va pas générer une offre accessible aux revenus faibles et moyens.» Et de donner l’exemple du projet Nautilus, au bord du canal, où un logement vaut 2.400 euros/m2. «Les Bruxellois vivent en moyenne sur du 1.500 euros/m2. Est-on vraiment dans des prix accessibles?» Pour lui, il est évident que les promoteurs n’ont pas intérêt à produire du logement abordable. Il estime qu’on assiste ni plus ni moins à un détournement des moyens publics à destination de ceux qui en ont le moins besoin.

 

Mathieu Van Criekingen s’interroge aussi sur le sort des 44.000 ménages qui, à Bruxelles, sont en attente d’un logement social. «Le gouvernement annonce la construction de 6.500 logements publics, dont 60% de logements sociaux. Il ambitionne donc de créer 3.900 logements sociaux d’ici cinq ans. Vu le nombre de personnes en attente, ce n’est plus un décalage, mais un gouffre. Comment, en construisant de nouveaux quartiers inaccessibles à ces 44.000 ménages, va-t-on soulager les quartiers où ils s’entassent aujourd’hui? Je ne vois pas par quel miracle on va ‘concrétiser le droit au logement’ comme l’affirme l’Accord de majorité.» Claire Scohier abonde en son sens: la vraie question, c’est de permettre à la population bruxelloise d’accéder à un logement convenable. Pour elle, la Région aurait pu mobiliser les ressources foncières pour construire du logement social. «Fondamentalement, la part de logement public est catastrophique. Si l’on avait une part plus importante de logements sociaux, cela permettrait une augmentation du pouvoir d’achat. Dans des villes comme Paris, elle s’élève à 25-30%. À Bruxelles, elle est de 7%.»

«Le gouvernement annonce la construction de 6.500 logements publics, dont 60% de logements sociaux. Il ambitionne donc de créer 3.900 logements sociaux d’ici cinq ans. Vu le nombre de personnes en attente, ce n’est plus un décalage, mais un gouffre. Comment, en construisant de nouveaux quartiers inaccessibles à ces 44.000 ménages, va-t-on soulager les quartiers où ils s’entassent aujourd’hui? Mathieu Van Criekingen, ULB.

Pour de nombreux observateurs, l’ombre du Plan de développement international de Bruxelles (PDI), qui date de 2007, plane fortement sur la nouvelle déclaration de politique régionale. Dans le PDI, on trouve déjà la recommandation de développer certains des nouveaux quartiers prévus dans l’actuelle déclaration de politique régionale. À l’époque, ils étaient présentés comme des moyens d’assurer le rayonnement international de Bruxelles. Aujourd’hui, ils sont censés «répondre au boom démographique». Voilà qui donne du grain à moudre sur la manière dont on doit déchiffrer la stratégie du gouvernement.

(1) Signalons que la prochaine livraison de la revue Article 23, éditée par le RDBH, prévue pour le mois d’octobre, traitera en profondeur de ces différentes questions.

Aller plus loin

Alter Échos n°382-383 du 19.05.2014 : «Heyvaert, le quartier qui déménage»

Alter Échos n°377 du 10.03.2014 : «Dernier baroud d’honneur pour le PRDD»

Amélie Mouton

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