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Retraites, une affaire conclue ?

À chaque législature, l’épineux dossier de la réforme des pensions revient telle une épreuve olympique. Un fil rouge, parfois marqué de grèves, de manifestations, un rendez-vous souvent manqué, côté politique, avec dans les analyses des uns et des autres cette question en toile de fond: comment faire face au bouleversement de la pyramide des âges sans mettre à mal les finances de la collectivité?

pension©filckccsimo,_cunningham
pension©filckccsimo,_cunningham

C’est un constat auquel font face la plupart des pays européens depuis le début des années 2000. Le pic de natalité de l’après-guerre n’a pas été compensé par suffisamment de naissances après les années 70. La population européenne vieillit. Il y a de moins en moins d’actifs pour payer les retraites des baby-boomers. Résultat: d’ici à 2070, au sein de la société belge, la tranche d’âge de 18 à 66 ans va augmenter de 1,4 % tandis que celle des 67 ans et plus augmentera de 58,2 %. Qui dit coût du vieillissement, dit augmentation des dépenses sociales, donc des pensions par rapport au PIB. En Belgique, le coût des pensions avoisine déjà les 10% du PIB. Ce coût pourrait encore augmenter de 4 à 5% dans les prochaines années, si rien n’est fait pour réformer le système.

Dans les années 80, la Belgique a déjà modifié son système de pensions, passant d’un régime de capitalisation – où chaque travailleur épargne pour sa propre pension – à un régime de répartition où c’est la population active qui finance les retraites en temps réel. Le système des pensions a ensuite subi plusieurs réformes par les gouvernements successifs (lire Alter Échos n°467 d’octobre 2018). En 2015, sous le gouvernement Michel, l’âge légal de la pension passait de 65 à 66 ans à partir de 2025 puis à 67 ans à partir de 2030. Depuis 2019, il faut désormais 42 ans de carrière et un âge minimum de 63 ans pour prétendre à une retraite anticipée. Mais seuls 10% des travailleurs devront réellement travailler jusqu’à 67 ans, assurait alors le ministre des Pensions Daniel Bacquelaine (MR) dans nos pages en 2018. «À l’heure actuelle, à peine 10% des gens travaillent jusqu’à 65 ans. Il n’y a aucune raison que cela change à l’avenir.» Pour l’actuel Premier ministre, Alexander De Croo (Open VLD), la pension à 67 ans serait même un «concept théorique», affirmait-il récemment sur VTM. «Ce qui est important, c’est la carrière», évoquant une durée de 42, voire 43 ans.

Des pensions basses, mais impayables?

Les pensions belges sont pourtant parmi les plus basses d’Europe. Le taux de remplacement, qui mesure à quel point la pension remplace le salaire, est de 66% en Belgique, en France de 75%, en Espagne de 80%. La moyenne européenne est de 71%. Quelques chiffres encore? La pension moyenne d’un fonctionnaire est de 2.600 euros, 1.500 pour un salarié et 1.310 pour un indépendant. Selon le SPF Pensions, 67% des indépendants, 57% des salariés, mais seulement 6% des fonctionnaires ont une pension inférieure à 1.500 euros (lire Alter Échos n°487 d’octobre 2020).

C’est sous la Vivaldi que la pension minimum pour une carrière complète est passée effectivement à 1.500 euros net par mois en 2024. Une mesure qui concerne 700.000 personnes. Et l’actuelle ministre des Pensions, la socialiste Karine Lalieux (PS), de rappeler le cadre budgétaire d’une telle réforme dans une interview donnée à Alter Échos en 2021: «Nous ne sommes pas le pays qui dépense le plus pour les pensions et les soins de santé. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne doit pas être attentif à la soutenabilité financière. Simplement, si on a un taux d’emploi qui augmente, une productivité qui augmente, une société plus inclusive, je dis qu’il y a de l’argent.»

Les femmes dans le viseur

S’il y a de l’argent, malheureusement, il revient rarement aux femmes. Lors de chaque réforme, elles restent les grandes perdantes du système, constatait déjà en octobre 2020 Patrick Feltesse, conseiller socio-économique pour le MOC et le spécialiste «pension» du mouvement. «Quand en 1996, on a fait passer l’âge de la pension pour les femmes de 60 à 65 ans, leur rémunération de chaque année est passée d’une division par 45 au lieu de 40. Cette mesure a pénalisé toutes les femmes qui avaient interrompu leur activité professionnelle, mais n’étaient plus en mesure de la reprendre pour compenser les effets de la réforme.» 

Même par rapport à la pension minimum revalorisée par le gouvernement actuel, les femmes seront apparemment lésées. Avant, pour y avoir droit, il fallait avoir effectué 30 années de carrière de travail effectif et/ou assimilé. Aujourd’hui, on introduit une condition de travail effectif de minimum 5.000 jours – soit environ 20 ans de carrière – qui admet une période de 10 ans de travail assimilés. Une nouvelle condition qui pénalise lourdement les femmes. En effet, l’accès à la pension des femmes sera plus difficile, car les périodes de congés parentaux, les crédits-temps de soins que les femmes prennent encore majoritairement pour porter soins et assistance aux personnes malades de la famille ne seront plus pris en compte de la même manière. De plus, 80 % des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes. Elles n’auront donc plus accès de la même manière à la pension minimum. Le Bureau fédéral du Plan a estimé que cette perte pourrait aller pour certaines d’entre elles jusqu’à 440 €.

Pourtant, à en croire la ministre Lalieux, le fil rouge de cette réforme, outre la justice sociale, c’était aussi l’égalité hommes/femmes. «Je veux rectifier les inégalités au niveau des pensions qui sont la résultante de la carrière. Nous voulons revaloriser le travail à temps partiel pour que les femmes puissent avoir accès plus facilement à la pension minimum», précisait-elle en 2021. Force est de constater qu’on n’y sera pas encore cette fois-ci.

En attendant, les femmes sont des pensionnées pauvres. Aujourd’hui, l’écart entre les pensions des hommes et des femmes est de 33%. 350.000 femmes ont d’ailleurs une pension inférieure à 800 euros parce qu’elles ont des carrières moins complètes et des périodes de maladie plus longues.

Des pensionnés au boulot

Pour certain(e)s, la pension rime dès lors et de plus souvent avec travail. 100.000 pensionnés poursuivent d’ailleurs une activité professionnelle. C’est 30.000 de plus qu’il y a 10 ans. Il s’agit de venir compléter une pension trop faible. Mais aussi de rester actif, de ne pas s’arrêter, de découvrir d’autres horizons… Tout en étant bien sûr payé (lire Alter Échos n°474 de juin 2019). Un changement réglementaire est venu rebattre les cartes en 2015 sous le gouvernement Michel. Depuis cette date, les pensionnés âgés de 65 ans au moins ou ayant comptabilisé 45 années de carrière peuvent cumuler pension et revenus du travail de façon illimitée. Ce qui n’était pas le cas auparavant puisque des plafonds de revenus étaient prévus…

Une évolution qui s’explique également, d’après Eneo, le mouvement social des aînés des Mutualités chrétiennes, par le changement de profil des pensionnés. «Ils connaissent une moindre linéarité des parcours de vie. Le fait d’entrer dans la vie professionnelle plus tard, de vivre dans une famille recomposée et d’avoir donc charge de famille plus tardivement peut pousser les pensionnés à vouloir travailler», analysait dans nos pages Philippe Andrianne, secrétaire politique d’Eneo. «Nous ne voulons pas faire la pub de ce genre de pratique, nous en craignons les effets néfastes», poursuivait-il. Le raisonnement est simple: à trop parler de ce phénomène, on finirait par le banaliser et, peut-être, tenter un(e) futur(e) ministre des Pensions de considérer «que, parce que les seniors travaillent, il ou elle n’a pas besoin de relever le niveau des pensions en Belgique. Pour nous, supprimer les plafonds de revenus, cela équivaut à dire ‘Arrêtez de financer les pensions’», prévenait-on du côté d’Eneo.

 

Pierre Jassogne

Pierre Jassogne

Journaliste (social, justice)

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