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Regard critique · Justice sociale

Aide à la jeunesse

Conflit d’intérêt dans l’aide à la jeunesse : halte à l’esquive !

19-06-2017
Alberto Mulas ©ISPPC

Le 16 mai dernier, Alter Échos sortait un article sous forme de question: peut-on parler de «Favoritisme et conflit d’intérêt au cabinet Madrane?» En réaction, deux directeurs d’AMO ont publié, sur le site du Guide social, une carte blanche mettant en doute l’intégrité de notre travail. Voici le droit de réponse d’Alter Échos, également publié sur le site du Guide social.

Le 29 mai dernier, le Guide social publiait une carte blanche intitulée «Aide à la jeunesse: entre désir d’inertie et force de progrès», écrite par Jacques Duchenne, directeur du service d’aide en milieu ouvert (AMO) Sajmo et de Jacques Taylor directeur d’une autre AMO, PlanJ, à Tubize.

Leur texte évoque les rapports de force entre laïcs et catholiques au sein du secteur de l’Aide à la jeunesse en dénonçant l’influence de ces derniers. Les arguments y sont intéressants et rappellent l’existence de ce clivage dans un secteur important de la Communauté française.

Cette carte blanche met en doute l’intégrité de notre travail journalistique, dans un registre proche de la diffamation. En cause: l’article publié dans le n°444 d’Alter Échos, intitulé «Favoritisme et conflit d’intérêt au cabinet Madrane?»

Dans cette grande bataille, décrite par les auteurs comme celle des tenants du catholicisme et des services privés résidentiels face à un pôle laïc, progressiste et défenseur de la prévention, nous aurions pris parti pour les catholiques réunis au sein de l’Interfédération de l’Aide à la jeunesse (qui compte pourtant une fédération laïque en son sein, certes minoritaire, mais rappelons-le). Nous l’aurions fait en attaquant injustement un membre du cabinet de Rachid Madrane à des fins de déstabilisation de son projet politique!

Pire, notre article serait écrit «sans aucun recoupement entre assertions et véracité des faits». En posant la simple question de l’ambiguïté de l’attribution de budgets, nous serions en fait des pourfendeurs du progrès.

Une telle attaque méritait bien un droit de réponse.

Alter Échos est un magazine non-partisan rédigé par des journalistes professionnels. Nous traitons régulièrement les sujets clé de l’Aide à la jeunesse, en donnant la parole aux différents acteurs, en reflétant les différents points de vue (et nous invitons les lecteurs à s’en assurer en consultant notre site).

Cet article est le fruit d’une enquête de longue durée. Les témoignages sont anonymes, car toutes les personnes citées craignent des répercussions pour leur service ou leurs carrières. Ces témoignages ne proviennent nullement d’une source unique. Ils ont été recoupés et croisés. Ils émanent tant de services publics que de membres de l’administration et de services privés. Nous avons bien sûr respecté une règle déontologique fondamentale en questionnant Alberto Mulas, conseiller de Rachid Madrane, et principal concerné par notre enquête. Ses arguments sont retranscrits longuement dans le texte final.

Voilà pour la méthode de travail. Mais le plus important, ce sont les faits. Ceux sur lesquels nous posons une question: peut-on parler de favoritisme ou de conflit d’intérêt dans l’attribution du budget de refinancement du secteur de l’Aide à la jeunesse?

Alors que cette question est au cœur de notre enquête, les auteurs de la carte blanche l’ignorent, préférant nous entraîner vers d’autres enjeux (rôle de la prévention, poids du pôle catholique), certes passionnants, mais qui éludent les vraies questions que nous pouvons résumer en quelques points saillants.

Un membre important du cabinet de Rachid Madrane, en l’occurrence Alberto Mulas, son directeur adjoint, a été «détaché» de son poste de directeur de la cité de l’enfance, qui constitue le pôle «aide à la jeunesse» de l’intercommunale de santé publique du pays de Charleroi (ISPPC). Monsieur Mulas récupérera donc son poste de directeur à l’issue du mandat de Rachid Madrane. En cela rien d’anormal.

Trois faits interpellent:

1) Le refinancement du secteur de l’Aide à la jeunesse (obtenu par Rachid Madrane et salué par l’ensemble du secteur, comme nous le rapportions dans une édition précédente), bénéficie grandement à l’ISPPC qui ouvrira trois nouveaux services et doublera la capacité d’un quatrième. Si l’on regarde de plus près, on constate que l’ISPPC à elle seule concentre près de 22% des ouvertures de nouvelles places en SAIE (service d’action et d’intervention éducative) à l’échelle de toute la Fédération Wallonie-Bruxelles.

2) Alberto Mulas siégeait dans la commission ad’hoc en charge de distribuer les subsides. Certes, il affirme qu’il ne votait pas lors des délibérations concernant son institution. Mais il siégeait dans la Commission en compagnie de deux autres membres du même cabinet, au rang hiérarchique inférieur. Notons que des témoins internes à l’ISPPC affirment que l’institution était au courant des appels à projets avant leur publication et se réjouissaient déjà de l’ouverture de nouveaux services.

3) Les AMO. Comme le soulignent les auteurs de la carte blanche, il est positif de renforcer le secteur de la prévention, généralement qualifié de «parent pauvre» de l’Aide à la jeunesse. Ce que notre article interrogeait c’était la répartition de subsides facultatifs via l’appel à projets «hors les murs». Nous ne contestions pas l’intérêt de renforcer le secteur de la prévention, au contraire. Mais nous constations une chose: l’appel à projet, dans l’arrondissement de Charleroi, n’a quasiment bénéficié qu’à des AMO de l’ISPPC.

Ne pas s’interroger sur de possibles conflits d’intérêts, sur l’orientation ambiguë des budgets vers l’ISPPC – structure «mère» d’un membre influent du cabinet du ministre compétent – serait un manquement à la déontologie journalistique.

La carte blanche attaque notre article. Mais elle esquive ces questions. Oui, il existe dans l’Aide à la jeunesse des clivages entre pôles «catholiques» et «laïcs» (même si ces divisions sont en réalité plus complexes que cela). Mais ce n’est pas le sujet de notre enquête. Nous n’évoquons pas une orientation des budgets vers un «pôle laïc» au détriment d’un «pôle catholique». Nous parlons ici de l’orientation vers une structure en particulier, celle du directeur-adjoint du cabinet de Rachid Madrane.

Au vu des éléments qui ont filtré dans la presse, la gestion de l’ISPPC semble loin d’être irréprochable. Dans ce contexte, il importe de faire connaître tout élément pouvant contribuer, même à la marge, à rendre plus transparente l’utilisation des deniers publics.

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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