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Budget 2006 : économies en vue

C’est traditionnellement au mois de juillet qu’ont lieu les discussions parlementaires sur les ajustements budgétaires aux Régions et aux Communautés. Cesajustements servent à réorienter, en fonction des priorités politiques du moment, les moyens disponibles; et aussi (et même surtout) à vérifier que lesdépenses ne dépasseront pas les recettes. Une manière aussi de prévoir le climat budgétaire de l’année prochaine. Pour la Région wallonne, troiséléments viennent assombrir les perspectives : l’accord au comité de concertation fédéral en juin dernier, la faible croissance et l’application de laméthodologie SEC 95, une nouvelle manière de comptabiliser recettes et dépenses imposée au niveau européen. Conséquence: l’année 2006 sera difficile.À la Cocof, les choses sont plus simples, mais aussi plus dramatiques. L’endettement augmente alors que certains engagements, tels les accords du non-marchand dans le secteur de laCohésion sociale, n’ont pas encore trouvé de financement. Par ailleurs, les projections du Centre de recherche sur l’économie wallonne (Crew)1, publiéesfin juin, montrent que si la croissance ne reprend pas, l’année 2006 sera difficile pour toutes les entités francophones.

02-08-2005 Alter Échos n° 191

C’est traditionnellement au mois de juillet qu’ont lieu les discussions parlementaires sur les ajustements budgétaires aux Régions et aux Communautés. Cesajustements servent à réorienter, en fonction des priorités politiques du moment, les moyens disponibles; et aussi (et même surtout) à vérifier que lesdépenses ne dépasseront pas les recettes. Une manière aussi de prévoir le climat budgétaire de l’année prochaine. Pour la Région wallonne, troiséléments viennent assombrir les perspectives : l’accord au comité de concertation fédéral en juin dernier, la faible croissance et l’application de laméthodologie SEC 95, une nouvelle manière de comptabiliser recettes et dépenses imposée au niveau européen. Conséquence: l’année 2006 sera difficile.À la Cocof, les choses sont plus simples, mais aussi plus dramatiques. L’endettement augmente alors que certains engagements, tels les accords du non-marchand dans le secteur de laCohésion sociale, n’ont pas encore trouvé de financement. Par ailleurs, les projections du Centre de recherche sur l’économie wallonne (Crew)1, publiéesfin juin, montrent que si la croissance ne reprend pas, l’année 2006 sera difficile pour toutes les entités francophones.

Région wallonne : « un ajustement technique »

Premier élément, la croissance économique est passée de 2,2% à 1,5%. La région perd ainsi 22 millions de recettes. Michel Daerden, le ministre du Budget(PS), indique par ailleurs que « compte tenu des dernières prévisions économiques, les travaux budgétaires 2006 s’annoncent difficiles ».

Autre limitation budgétaire, la révision à la baisse de la capacité d’endettement de la Région. Explications : courant du mois de juin, lesreprésentants du Fédéral et des différentes entités se sont réunis pour discuter du respect des normes européennes (et répartir l’effortbudgétaire nécessaire pour rester dans les normes du pacte de stabilité imposé au niveau européen). Un nouvel accord a été signé pour lapériode 2005-2009. Résultat ? Une diminution de la capacité d’emprunt de la Région. Le déficit maximal pour 2005 passe de 45,3 à 12,5 millions d’euros.Soit 33 millions en moins à injecter dans les politiques de la Région. Enfin, une série d’ajustements techniques pour 45 millions, et les effets du passage à lanorme SEC 95. Au total, cela fait 100 millions d’euros à trouver.

Mais heureusement, une série de recettes sont à la hausse. La douloureuse devient acceptable notamment grâce aux recettes tirées des droits d’enregistrement et desuccession, pour un montant total de 60 millions. Le budget enregistre aussi des recettes exceptionnelles liées au versement par le fédéral d’une partie de la DLU. Lebudget est donc (presque) à l’équilibre.

L’opposition critique l’absence d’opérationnalisation des objectifs du gouvernement

Sans surprise, les groupes PS et CDH ont défendu la ligne gouvernementale en soulignant le contexte économique difficile. Quant aux représentants de l’opposition (MR etEcolo), ils ont évoqué, en filigrane, les différents plans mis sur pied ou annoncés par le gouvernement depuis un an. Serge Kubla (MR) voit là une perte de temps.« Vous reportez à la rentrée tout le travail de « réanimation » de ces plans mal fichus, avec l’année 2006 comme perspective budgétaire. » En fin dedébat, il conclut : « Je reste convaincu que l’ajustement est un zakouski par rapport à ce qui nous attend réellement. Succéder à des plansstratégiques, à un Contrat d’avenir, et à un Resa, pour finir par être appelé « grand plan », cela fait un peu « tête à neuneu » ». Moinshumoristique, Bernard Wesphael (Ecolo), s’inquiète des relations avec l’Etat fédéral et de la diminution de la marge budgétaire suite au comité deconcertation entre le Fédéral et les entités qui s’est tenu en juin. Il critique lui aussi l’absence de visibilité de la politique gouvernementale. « En un an, il y asurtout eu beaucoup de plans. Au-delà, quelle est la ligne de conduite, quelles sont les décisions concrètes, les priorités et les résultats ? ».

De son côté, Richard Miller (MR) s’est ému de la réduction des crédits facultatifs dans les secteurs de l’intégration des personneshandicapées et des personnes étrangères. Ceux-ci, relève le député MR, sont justifiés par l’augmentation « réglementaire »d’une série d’allocations de base. « Que le gouvernement respecte les différentes réglementations, rien de plus normal, mais qu’un gouvernementmajoritairement socialiste le fasse en réduisant les moyens accordés à l’intégration sociale des personnes handicapées et des personnesétrangères, je ne comprends pas ! » Réponse du ministre Daerden. « Vous avez été amené, Madame la Ministre Vienne, à réduire voscrédits facultatifs pour respecter les engagements réglementaires. C’est toute la philosophie du système. Que veut faire Monsieur Miller ? Il souhaite augmenter lesallocations facultatives. C’est tout à fait louable mais impossible à l’époque que nous vivons aujourd’hui. »

Le ministre du Budget a, quant à lui, publié un communiqué de presse où il rappelle le « contexte économique difficile ». Il insiste par ailleurs surla poursuite des objectifs du gouvernement à travers la mise en œuvre des plans stratégiques 1 et 2. Le communiqué évoque aussi des pistes d’économies.Ainsi, le gouvernement wallon réalisera une analyse « plus systématique des crédits facultatifs dans l’esprit du « budget base zéro » ». Et laprécision du communiqué sonne comme un avertissement pour ces crédits non récurrents : dorénavant « aucun crédit n’est considérécomme acquis d’une année à l’autre, mais bien octroyé en fonction des priorités du gouvernement ». Par ailleurs, le gouvernement veutréfléchir à l’utilisation des moyens qui existent chez les organes de développement économique pararégionaux (SRIW, Sogepa,…) pour mieux lesorienter vers les priorités contenues dans les plans stratégiques 1 et 2.

L’étude du Crew

Le Centre de recherche sur l’économie wallonne (Crew) réalise chaque année des projections budgétaires pour les différentes entités francophones. Auvu des dernières données économiques disponibles, l’équipe du professeur Robert Deschamps y trace les perspectives budgétaires de 2005 à 2015. Elles restentdifficiles au moins jusqu’en 2007 pour la Région wallonne.
Sur la base du budget 2005, il apparaît que les objectifs fixés dans le cadre du comité de concertation ne pourront être atteints qu’en réduisant lesdépenses en 2006. Le comité prévoit un déficit de 26,8 millions ,alors que les prévisions du Crew les situent plutôt à 136 millions, si la croissancen’augmente pas. Pour l’année suivante, « de légères marges budgétaires se dégagent ; elles peuvent être utilisées soit à uneaugmentation des dépenses, soit à une diminution de la fiscalité régionale, soit à une baisse de l’endettement. »
Cette analyse est contestée par Michel Daerden tant pour la Région wallonne que pour la Communauté française, dont il est également ministre du Budget. Il voit deuxproblèmes de méthode dans l’application du modèle du Crew. L’étude « ne prend pas en compte la sous-utilisation des crédits. Je sais que cettesous-utilisation n’est pas très importante mais elle représente quand même 48 millions d’euros et à l’ajusté, par référence à la Cour descomptes, 60 millions d’euros. Vous pouvez aisément imaginer à quelles divergences des projections à dix ans peuvent aboutir si l’on omet d’emblée de comptabiliser 60millions ! C’est une erreur fondamentale. » Seconde « faille » : « L’analyse montre que le professeur Deschamps est systématiquement pessimiste dans l’évolutiondes clés déterminant les recettes. » Et le ministre du Budget de conclure que la Communauté et la Région respectent « strictement l’accord decoopération pour 2005 (qui fixe le taux d’endettement de chaque entité, ndlr) et que selon les projections [elle est] globalement à l’équilibre sur la période2006-2009, à politique inchangée évidemment. »
Le professeur Deschamps ne veut pas polémiquer avec le ministre Daerden. Il rappelle que son modèle est le fruit d’un travail mené depuis 1991 qui vise à affiner lesperspectives budgétaires des entités francophones. Il explique que la sous-utilisation des dépenses n’est pas prise en compte dans la mesure où elle n’a pas toujoursété effective. Il se réjouit de voir cette prudence adoptée par le gouvernement, ce qui permettra de diminuer l’endettement et à terme, de retrouver des marges demanoeuvre. Quant au taux de croissance pris en compte, il est issu des données fournies par le Bureau fédéral du Plan, sur lesquelles se basent tous les analystesbudgétaires. « Les paramètres ne sont pas optimistes parce qu’en Wallonie, le taux d’emploi et le taux d’investissement sont plus bas qu’en Flandre. Il est donc illusoire depenser que l’on pourra tabler sur un taux de croissance plus élevé, du moins à moyen terme », précise Robert Deschamps.

Cocof : la situation est grave mais (pas) désespérée

Ici aussi, on parle d’ajustements techniques, selon les termes de la ministre du Budget, l’Ecolo Evelyne Huytebroeck. Mais les parlementaires, majorité et opposition confondues, s’accordentpour dire que derrière la technique budgétaire, il y a bien un enjeu politique crucial, celui de « la question lancinante du sous-financement de la Commission communautairefrançaise » selon Dominique Braeckman, pour le groupe Écolo. Les problèmes sont nombreux : réduction de la trésorerie due au préfinancement desprogramme FSE, surestimation des recettes propres, absence de traduction budgétaire d’engagements pris récemment… Chacun, y compris la ministre du Budget, se dit pessimiste quantà la situation financière de la Cocof. Pour Evelyne Huytebroeck, « l’héritage est lourd, la trésorerie n’est pas brillante et les pistes de financement ne sont pasfaciles à trouver ».

Dans l’opposition, le MR attend des réponses face aux difficultés du budget 2005. Il évoque par la voix de Didier Gosuin une série de mesures (centralisation destrésoreries, meilleur suivi des dépenses) et la réduction de 10 %, comme en Région wallonne, des frais de cabinet. Il reprend la proposition du rapporteur de la Commissionbudget, André du Bus de Warnaffe (CDH), d’une renégociation des emprunts avec la Banque européenne d’investissement.

L’élément le plus délicat de cet ajustement vise les accords du non-marchand dans le secteur de la cohésion sociale, un des points de l’accord de gouvernement, commel’a rappelé la députée PS Anne-Sylvie Mouzon. Un cadastre de l’emploi est en cours de réalisation, mais les projections laissent penser que des moyens importants serontnécessaires pour assumer les coûts engendrés par la progression des personnels de ce secteur vers les barèmes de la 305.1. Les demandes des secteurs non marchands touchentaussi les entreprises de travail adapté et les ACS. On parle de 27 millions d’euros supplémentaires. Or le déficit est déjà de 9,5 millions d’euros pour 2005,après un déficit de 11 millions en 2004. Et le comité de concertation fédéral (voir plus haut) n’autorise aucun déficit à la Cocof.

Un refinancement de la Cocof ?

Dans ces conditions, la discussion s’est rapidement orientée vers le refinancement de l’entité par la Région. Pour le MR, il fallait profiter de la nouvelle législaturepour négocier un refinancement. Sous-entendu, il fallait garder la précédente coalition, seule à même de garantir une majorité au parlement bruxellois sansl’apport des députés flamands de la majorité. Puisqu’un refinancement des matières émanant de la Communauté, mais gérées par la Régionbruxelloise, doit obtenir l’accord des Flamands de Bruxelles. Pour André du Bus de Warnaffe, la question est la suivante : « Peut-on continuer à déplorer les faiblesressources de la Commission communautaire française et l’impossibilité pour celle-ci d’honorer ses engagements, sans mener un débat de fond sur la question ? » Pour ledéputé, les accords du non-marchand « saignent à blanc notre institution ». Mais sont aussi pointées des dépenses de prestige tels la construction duCiva ou encore le financement de la RTBF dans le cadre du plan Magellan. Pour le député CDH, « les accords du non-marchand ont été signés par laRégion. Il semble normal que celle-ci assume ses engagements pour mettre un terme à un dossier dont l’issue ne passera que par un financement ». Autre levier évoquépar Dominique Braeckman, la réobjectivation des accords de la Saint-Quentin avec la Région wallonne. Actuellement, la Cocof perçoit 23 % des recettes liées auxcompétences qui ont été transférées de la Communauté française vers les Régions en 1993 (CPAS, ISP, maisons maternelles etc.). D. Braeckmanveut augmenter ce pourcentage.

Pour la ministre Écolo, le refinancement semble incontournable. Mais elle dit « refuser les effets d’annonce. Ce n’est pas parce que je n’en parle pas tous les jours que nous netravaillons pas, techniquement et politiquement, à dégager des pistes absolument indispensables pour satisfaire les nombreux besoins que les Bruxellois francophones connaissentaujourd’hui dans des matières très importantes. »

Le budget de la Cocof

Un des cahiers du Crew aborde la situation de la Cocof par des projections de 2005 à 2015. Avec cette hypothèse selon laquelle il n’y a pas d’augmentation des dépensesau-delà de l’inflation, la simulation montre un accroissement de l’endettement de la Cocof jusqu’en 2009. L’analyse précise pourtant que « cettehypothèse ne correspond pas à l’évolution du passé qui, si elle se prolongeait, aurait des conséquences fort négatives. Les dépenses primairesde la Cocof ont crû en termes réels de plus de 18 % en 4 ans ». Mais cela ne correspond pas au résultat des négociations du comité de concertation. Pourrépondre à l’objectif d’un budget en équilibre, les chercheurs prônent « une sous-utilisation de crédits de dépenses ». Autrement dit, unediminution des moyens alloués à certaines politiques. Les discussions pour le budget 2006 risquent donc d’être saignantes.

1. CREW, Rempart de la Vierge, 8 à 5000 Namur – tél. : 081 72 48 63 – contact : Robert Deschamps.

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