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Regard critique · Justice sociale

Édito

Un temps pour tous

«Penser le temps, c’est comme labourer la mer», écrit Étienne Klein, physicien et philosophe, auteur de «Le temps existe-t-il?» Car le temps ne se résume pas au tic-tac des horloges et ne s’écoule pas de la même façon pour tous et toutes. Culturel, social, singulier, il est lié à l’expérience que l’on en fait.

«Penser le temps, c’est comme labourer la mer», écrit Étienne Klein, physicien et philosophe, auteur de Le temps existe-t-il?1 De nombreux philosophes se sont cassé les dents à tenter de définir le temps et son existence, mais les «réponses à ces questions aussi vieilles que la pensée se font toujours attendre». Car le temps ne se résume pas au tic-tac des horloges et ne s’écoule pas de la même façon pour tous et toutes. Culturel, social, singulier, il est lié à l’expérience que l’on en fait.

Il est pourtant indéniable que notre époque suscite le sentiment d’une accélération des rythmes de vie (lisez notre dossier: «Rien ne sert de courir»), nourri par les technologies et l’économie du capitalisme depuis la révolution industrielle, suivie de la révolution numérique. Cette pression temporelle semble toucher toutes les catégories sociales, mais celles-ci n’intériorisent pas la pression de la même manière, explique Hartmut Rosa2, sociologue et philosophe, auteur d’Accélération: une critique sociale du temps3. «Les cadres ont tendance à intérioriser cette pression et ce stress, là où les employés et les ouvriers les ressentent en grande partie comme extérieurs, venant de la direction, du patron.» D’autres, comme les chômeurs, qui disposent de temps, «ne le maîtrisent pas parce qu’on leur refuse une place légitime dans la société», continue-t-il. Quant à la possibilité de s’opposer à cette «accélération» en expérimentant un autre rapport au temps, mais aussi à l’espace et aux ressources naturelles, elle n’est pas accessible à tous de la même manière.

Ce temps, multiple, mais dont nous ne pouvons nous passer pour raconter le monde, peut être choisi ou contraint. Et, comme «le temps c’est de l’argent», l’heure est à l’urgence: les politiques publiques n’ont de cesse de mettre sous pression des infirmiers qui n’ont plus le temps de parler à leurs patients ou des assistants sociaux qui doivent remettre, en temps et en heure, leurs bénéficiaires sur les rails. Et qu’importe si ces derniers vivent le temps d’une autre manière. Pourtant, nul n’est besoin de creuser beaucoup la question pour savoir qu’il est des expériences, des changements – guérir, se socialiser, se former – dont les débuts et les fins sont difficiles à circonscrire. Car les parcours de vie ne peuvent se réduire à une encoche sur une ligne du temps.

Une chose est sûre, le temps est à sens unique: à moins d’évoluer dans un film de fiction, impossible de voyager dans le temps. «Ce besoin moderne de gagner du temps, d’en occuper tous les instants, d’en accélérer le rythme faute de pouvoir en étendre la durée ne cacherait-il pas notre hantise de la mort, habilement déguisée sous les masques d’une agitation devenue ivre d’elle-même?», interroge Étienne Klein. Une mort tout aussi inégalitaire que peut l’être le temps.

1. Étienne Klein, Le temps existe-t-il?, Le Pommier, Collection Les petites pommes du savoir, 2002.

2. Hartmut Rosa, Accélération: une critique sociale du temps, La Découverte, 2010.

3. Dans une interview sur: http://www.mondequibouge.be/index.php/2016/11/acceleration-quel-point-final/

Marinette Mormont

Marinette Mormont

Journaliste (social, santé, logement)

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