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Economie

Flandre: l’austérité pour unique horizon

Le monde associatif et syndical flamand est sonné. Certes, la couleur avait été annoncée dès la constitution du gouvernement de Geert Bourgeois: leur avenir serait sombre, plombé par l’austérité. Mais ce ne sont pas seulement les économies budgétaires qui créent le malaise. C’est aussi cette autre conception du social, de la culture telle qu’elle émerge dans les projets du nouveau gouvernement flamand.

La délégation de Hart boven Hard remet sa déclaration de septembre alternative à Geert Bourgeois©FrederikSadones_voorDeWereldMorgen

Le monde associatif et syndical flamand est sonné. Certes, la couleur avait été annoncée dès la constitution du gouvernement de Geert Bourgeois: leur avenir serait sombre, plombé par l’austérité. Mais ce ne sont pas seulement les économies budgétaires qui créent le malaise. C’est aussi cette autre conception du social, de la culture telle qu’elle émerge dans les projets du nouveau gouvernement flamand.

L’accord gouvernemental conclu fin juillet entre la N-VA, le CD&V et l’Open VLD avait immédiatement alarmé les syndicats, les étudiants et les associations culturelles et sociales. Il fallait s’attendre à une sévère cure d’austérité et plus globalement, dans un parlement où les nationalistes flamands sont majoritaires, à une politique qui leur serait plutôt hostile. La «déclaration de septembre», qui lors de chaque nouvelle législature précise les intentions du gouvernement, était attendue donc avec anxiété, comme une probable déclaration de guerre. Alors ce 22 septembre, jour de la rentrée du parlement flamand, 340 associations et 500 citoyens ont tiré les premiers en publiant dans le quotidien De Morgen une longue lettre, interpellant l’équipe de Geert Bourgeois sur le sens des économies annoncées. «Chacun pour soi. Est-ce vraiment la société que nous voulons?», demandent-ils.

Le collectif «Hart boven Hard» (le cœur plutôt que la dureté) est né. On y trouve notamment les trois organisations syndicales, le réseau de lutte contre la pauvreté, le Conseil flamand des femmes, des ONG comme 11.11.11, les mutuelles, les mouvements de jeunesse et un très grand nombre d’organismes culturels. Cette initiative citoyenne est sans doute la plus importante qui ait émergé en Flandre depuis bien longtemps. Un signe parmi d’autres que, comme le soulignait l’Editorialiste du Standaard, Bart Sturtewagen, «la relation entre le gouvernement et la société flamande est atteinte».

Au final, c’est 1,160 milliard d’euros qui vont être épargnés. Le gouvernement flamand a voulu à tout prix jouer la carte de l’équilibre budgétaire malgré les pressions du «pilier» chrétien sur le CD&V. Les seuls investissements prévus (98 millions d’euros) iront à la construction de nouvelles écoles, de maisons de retraite et surtout à l’agrandissement du ring d’Anvers. «Nous sommes en colère, explique Hart boven Hard. La Flandre semble vouloir épargner pour épargner. Et cela dans toutes les articulations du corps social.» De fait, personne n’échappera aux mesures d’austérité annoncées. De Standaard a calculé que chaque famille flamande paiera environ 342 euros de plus par an pour accéder aux services soumis aux coupes claires. Mais ce calcul est très théorique. D’abord parce que toutes les économies projetées n’ont pas encore été bien définies et surtout parce qu’elles toucheront davantage les plus défavorisés.

Voici quelques exemples d’économies prévues ou de réformes politiques annoncées.

Les familles avec enfants. Les allocations familiales, qui viennent d’être régionalisées, ne seront pas indexées en 2015. L’accueil des enfants en crèche va augmenter et plus particulièrement le tarif minimum qui va passer de 1,57 à 5 euros! Seule une toute petite minorité d’allocataires sociaux pourra encore bénéficier du tarif réduit actuel. Le montant maximal (27 euros par jour), lui, ne change pas. Plus globalement, Kind en Gezin (l’équivalent flamand de l’ONE) est prié de faire ceinture avec la VRT et De Lijn (les TEC) pour un montant de 45,8 millions d’euros en 2015. La répartition précise des économies entre ces trois organismes doit encore être décidée.

L’enseignement. On a vu les étudiants de la KUL perturber la rentrée académique en tendant des sébiles lors du cortège. Les étudiants sont particulièrement mobilisés, et pour cause: les droits d’inscription dans les universités et les hautes écoles passeraient de 650 à 950, voire 1.000 euros. L’enseignement secondaire ne sera pas épargné non plus. Le gouvernement estime qu’il y a dans ce secteur «assez» (comprenez: trop) de personnel et 20 millions d’économies y sont prévus. L’enseignement pour adultes et l’enseignement artistique doivent aussi s’attendre à des coupes claires.

Eau, électricité, transports en commun. Les tarifs de l’énergie et de l’eau vont augmenter. Il est question de privatiser complètement les intercommunales chargées de la distribution de l’énergie et du traitement des déchets.

Le prix des billets des transports en commun part également à la hausse et l’offre va être réduite le soir et en région rurale. La gratuité des trams et bus pour les plus de 65 ans est supprimée. «Pour les services publics, a annoncé la ministre du Budget Annemie Turtelboom (Open VLD), il faut en finir avec tout ce qui était gratuit ou trop bon marché. Nous allons faire appliquer les tarifs véritables.» Une petite phrase qui résume à merveille la nouvelle philosophie du gouvernement flamand.

Santé. Le prix de l’assurance dépendance (obligatoire) passe de 25 à 50 euros, mais l’augmentation est proportionnellement plus forte encore pour les faibles revenus: de 10 à 25 euros.

Logement. C’est la fin du «bonus logement», un avantage fiscal de 1.330 euros qui sera supprimé dès le 1er janvier 2015. Les contrats pour le logement public vont être revus. Plus question d’y rester lorsque les revenus des locataires augmentent. On va introduire la notion de contrat temporaire et le rythme de construction ou de rénovation des logements sociaux sera sérieusement ralenti.

Services publics, initiatives financées par les pouvoirs publics. La fonction publique flamande va payer le prix fort: 1.950 fonctionnaires flamands quitteront leur poste d’ici à 2019 et ne seront pas remplacés. D’autres économies devront être réalisées dans l’appareil public à concurrence de plus de 56 millions en 2015. La VRT est particulièrement visée et son personnel a d’ailleurs manifesté lors de la rentrée du parlement flamand.

Mais c’est l’ensemble du monde associatif et culturel qui est visé. Tout ce qui est d’une manière ou d’une autre subsidié va voir ces subsides diminuer, voire disparaître. Qui est concerné et avec quelle ampleur? Le verdict tombera dans les semaines ou les mois à venir. Les familles flamandes savent en tout cas que le prix de l’affiliation de leurs enfants à un club sportif va augmenter. Et pour les plus démunies d’entre elles, il faut s’attendre que cela devienne une dépense de trop.

Emploi. Tout le secteur de l’emploi subventionné sera réformé. Les personnes employées via les ALE, les CPAS (articles 60 et 61), les contrats subsidiés seront transférées vers un nouveau programme d’expérience de travail (très flou, très vague encore), plus orienté vers l’activation et l’embauche dans le secteur privé. Dans la fonction publique, il est question d’introduire le travail intérimaire dans les mêmes conditions que celles des entreprises dans le secteur privé.

La culture. Dans l’accord gouvernemental, on lit que la coalition menée par Geert Bourgeois entend lutter contre «l’éparpillement de la production artistique» en Flandre. Les grandes institutions culturelles devront se faire connaître comme des «ambassadeurs de la politique culturelle flamande». Le quotidien De Morgen note que pour le nouveau gouvernement flamand seule une économie florissante rend possible une culture florissante. Et le même raisonnement peut être tenu pour l’enseignement. Économie, enseignement, culture sont inextricablement liés.

Une politique radicalement différente

Faut-il considérer ce plan d’austérité juste comme un épisode difficile dans l’histoire de la riche Flandre? Le quotidien De Morgen a analysé les déclarations des différents gouvernements flamands depuis 1999. Le quotidien constate qu’avec l’équipe de Geert Bourgeois le paysage politique a radicalement changé. Progressivement, des thèmes comme l’intégration, la mobilité, la connaissance ont été abordés sous l’angle économique et de leur «rentabilité sociale». Les préoccupations budgétaires ont pris le pas sur les ambitions politiques. Et le gouvernement actuel a tiré cette ligne jusqu’à un point extrême. Pour cette coalition, une économie saine est la seule ambition. Pas un mot sur le communautaire alors que la N-VA est aux commandes. Il se confirme bien que le parti nationaliste flamand joue la carte socio-économique et cette seule carte-là. C’est aussi le choix des électeurs, constate, pour sa part, Bart Sturtewagen dans De Standaard: «La Flandre voit apparaître ce que son choix politique signifie dans la pratique.»

Pour le mouvement citoyen «Hart boven Hard», c’est effectivement bien une question de valeurs qui est en jeu. L’économie, disent ses signataires, doit être au service de la société et pas l’inverse. «L’associatif, l’enseignement, la société, la culture ne sont pas des charges. Cela fait partie de notre richesse.» L’essence de la sécurité sociale et de la cohésion sociale, ce n’est pas la charité, comme à l’époque du prêtre Daens, s’inquiète «Hart boven Hard». Qui constate par ailleurs que dans l’accord gouvernemental des mots comme «solidarité» ou «égalité» ne sont cités que deux fois dans les 191 pages de cet accord.

Les associations et les syndicats flamands tentent aujourd’hui de secouer la résignation qui transparaît tant dans la presse que dans l’opinion publique. «Les années grasses sont derrière nous», peut-on lire dans les réactions du public aux mesures annoncées par le gouvernement. Dire qu’il n’y a «rien à faire», que les économies sont inévitables parce que le taux de croissance est trop faible et que donc chacun doit porter son fardeau est injuste, estime «Hart boven Hard». Tout le monde n’est pas touché de la même manière par ce plan d’austérité et on ne fera pas d’économies «sur les quelque 150 sortes d’aides publiques versées aux employeurs», constatent pour leur part les syndicats qui dénoncent une grande injustice sociale dans le plan du gouvernement. La réaction très positive de la Voka, l’association des employeurs flamands, aux mesures budgétaires semble leur donner raison.

Il reste à voir comment cette opposition qui s’est manifestée à l’occasion de la «déclaration de septembre» s’organisera et surtout si elle tiendra dans la durée. Les étudiants seront sans doute les premiers à donner le ton puisque le montant des nouveaux droits d’inscription doit être négocié avec les autorités académiques dans les prochaines semaines. Une autre inconnue est liée à la constitution du gouvernement fédéral. Ce sont les mêmes partis flamands qui sont aux manettes de la coalition suédoise. Des mesures d’austérité fortes touchant par exemple les pensions, les services publics ou l’index auraient potentiellement plus d’impact encore du côté flamand. Les syndicalistes du nord du pays devront sans doute descendre plus souvent dans la rue.

 

 

 

Martine Vandemeulebroucke

Martine Vandemeulebroucke

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