C’est la crise. Entre décembre 2021 et janvier 2022, les prix ont augmenté de 49 % en moyenne pour les contrats variables d’électricité et de 59 % pour les contrats variables de gaz naturel. Malgré les mesures d’aide financière, dont le tarif social, les foyers à faibles revenus souffrent de ces convulsions commerciales. En 2019, selon le Baromètre de la Fondation Roi Baudouin (Lire «De l’utilité d’une définition…», Alter Échos n°371-372, décembre 2013), la précarité énergétique concernait plus d’un ménage belge sur cinq. Et ces chiffres précèdent les ravages économiques et sociaux de la pandémie, la guerre en Ukraine et la hausse drastique des prix.
Une évidence se dégage de ce contexte: nous avons besoin d’alternatives locales. Ça tombe bien, elles fleurissent aux quatre coins du pays et visent à rendre la transition énergétique accessible à tout le monde.
Quelle forme cela prendrait-il concrètement? Peut-être à un groupe d’habitants d’un logement social qui se réunissent place Bethléem, à Bruxelles, pour débattre de l’installation de panneaux solaires sur leur toit… Ou à un groupe de consommateurs qui forme un achat groupé pour signer le meilleur contrat auprès d’un fournisseur d’électricité renouvelable, ou encore à des habitants d’une commune wallonne qui investissent dans une éolienne afin de produire leur propre électricité verte et locale.
«Donner le premier mot aux habitants était une condition pour nous. L’enjeu était de voir comment les locataires de logement sociaux pouvaient s’approprier et identifier les avantages des panneaux solaires pour eux.» Sofie Van Bruystegem, City Mine(d)
SunSud, de l’énergie sociale
L’impulsion vient de Jos Reymenants, l’échevin de l’Énergie de Saint-Gilles, qui convainc le Foyer du sud d’équiper ses bâtiments de panneaux solaires. Ensuite, les associations Énergie commune et City Mine(d) rejoignent le Foyer du Sud dans la mise en place du projet. Sofie Van Bruystegem, de City Mine(d), précise: «Donner le premier mot aux habitants était une condition pour nous. L’enjeu était de voir comment les locataires de logements sociaux pouvaient s’approprier et identifier les avantages des panneaux solaires pour eux.»
Pour rassembler les locataires, l’association bruxelloise City Mine(d) a frappé aux portes des 110 ménages du logement social en expliquant leur démarche: installer des panneaux solaires et partager cette électricité produite au sein de leur immeuble. Une étape indispensable pour que les locataires s’en approprient les avantages et mettent sur pied leur propre comité.
Pour attirer du monde, il a également fallu casser quelques barrières psychologiques. Mathieu Bourgeois, chargé de projet chez Énergie commune, explique: «On a collé une image de privilégiés aux énergies renouvelables. Comme quoi ce ne seraient que les gens avec du capital et une maison qui pourraient en profiter. Notre association veut démocratiser cet accès, nous accompagnons les citoyens et les collectivités dans leur appropriation de l’énergie vers un système 100% renouvelable.»
Mathieu Bourgeois insiste sur la dimension de justice sociale: «Il s’agit d’un juste retour de choses, ce sont les foyers aux faibles revenus qui ont été les plus exclus des énergies renouvelables alors qu’ils ont contribué aux certificats verts en payant leurs factures. Ils ont contribué sans jamais pouvoir investir eux-mêmes dans des panneaux solaires et donc bénéficier de la prime des certificats. Ce sont eux qui ont le plus à gagner, ils vont faire des économies grâce à l’autoproduction et l’autoconsommation de l’électricité.» En effet, l’électricité solaire sera vendue aux résidents à environ deux tiers du tarif social pour l’électricité.
Grâce à SunSud, nom donné à ce projet pilote, ils démontrent qu’il est possible d’installer des panneaux solaires sur un bâtiment rempli de locataires. Inspirant dans une ville où la majorité des habitants sont dépendants de leur propriétaire.
«Nous menons également un combat politique en proposant une alternative aux énormes entreprises et à leurs logiques commerciales extrêmement stratégiques. Nous le voyons dans le contexte actuel, avec la guerre en Ukraine, l’énergie est un enjeu capital. Se réapproprier ses moyens de production et de distribution est un enjeu démocratique.» Mario Heukemes, Cociter
Presque deux ans plus tard, les panneaux ont été installés, les dérogations obtenues et les modèles de partages réglés. Le comité d’habitants a décidé que l’énergie produite irait aux espaces communs et, ensuite, ceux qui le souhaitent pourront acheter le surplus. Les bénéfices seront réinvestis dans la caisse commune. Ainsi, les locataires participants profitent de cette électricité en journée lorsque les panneaux produisent abondamment, mais gardent leurs contrats avec leurs fournisseurs pour couvrir la consommation nocturne ou lors des journées peu ensoleillées.
Sofie Van Bruystegem, de l’association City Mine(d), se réjouit: «Nous sommes fiers d’être les pionniers à Bruxelles d’un projet de partage d’énergie qui marie les préoccupations sociales aux enjeux environnementaux. SunSud a permis de dynamiser des locataires, de les sensibiliser et de les former, dans une posture d’entraide et d’apprentissage collectif.»
Les pionniers du partage inclusif
SunSud, c’est le projet pionnier en termes de partage d’énergie à Bruxelles. En sa qualité de projet pilote, il a bénéficié d’une dérogation de Brugel (régulateur bruxellois de l’énergie) pour mener ce projet à leur sauce. En effet, SunSud s’est développé dans une période de battement propre à l’expérimentation, entre la publication des directives de partage d’énergie (issues du «Clean Energy Package» de la Commission européenne) et leur transposition en droit régional par la Région bruxelloise.
L’objectif de ces directives est d’accélérer la transition énergétique. L’Europe encourage la décentralisation de la production d’électricité et place le consommateur au cœur du projet. Dans ce cadre, différentes formes de partage d’énergie sont possibles, elles peuvent se faire via une communauté d’énergie citoyenne ou renouvelable, ou en autoconsommant de l’énergie renouvelable produite collectivement au sein d’un même bâtiment.
Ce dernier exemple concerne SunSud, et, pour cela, pas besoin de constituer une personne morale (contrairement aux autres formes). Il faut juste signer un contrat qui lie les bénéficiaires et les propriétaires des panneaux solaires. D’ailleurs, pour faciliter ces relations contractuelles, des entreprises pourraient proposer leurs services, au risque de supprimer l’aspect cohésion sociale.
Concernant la communauté d’énergie citoyenne, c’est une entité juridique dans laquelle des citoyens, entreprises et pouvoirs publics s’associent et proposent des services énergétiques, comme la vente, le partage ou l’échange d’énergie produite au sein de la communauté. La communauté est donc une structure et le partage d’énergie en est une activité. Le but n’est pas d’en tirer du profit, mais d’encourager les citoyens à l’autonomie énergétique et, in fine, d’accéder à une position politique en matière de production d’énergie.
En Wallonie, des initiatives n’ont pas attendu que la Région mette ces directives en application pour expérimenter des choses. Par exemple, à Nivelles, un projet pilote de partage d’énergie se développe, mené par la coopérative citoyenne CLEF.
Le circuit court de l’électricité
Dans le registre des coopératives citoyennes, CLEF fait son petit bonhomme de chemin depuis 2008. Pascal Vermoeren, chargé de communication, raconte l’impulsion de départ: à Pipaix, commune de Leuze-en-Hainaut, une poignée de citoyens formule une idée folle: «Et si on sortait une éolienne de terre? Comme ça, on pourrait proposer une alternative aux monopoles de l’énergie et exploiter les énergies renouvelables au profit de la collectivité.»
Investir dans une éolienne n’est pas une mince affaire. Fabienne Marchal, administratrice déléguée, raconte: «Une éolienne, selon les modèles, ça peut coûter 4 millions d’euros. C’est grâce à la collectivité que nous avons pu mener à bien ce projet. Nous avons rassemblé toute cette épargne et fait un emprunt bancaire. Pour garantir une certaine indépendance, nous nous sommes constitués en coopérative.»
Pour être exact, CLEF est une coopérative citoyenne qui obéit aux principes démocratiques définis par la charte de l’Alliance coopérative internationale, ce qui garantit leur caractère citoyen et solidaire. Aujourd’hui, CLEF rassemble plus de 1.600 coopérateurs et est principalement active dans le Hainaut et dans le Brabant wallon.
En 2012, CLEF se réunit avec une dizaine d’autres coopératives issues de RESCoop Wallonie (association qui fédère 18 coopératives productrices d’électricité durable) et formule, ensemble, une autre idée: pourquoi ne pas créer une coopérative en charge de fournir cette énergie produite, en priorité aux coopérants puis aux autres clients?
En 2021, la production des énergies éoliennes et solaires s’élevait à 18,9 %, alors qu’elle était de 21 % en 2020.
Ensemble, ils créent le Comptoir citoyen des énergies (Cociter), une société coopérative wallonne qui fournit de l’électricité locale et durable. Depuis 2015, elle couvre toute la Wallonie et, depuis ce mois de mars, elle accueille en masse les ex-clients wallons d’AECO (anciennement Énergie2030).
Actif sur le marché belge depuis 2007 pour la fourniture d’électricité et depuis 2018 pour le gaz, AECO fournissait environ 10.000 clients et a annoncé sa fermeture en février. Selon leur communiqué, la fulgurante hausse des prix a eu raison de leur survie. Ils ne sont pas les premiers à en pâtir, laissant Bruxelles entre les mains de Lampiris (TotalEnergies) et Engie.
Mario Heukemes, de Cociter, rappelle l’importance politique que revêt leur coopérative: «Nous menons également un combat politique en proposant une alternative aux énormes entreprises et à leurs logiques commerciales extrêmement stratégiques. Nous le voyons dans le contexte actuel, avec la guerre en Ukraine, l’énergie est un enjeu capital. Se réapproprier ses moyens de production et de distribution est un enjeu démocratique.»
En Belgique, en 2021, selon les statistiques d’Elia (gestionnaire du réseau de transport d’électricité à haute tension en Belgique), c’est encore l’énergie nucléaire qui domine, suivie du gaz, puis du solaire et, enfin, de l’éolien. La production des énergies éoliennes et solaires s’élevait à 18,9 %, alors qu’elle était de 21 % en 2020.
L’achat groupé pèse lourd
Derrière son ordi, en un clic, on peut s’inscrire à un groupe d’achat et réduire sa facture d’énergie. Dans le monde des start-up, Wikipower s’impose comme l’expert des achats groupés. Cette société liégeoise propose de faire le tri dans le micmac des offres d’énergie. D’abord, par leur site comparateur-énergie et, ensuite, par leurs achats groupés. Ce service se déroule sous forme d’appel d’offres. Wikipower rassemble un maximum de ménages afin de négocier des tarifs auprès des fournisseurs de gaz et d’électricité. Une fois la meilleure offre sélectionnée, libre aux inscrits de poursuivre l’aventure. Peu importe s’il reste, au final, deux pelés et trois tondus, l’offre reste la même.
Nicolas Wilmet, business unit manager chez Wikipower, détaille leur mission: «On parle d’achats groupés pour faire des économies et pour faciliter la transition énergétique. Toute l’énergie fournie dans nos achats groupés d’électricité est 100% belge, et verte et de gaz. Nous organisons aussi des achats groupés de panneaux solaires, de matériaux d’isolation… D’ailleurs, notre premier conseil est d’isoler sa maison.»
Wikipower attire également des partenariats issus du secteur public et privé. Nicolas Wilmet confirme: «Par exemple, des communes font appel à nous pour limiter l’impact de l’augmentation des prix sur leurs citoyens et, en tant que coordinateur, nous organisons l’achat groupé.» Depuis 2011, ce leader des achats groupés compte de multiples collaborations avec des villes (Bruxelles, Namur, Charleroi…), des communes (Rixensart, Courcelles, Ans…) ou encore avec des partenaires privés (Greenpeace, Crelan…).
Le paysage de l’énergie belge regorge de structures œuvrant à une popularisation du renouvelable. À leur échelle, elles permettent d’y voir plus clair dans le schmilblick énergétique et de sortir les consommateurs du rôle de payeurs de factures. Un véritable changement culturel et politique. Pour Cociter, le but n’est pas de fournir l’électricité la moins chère, mais une électricité dont on connaît la provenance et qui échappe à des stratégies commerciales et géopolitiques. L’enjeu est là, remettre l’énergie au milieu du village, et en comprendre les tenants et les aboutissants.