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Regard critique · Justice sociale

Sécurité sociale

Le «trou» de la Sécu, un mot creux

Éclairage sur une figure rhétorique pas toujours comprise qui anime les débats politiques depuis plus de 20 ans.

©Flick CC/Redisant

Éclairage sur une figure rhétorique pas toujours comprise qui anime les débats politiques depuis plus de 20 ans. 

«Le ‘trou’ de la Sécurité sociale sera plus élevé que prévu, aussi bien en 2016 qu’en 2017», prévenaient plusieurs quotidiens en février dernier. Le Soir expliquait: «Ainsi, pour 2016, le déficit était attendu à un peu plus de 700 millions; il serait désormais estimé à un peu plus de 1,3 milliard. Idem pour 2017: alors que l’on prévoyait initialement un déficit limité à 260 millions, il devrait frôler les 800 millions.»

Quelques mois plus tôt, en juillet 2016, le trou – de 748 millions, soit 229 millions de plus que lors du contrôle budgétaire d’avril – faisait aussi la une des journaux. La ministre de la Santé Maggie de Block se voulait alors rassurante: «Ce n’est qu’une photo à un moment donné» (Belga, 1er juillet 2016).

«Il y a une surconsommation dans la Sécurité sociale et, tant qu’on ne réglera pas cela, nos problèmes vont continuer.», Bart De Wever, N-VA

Si le trou est régulièrement évoqué dans les médias, sait-on vraiment ce qu’il recouvre? Daniel Dumont, professeur de droit de la sécurité sociale à l’ULB, met fin à tout suspense: «Le trou dans la Sécurité sociale n’existe pas en tant que tel puisque la Sécurité sociale est mise à l’équilibre. Il y a une disparité entre recettes (cotisations sociales payées par les employeurs, les travailleurs et les indépendants, complétées par les financements de l’État, NDLR) et dépenses (pensions, remboursement des soins de santé mutuelle, allocations de chômage… NDLR), certaines branches comme l’assurance maladie présentent constamment un déficit, mais l’État, depuis toujours, cherche à faire l’équilibre. Avant, l’équilibre se faisait par des transferts entre secteurs. Depuis peu, elle se fait avec la dotation d’équilibre (créée suite à la crise de 2008 pour pallier l’insuffisance des autres sources de financement de la Sécu. La nouvelle loi sur le financement prévoit de conditionner cette dotation d’équilibre. Lire à ce sujet dans ce dossier: Une sécurité sociale bientôt sous-financée?, NDLR).»

La construction d’un mythe

Pourquoi dès lors continue-t-on de parler de «trou»? Et quand le terme est-il apparu pour la première fois? «La question du trou a été mise à l’agenda par le gouvernement Martens-Gol (1982-1987)», explique Daniel Dumont. À cette époque, le gouvernement libéral décide de faire des économies dans la Sécu, pour la première fois déficitaire, et un changement de paradigme important s’opère: «Le souci d’adapter les recettes aux dépenses publiques jugées indispensables a laissé place au souci d’adapter les dépenses aux recettes lesquelles sont de plus en plus soumises, lorsqu’il s’agit des cotisations sociales à la contrainte de compétitivité des entreprises, et lorsqu’il s’agit des subventions de l’État, à la contrainte d’assainissement des finances», analyse Pierre Reman pour La Revue nouvelle1.

Suivra, en 1994, la mise en œuvre, par la coalition socialiste cette fois, du Plan global: une gestion globale, et non plus sectorielle comme c’était le cas jusqu’alors, de la Sécurité sociale selon laquelle les recettes de la Sécu sont réparties entre branches selon leurs besoins déterminés à l’avance. Le gouvernement Dehaene, dans une volonté de relancer l’emploi, baisse le coût du travail et parallèlement diminue les dépenses sociales. Le fameux «trou» est alors sur toutes les lèvres. Depuis, il revient régulièrement dans la presse, lors des contrôles budgétaires, à la manière des premières neiges ou des départs en vacances.

«Il n’y a pas une cause interne à la Sécurité sociale pour expliquer son déséquilibre budgétaire.» Didier Brissa, formateur au CEPAG

D’après Julien Duval, auteur de l’ouvrage Le mythe du trou de la Sécu (Raisons d’agir, 2007), cette présence dans les médias et les discours politiques, davantage en France d’ailleurs – son territoire d’analyse – qu’en Belgique, a participé à «la représentation, aujourd’hui enracinée dans l’inconscient politique, selon laquelle la Sécurité sociale serait une institution économiquement fragile». Elle a aussi encouragé, explique l’auteur, «le point de vue libéral à s’imposer dans les têtes». Pour le sociologue, l’évocation constante du trou – et ses appels à faire des économies pour le résorber – nous détourne du réel problème: le besoin de financement.

C’est aussi contre cette vision «coûteuse» de la Sécu qu’a été lancée début de ce printemps la campagne «Ceci n’est pas un trou», par la FGTB wallonne. Cette campagne en ligne (www.cecinestpasuntrou.be), accompagnée d’un court-métrage d’animation, entend rappeler que la Sécurité sociale n’est ni «un trou sans fond» ni «un brol d’assistés».

«L’idée de la campagne est de souligner qu’il n’y a pas une cause interne à la Sécurité sociale pour expliquer son déséquilibre budgétaire», explique Didier Brissa, formateur au CEPAG, centre d’étude et de formation proche de la FGTB wallonne, et un des animateurs de cette campagne. Dans le contexte de la réforme du financement de la Sécurité sociale, qui fait grincer les dents des syndicats, la campagne, sans nier l’existence d’un déficit budgétaire, entend ramener ceux qui «creusent le trou» à leurs responsabilités. «C’est l’État, maître des dépenses et des recettes, qui a organisé le sous-financement de la Sécurité sociale et qui fait ensuite croire aux travailleurs qu’ils sont dépensiers», assène Didier Brissa, montrant du doigt la réduction des cotisations sociales des employeurs en œuvre depuis les années nonante.

Quels leviers le gouvernement va-t-il actionner à l’avenir? Bart De Wever a livré son idée dans les pages de L’Écho le 13 mai dernier. Pour revenir à l’équilibre budgétaire, l’argent est selon lui à trouver dans la Sécurité sociale, qu’il qualifie de «maladie belge»: «Il y a une surconsommation dans la Sécurité sociale et, tant qu’on ne réglera pas cela, nos problèmes vont continuer. On a déjà bien réduit les dépenses mais on doit faire davantage. Les dépenses en sécurité sociale per capita sont encore bien trop importantes», explique-t-il. Un discours qui fait craindre que le «trou» ne se transforme dans les discours du gouvernement en un «puits» dans lequel on croit possible d’aller puiser des milliards d’euros pour «équilibrer» le budget.

La fin du trou en France?
Le trou, on en a beaucoup parlé en France l’an dernier. Et «en bien», chose rare. Mais pas réjouissante, pour autant.
Septembre 2016. Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, annonce victorieusement dans la presse: «En 2017, le ‘trou de la Sécu’ aura disparu.» Et d’expliquer que le régime général, qui affichait 17,4 milliards de déficit en 2011, devrait présenter en 2017 un solde négatif de seulement 400 millions d’euros.Au lendemain de cette annonce en fanfare, les «Décodeurs» du Monde relativisent la «bonne» nouvelle. «Cela dépend de quelles branches nous scrutons», écrivent-ils (Alexandre Pouchard et Anne-Aël Durand, «La réduction du ‘trou de la Sécu’ en trois points», 26 septembre 2016). Si les caisses retraite, accidents du travail et famille sont en équilibre, la branche maladie reste en effet déficitaire (2,6 milliards d’euros contre 4,1 milliards en 2016) ainsi que le Fonds solidarité vieillesse qui finance les cotisations retraite des chômeurs ainsi que le minimum vieillesse pour les retraités les plus fragiles (-3,8 milliards d’euros). En outre, cette promesse de trou est calculée sur une croissance surévaluée. Last but not least, ce «rebouchage» se fera aussi au moyen d’économies dans la caisse des retraites et dans le secteur de la santé (4 milliards), dont les réformes de la santé de cette même ministre l’ont déjà contraint à se serrer la ceinture. Un trou rebouché, peut-être. Au prix d’inégalités de santé qui se creusent, c’est certain.

 

 

«Les libéraux face à la social-démocratie», La Revue nouvelle, 1er octobre 2005, Pierre Reman.

En savoir plus

«Sécu: mort programmée de la gestion paritaire?», Alter Échos n°447, Juin 2017, Cédric Vallet

«Une sécurité sociale bientôt sous-financée?».,  Alter Échos n°447, Juin 2017, Julien Winkel

«Médicaments: trop chers ou trop prescrits», Alter Échos n°447, Juin 2017, Marinette Mormont

Manon Legrand

Manon Legrand

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