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On ne déshabille pas la Sécu

Début octobre, l’interview se déroule évidemment en Skype, Covid oblige. Pourtant, Peter Samyn, président du SPF Sécurité sociale retournera bientôt au bureau pour accueillir un visiteur très attendu, le nouveau ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke. En attendant, Peter Samyn parcourt avec Alter Échos les grands enjeux autour de la Sécurité sociale. Et forcément, on a parlé financement…

08-10-2020

Alter Échos: Dans son mémorandum, le SPF Sécurité Sociale insiste beaucoup sur la communication. Pourquoi est-ce si important?

Peter Samyn: Parce qu’il y a une confusion entre la protection sociale et la sécurité sociale. La protection sociale inclut l’aide sociale qui forme un filet de sauvetage résiduel pour celles et ceux qui tombent à travers les mailles du système de sécurité sociale. La Sécurité sociale, elle, est grosso modo composée de systèmes d’assurances collectives fondées sur le principe de solidarité pour garantir les individus contre certains risques comme la maladie, la perte d’emploi, la vieillesse. L’aide sociale n’est pas liée au versement de cotisations. Elle a pour objectif de soutenir les gens vulnérables et de limiter le risque de pauvreté pour leur permettre de mener vie conforme à la dignité humaine. Il s’agit aussi de distinguer la solidarité plus structurelle, parfois qualifiée de «froide», de la solidarité «chaude» que sont les initiatives plus visibles comme les banques alimentaires.

AÉ: Cette solidarité froide a le défaut d’être invisible…

PS: Oui. Cette organisation est très difficile à capter. Mais si on veut obtenir une adhésion à ce système, un minimum de compréhension est indispensable, pour éviter que des slogans populistes nuisent à notre système de sécurité sociale qui offre toujours un haut niveau de protection. Cela peut être une nouvelle mission de notre organisation que l’on n’a pas vraiment prise en main à ce jour. Dans le programme de transformation de notre SPF, entamé il y a un an et demi, cette sensibilisation à notre solidarité organisée est un des piliers, appelé «society». On prépare cette nouvelle mission.

«La question du dialogue institutionnel se posait déjà avant les réformes successives.»

AÉ: Si son objectif est de réduire les inégalités sociales et la pauvreté, n’y a-t-il pas un constat d’échec relatif de la Sécurité sociale?

PS: Vous avez tout à fait raison. Le risque de pauvreté a un peu baissé pour les personnes âgées mais a augmenté considérablement ces derniers années au sein de la population active, notamment les familles avec enfants. Les trous dans le filet de protection sont trop grands. C’est un constat, un problème pour lequel on ne trouve pas de solutions évidentes. La volonté est là pour modifier, contrarier cette évolution mais c’est très difficile. Par exemple, ce sont les gens peu qualifiés qui ont le plus de risque de retrouver dans la pauvreté. Et là, on rentre dans la complexité de notre pays: tout ce qui relève de l’accès au marché du travail, développer les qualifications, les formations, les compétences, relève des compétences des entités fédérées. C’est pour cela que la collaboration entre niveau fédéral et les communautés et régions sera très importante.

AÉ: On en vient au mécano institutionnel belge. On l’a vu avec la santé sous coronavirus, les compétences paraissent de plus en plus morcelées. Pour un mieux?

PS: C’est une question très difficile, sensible et pertinente. Mais quel que soit le morcellement, il sera toujours nécessaire d’avoir une collaboration entre les différents niveaux de pouvoir, même au niveau européen où des règles déterminent les marges de manœuvres de notre système. Je pense que la discussion qui consiste à savoir où est le pouvoir de décision est moins importante que la coordination à améliorer entre les acteurs. Et pas uniquement entre niveaux de pouvoir. Les différentes collaborations entre les administrations fédérales (Onem, Inami, Onss,…) constituent aussi un grand défi. Vous savez, la question du dialogue institutionnel se posait déjà avant les réformes successives. La question régionale amène des acteurs en plus, c’est vrai. Est-ce un mal? La Sécu se renouvelle tout le temps. Il ne faut pas la voir comme un système figé.

AÉ: Mais avec la sixième réforme de l’Etat, n’a-t-on pas touché au coeur de la Sécu?

PS: On ne déshabille pas la Sécurité sociale. Il y a un accord politique pour instaurer la gestion de cette solidarité au niveau fédéral. Si toute l’aide aux personnes relève plutôt au pouvoir des communautés, la cohérence du système est à gérer au fédéral. Idem au niveau du monitoring. On a une bonne vision des trous dans le filet, des défis de société, des effets de notre politique et de nos failles.

AÉ: Vous évoquez la nécessité de réaliser des «gains d’efficience». Dans quel domaine?

PS: Dans l’harmonisation des statuts existants par exemple. Nous avons énormément de statuts particuliers sur la table, témoignages de compromis sociaux historiques. Mais il est temps d’avoir quelque chose de plus cohérent. Cette multiplication des statuts complexifie le système et engendre des coûts importants. Citons par exemple: les sportifs, les artistes, les volontaires, les étudiants, les travailleurs occasionnels dans le secteur agricole… Un «mini-statut» uniforme pour ces catégories constituerait une simplification et un gain d’efficience administrative. Ce constat est posé depuis des dizaines d’années. On sait qu’il faut évoluer dans ce sens et… on multiplie les différents statuts et les exceptions! Cela devient difficile de savoir qui contribue à quoi. Et cela participe aussi à l’absence d’adhésion sociétale. Si mon voisin dans la même situation ne cotise pas de la même manière que moi, il va mettre en doute le système. C’est humain.

AÉ: Et aujourd’hui, ce chantier de simplification des statuts est en route?

PS: Sous réserve de l’accord des partenaires sociaux. Pourquoi n’a-t-on pas encore évolué en ce sens? Parce qu’il y a toujours des groupes différents avec des problèmes différents. On trouve alors une solution particulière pour un problème particulier. Et on oublie à ce moment l’idée d’un système plus global.

AÉ: La complexité de ces statuts ne provoque tout de même pas un blocage de la situation?

PS: On n’en est pas loin. Nous évoluons tout de même dans une très grande complexité. Par exemple, demandez à deux juristes de déterminer le statut des personnes qui travaillent via l’économie de plateforme (Uber, Deliveroo, etc.) et vous récolterez trois avis! La Commission des relations de travail doit déterminer avec une série d’indices qui est indépendant, qui est travailleur salarié mais c’est très délicat. Et c’est une évolution sociétale qui va être renforcée avec les carrières mixtes. Cela devient difficile de voir pour certains dans quel système ils rentrent.

«Aujourd’hui et cela peut être un grand danger, on veut alléger la charge sur le travail en réduisant les cotisations.»

AÉ: La Sécu sociale serait un paquebot qui peine à s’adapter à l’évolution de la société ?

PS: Il nous est impossible de suivre l’évolution de la société à la même vitesse, et pourtant, nous devons faire l’effort. Sinon nous perdrons le lien avec la réalité sur le terrain. Et concernant l’image du paquebot lourd à piloter, n’oublions pas qu’il y a une réadaptation, tous les ans, via les lois spéciales dans lesquelles les dispositifs réglementaires de la Sécu sont adaptés. La machinerie du paquebot s’adapte continuellement. C’est la force de la Sécu, avec les partenaires sociaux, de comprendre la réalité de terrain et de s’y adapter.

AÉ: Les recettes de la Sécu sont très liées au marché du travail. Faut-il chercher une diversification des sources de financement ?

PS: C’est vrai, les recettes liées au travail financent pour une grande partie la Sécu, mais pas la totalité. Des taxes alternatives viennent compléter le financement. Aujourd’hui et cela peut être un grand danger, on veut alléger la charge sur le travail en réduisant les cotisations, mais cela aura des conséquences pour notre système. Il faut trouver d’autres recettes. Des professeurs, les partenaires sociaux et des «think tanks» ont proposé différentes pistes, comme une taxe liée à la robotisation, ou une taxe sur le capital. Ou généraliser la cotisation spéciale de sécurité sociale. Cette cotisation est calculée en fonction des revenus du ménage et est considérée d’un point de vue économique et statistique comme un impôt affecté à la sécurité sociale et non comme une cotisation sociale. Toutes les personnes physiques ne sont cependant pas soumises à cet impôt, entre autres les indépendants et, parmi les personnes qui y sont soumises, de nombreuses réclamations sont introduites. Dans l’optique de maintenir une diversification des sources de financement de la sécurité sociale, une généralisation de cette «cotisation spéciale» pourrait être envisagée. Mais c’est à présent au politique de voir quel type de recettes sont allouées à quelle partie de notre système.

«J’ai l’impression que le citoyen sous-estime un peu la réaction très rapide, très concrète de notre système de solidarité.»

AÉ: Le travailleur de 2020 a raison de craindre pour sa pension de demain?

PS: Je comprends cette crainte. À politique inchangée, les dépenses de pension vont peser de plus en plus lourd sur la Sécu. C’est notre rôle avec les bureaux d’études, les universités et d’autres parties prenantes de conscientiser le niveau politique au mur que l’on va se prendre! Nous documentons la situation pour rendre possible un choix politique avec les partenaires sociaux. On ne peut pas perdre plus de temps. Il faut du structurel. L’accord gouvernemental l’a bien compris.

AÉ: Une piste privilégiée?

PS: On ne privilégie pas de pistes, nous sommes tenus à la neutralité. Prendre des décisions, c’est le rôle des partenaires sociaux et des responsables politiques. Ceci étant dit, la problématique du financement est si complexe qu’il n’y aura pas une seule solution. Ce sera un mixte. Les leviers sont multiples et intégrés. Prenons la prévention par exemple. Quand elle réussit à encourager les personnes à rester plus actives, à faire du sport, à augmenter le nombre d’années en bonne santé, le coût devient moindre pour la Sécu.

AÉ: La coronavirus, paradoxalement, a eu un impact positif de prise de conscience de la Sécu?

PS: Oui, la sécurité sociale a bien joué un rôle important en tant que stabilisateur économique pendant cette crise. Et plus de gens en sont conscients, mais l’opinion publique peut être très volatile. Il y a deux ans, tout le monde pensait «climat». Maintenant, c’est la santé ou le chômage temporaire qui sont devenus prioritaires. Notre rôle est de faire en sorte que cette adhésion reste, qu’il y ait une continuité. J’ai d’ailleurs l’impression que le citoyen sous-estime un peu la réaction très rapide, très concrète de notre système de solidarité. Des mesures dès mars ont permis à plus d’un million de personnes de ne pas trop souffrir de la crise via du chômage temporaire, des allocations, le droit passerelle. Et des lignes de front se sont déplacées. Le droit passerelle considéré par certains comme le «chômage pour indépendants» était impensable six mois auparavant. Avec le coronavirus, c’est devenu possible.

L’accord du gouvernement ne serait pas le même sans la crise. La conscience, la problématique du financement est encore plus claire. La solidarité est le premier axe prioritaire de la note. La Sécu est souhaitée «durable». Et le SPF Sécurité sociale est d’accord avec ça (rires).

En savoir plus

Lisez l’ensemble de notre dossier: «La Sécurité sociale, être aidé quand le sort est jeté», Alter Échos n°487, octobre 2020.

Pour en savoir plus, redécouvrez aussi nos articles d’archives sur le sujet:

«Sécurité sociale: la protection sur le fil» (dossier), Alter Échos n°447, juillet 2017.

«La régionalisation de la santé à l’heure de la plomberie», Alter Échos n°399, 24 mars 2015, Marinette Mormont.

«Régionalisation, bonne pour la santé?», Alter Échos n°377, 10 mars 2014, Marinette Mormont.

Olivier Bailly

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