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Regard critique · Justice sociale

Migrations

Grève de la faim des sans-papiers : «  Tout ce qu’on demande c’est le droit d’exister  »

Il y aurait entre 100 .000 et 150. 000 sans-papiers en Belgique. C’est pour se visibiliser que 475 d’entre eux ont quitté leur logement et ont décidé d’occuper différents lieux de la capitale depuis des mois. Et puisque les autorités sont restées silencieuses face à leurs demandes de régularisation, ces travailleurs sans-papiers ont entamé une grève de la faim le 23 mai 2021. Reportage.

28-06-2021

Mercredi 23 juin, fin d’après-midi, c’est le 30e jour de la grève de la faim à l’église du Béguinage. L’édifice recueille plus de 200 travailleurs sans-papiers militants. À l’entrée, des messages de soutien, dans la nef, une banderole: «Sans-papiers lives matter ». Au sol, des centaines de matelas numérotés sur lesquels reposent des personnes affaiblies sous des couvertures de couleur.

Les corps affaiblis

Mohammed, 28 ans, est arrivé avec un visa étudiant en 2010 et a perdu son titre de séjour en 2018. Il est l’un des grévistes de la faim et fait partie de l’équipe de volontaires prenant soin des autres personnes. « Je ne suis pas infirmier, mais j’ai travaillé pendant des années dans un home ici en Belgique où j’ai appris quelques notions de soin. » Lui et d’autres ont été formés à la prise de paramètre par Médecins du Monde. Le jeune homme qui a déjà perdu douze kilos continue: « On est là H 24. On prend la tension, le poids, la glycémie… Chaque personne est inscrite sur une fiche de suivi médical. Si on observe une dégradation de l’état de santé, on prévient les médecins ou on appelle les ambulances pour une hospitalisation. »

C’est au début de la grève de la faim que les hospitalisations ont été les plus nombreuses. « À un moment donné, on en avait quinze par jour. Ce n’était pas à cause de la chaleur, mais on occupe les lieux depuis le 31 janvier, donc depuis ce moment-là, notre hygiène de vie est déséquilibrée. » Il explique: « Il y a des céphalées de tension, des insuffisances rénales, des infections digestives… Aussi, souvent les personnes qui n’ont pas de papiers ne bénéficient pas d’un suivi médical. Les gens ont des problèmes de santé sans le savoir, et la grève de la faim exacerbe ceux-ci. »

Ici, pas de douche, très peu de toilettes, les personnes vivent sans la moindre intimité depuis le début de l’occupation. « Le premier jour quand on est rentrés ici, on ne se connaissait pas, mais vous savez ce qu’on dit ‘l’union fait la force’. On a appris à être ensemble, on a découvert le parcours, le passé de chacun. On s’est rendu compte qu’on avait les mêmes problèmes, qu’on avait traversé les mêmes galères et qu’on avait les mêmes objectifs », confie Mohammed.

Des histoires, des parcours

L’appel à la prière résonne dans le chœur de l’église. Chaque personne a une histoire à raconter, à faire entendre. Chaque parcours est différent et pourtant les récits entrent en résonance. Écouter les procédures, c’est plonger dans le monde kafkaïen de l’administration belge. Les dossiers, les refus, les recours, encore et encore.

« Mes enfants, ma femme, tout le monde a des papiers, sauf moi. Il y a quelque chose qui cloche, vous ne pensez pas ? » Hassan

« Dans la maison de repos où je travaillais, je connaissais les résidents, des Belges. Le jour où j’ai arrêté le travail, ils m’ont dit: ‘Momo comment ça se fait que tu dois arrêter tes études ?’ Comment faire pour leur expliquer la politique migratoire ? Par où commencer ? », interroge Mohammed qui ne rêve que d’une chose: obtenir ses papiers, terminer ses études et contribuer à la société.

Hassan vit en Belgique depuis 27 ans, lui aussi occupe les lieux depuis le 31 janvier. Aujourd’hui, il prépare le thé à la menthe pour maintenir l’apport hydrique des grévistes. « On veut exister sur le territoire belge parce que ça fait des années qu’on est ici. Je suis à 100% belge, au Maroc je n’ai plus personne, mes deux frères sont ici », explique ce père de cinq enfants. « Mes enfants, ma femme, tout le monde a des papiers, sauf moi. Il y a quelque chose qui cloche, vous ne pensez pas ? »

L’espace des femmes est séparé du reste des lieux par quelques draps. « C’est une catastrophe, des personnes sont malades, beaucoup ont les reins secs », témoigne Nezha. Elle aussi a une histoire à faire entendre. Arrivée en 2009, elle a multiplié les promesses d’embauche, les recours et les refus. « Chacune a son histoire et chacune a quitté son pays parce qu’il y avait aussi des histoires. Moi par exemple, j’ai été agressée par mon mari qui me frappait. J’ai cru trouver refuge en Belgique, mais il n’y a pas de critères clairs… J’ai un frère ici qui a la nationalité belge. Je parle français, je suis intégrée, j’ai fait du bénévolat… Des personnes ont des enfants ici qui vont à l’école, on se bat pour eux. On sacrifie notre santé pour la liberté, la dignité, l’égalité. »

La pandémie a encore plus fragilisé ces sans-droits. Les travailleurs sans papiers occupent des emplois précaires, au noir, souvent, c’est dans l’horeca ou dans le bâtiment pour 30 ou 40 euros par jour. Ils ne bénéficient d’aucune protection sociale.

« Je n’en peux plus de vivre comme une esclave… On travaille sans avoir droit à des vacances, en cachette, de manière invisible dans les caves, le soir… Personne n’en parle par peur de se faire arrêter », ajoute Nezha.

Une situation critique

Les grévistes revendiquent une régularisation avec des critères justes et objectifs. « Il n’y a pas de critères clairs et permanents. C’est arbitraire », expliquent ceux qui n’en peuvent plus de se sentir humiliés.

La réponse politique se fait attendre et leur réalité devient de plus en plus critique. La semaine dernière à l’ULB un homme de 42 ans a tenté de se suicider. Ce dimanche 27 juin, après 35 jours de grève de la faim, des grévistes installés à l’ULB ont décidé de se coudre les lèvres.

« Je n’en peux plus de vivre comme une esclave… On travaille sans avoir droit à des vacances, en cachette, de manière invisible dans les caves, le soir… Personne n’en parle par peur de se faire arrêter » Nezha.

Au niveau sanitaire aussi, il y a urgence. Pour pallier le système, des bénévoles se relaient et font avec les moyens du bord. Une équipe mobile d’environ 70 médecins bénévoles, ainsi que des infirmières, des kinésithérapeutes et des psychologues se relaient tous les jours dans les trois lieux d’occupation (ULB, VUB et l’église du Béguinage).

Entre le va-et-vient dans l’église, une kiné bénévole prodigue quelques soins et tente de faire le suivi médical des patients sur des bouts de papier A4 à même le sol: « On a la santé de 400 personnes à gérer. Beaucoup de gens ont besoin de kiné, la grève de la faim augmente les douleurs neuropathiques. »

Médecins du Monde a partagé un communiqué pour alerter sur l’urgence de la situation: « Dès que l’organisme ne peut plus compter sur ses réserves de graisse, il bascule vers la consommation de protéines pour fournir l’énergie nécessaire au fonctionnement de nos organes tels que le cerveau, le cœur, les muscles et les yeux. La combustion des protéines entraîne des dommages (irrévocables) ou une défaillance de ces organes. »

Les équipes médicales appellent à une solution politique, quelle qu’elle soit, dans les plus brefs délais.

Des marques de soutien

« On va rester ici jusqu’au bout. Les gens ont quitté leur logement, leur travail, on n’a plus rien à perdre », appuie Nezha.

Pour l’instant, les grévistes de la faim n’envisagent pas d’interrompre leur action, tant qu’ils n’auront pas obtenu satisfaction auprès du secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, Sammy Mahdi (CD&V). Celui-ci a appelé à plusieurs reprises les grévistes à cesser leur action et a proposé la création d’une «zone neutre», permettant à ceux-ci de prendre connaissance de leurs droits et de l’état de leur dossier. Il refuse cependant officiellement de négocier la régularisation. Le Vice-Premier Pierre-Yves Dermagne (PS) a lui appelé à la tenue d’une conférence interministérielle sur le sujet.

Ces dernières semaines, de nombreuses organisations, syndicats, universitaires et personnalités politiques ont marqué leur soutien aux militants. « Quiconque ose dépeindre une grève de la faim — ou toute autre tentative de suicide dans ce contexte — comme un choix ou une forme de chantage, n’a pas compris l’oppression et le désespoir humain qui l’accompagne », ont indiqué plus que 400 artistes dans une carte blanche.

En attendant une réponse des autorités, en plein cœur de Bruxelles, les sans-papiers soignent, partagent, faiblissent. Dans cet édifice, des personnes luttent pour la reconnaissance de leur existence et invitent tout un chacun à découvrir leur histoire. Leurs récits sont le fruit des choix de nos politiques.

Pétition #wearebelgiumtoo.

Jehanne Bergé

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