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Regard critique · Justice sociale

Carte blanche

Être illégal et se soigner : l’étoile de plus en plus inaccessible…

Pierre De Proost 21-03-2014 Alter Échos n° 378

Pour la première fois, la même ministre cumule deux compétences a priori très éloignées : la très populaire Maggie De Block est simultanément, depuis le 5 décembre 2011, secrétaire d’État à l’Asile, à l’Immigration et à l’Intégration sociale, adjointe à la ministre de la Justice. Compétences peut-être moins éloignées qu’il n’y paraît dans le quotidien d’un illégal (immigration) qui doit se soigner (intégration sociale) surtout quand ladite ministre peut compter sur la « complicité » de l’une de ses administrations, en l’occurrence le service public de programmation Intégration sociale (SPP IS pour les intimes).

« Instructions illégales pour personnes illégales… »

Un détour par le droit s’impose. Il existe une hiérarchie des sources essentielle dans un État qui se veut démocratique. Si j’omets les normes supranationales, me concentre exclusivement sur les sources écrites (hors jurisprudence et doctrine) fédérales et oublie volontairement les contestables pouvoirs spéciaux, la pyramide se présente comme suit. Au sommet trône la Constitution. Ensuite vient la loi, émanation de la volonté populaire par le truchement du Parlement. Un étage plus bas, l’arrêté royal, débattu en gouvernement, qui exécute une disposition légale pour autant que la loi le prévoie. Suit l’arrêté ministériel qui ne peut porter, en théorie, que sur l’organisation interne d’un service public fédéral. Enfin la circulaire qui donne la lecture que fait le ministre de la réglementation et qui ne peut en aucun cas « ajouter » du droit. Elle est, somme toute, indicative. Et cela s’arrête là… mais pas pour le SPP IS à la créativité juridique débordante.

Voici quelques années déjà, il publie le Manuel des frais médicaux : Subventionnement et contrôle des frais médicaux (1) qui de facto faisait obligation aux CPAS de contrôler l’assurabilité (en soins de santé) au pays d’origine de l’illégal ainsi que d’examiner les moyens financiers des personnes qui l’hébergeraient. Peu ou prou, ces dispositions ont été intégrées dans la circulaire du 25 mars 2010 (2). Depuis octobre 2012, ce SPP IS frappe à nouveau avec la dernière mise à jour de son indigeste Document d’information (sic) – Les pièces justificatives médicales. On peut y lire en page 11 (1er §) : « Comme stipulé dans la lettre circulaire – [Note de l’auteur : ce n’est pas exact : la circulaire précitée ne contenait qu’une phrase pour le moins vague sur le sujet] – {…} le CPAS est tenu de joindre des pièces justificatives afin de prouver la période depuis laquelle une personne réside en Belgique de façon ininterrompue au moment où des soins médicaux lui sont prodigués : par exemple un contrat de bail, des preuves d’inscription des enfants dans un établissement scolaire, des documents officiels d’instances belges, des factures au nom du demandeur… Il va de soi que plus les pièces justificatives sont nombreuses, plus le dossier est solide. » Comme on l’imagine aisément, il s’agit de pièces éminemment faciles à fournir par une personne en séjour illégal… d’où la multiplication des refus. Et ce, d’autant plus que ladite période est fixée à… trois mois pour prévenir le « tourisme médical ».

Pourquoi, me direz-vous, les CPAS obéissent-ils à des instructions clairement illégales ? Tout simplement pour l’argent. En effet, l’Intégration sociale rembourse aux CPAS les frais exposés pour les soins de santé des personnes en séjour illégal et si les CPAS ne respectent pas leur diktat… pas de remboursement. Instructions illégales pour personnes illégales… Seulement les instructions relèvent d’un choix (« politique ») tandis que le séjour irrégulier… rarement, me semble-t-il.

Pierre De Proost, Directeur Général du CPAS de Molenbeek-Saint-Jean

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