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Regard critique · Justice sociale

Une heure et quarante minutes d’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle en compagnie d’élèves de 5e secondaire du centre scolaire des Dames de Marie, à Saint-Josse. L’animation est donnée par le centre de planning familial «Aimer à l’ULB». Reportage.

«De quoi on va parler ce matin?» «On va parler ‘teub’!», marmonne un jeune homme de 17 ans. Rires dans la salle. «Comment?», lui rétorque Pascal Graulus, animateur du centre de planning familial «Aimer à l’ULB», qui n’a pas entendu le propos de l’élève. «On va parler de sexe», corrige ce dernier. Puis d’autres réponses fusent. «On va parler de relations», dit une jeune fille. «D’éducation», complète une autre.

Il est 8 h 20, un lundi matin, au centre scolaire des Dames de Marie. Quinze élèves de 5e secondaire vont évoquer l’amour, les relations et la sexualité. Ils assistent à une animation d’Evras, dont le but est d’aborder ces questions sans tabou. «Le but est de partir des préoccupations des élèves et de répondre à leurs questions», explique Cécilia Vieira, qui coanime cette séance. Les deux animateurs s’appuient sur les interrogations des jeunes, mais abordent toujours des thématiques essentielles, comme le harcèlement, la contraception, les relations filles-garçons, la virginité, la première fois.

Les élèves ne sont pas évalués, il faut échanger, s’exprimer, s’écouter, «oser dire» sans avoir peur du regard des autres, dans le respect.

 

Pascal Graulus commence la session en interrogeant les élèves: savent-ils quels professionnels on peut croiser dans un planning familial? Plusieurs connaissent des réponses: «sexologue, psychologue, médecin, juriste, assistant social». À tout cela s’ajoute un amusant «urologue».

Cécilia Vieira rappelle ensuite aux élèves les raisons qui peuvent pousser à franchir les portes d’un planning: suivi de grossesse, contraception, préservatifs, aide sociale et psychologique. Une élève avait retenu d’une session précédente qu’il était possible d’avorter dans un planning. Si Pascal Graulus est content que des informations soient emmagasinées au gré des sessions, la justesse des réponses importe pourtant peu: les élèves ne sont pas évalués, il faut échanger, s’exprimer, s’écouter, «oser dire» sans avoir peur du regard des autres, dans le respect. «Tout reste confidentiel», insiste-t-il.

Une session d’Evras mêle des informations factuelles et scientifiques – par exemple sur les modes de transmission des infections sexuellement transmissibles – et des discussions ouvertes, des débats, sur les sentiments, les relations, le regard des autres. «Ce n’est pas grave de se tromper, d’être à côté de la plaque, ajoute Pascal Graulus, l’essentiel, ce sont les réponses.»

Une cellule Evras

Pour briser la glace et détendre l’atmosphère, on demande aux élèves de présenter leur «blason». Il s’agit d’une courte présentation individuelle qui leur permet d’expliquer quel est leur rêve, quel est l’objet qui les représente, ce qui les rend heureux, ce qu’ils ont retenu des animations précédentes. Plusieurs jeunes rêvent de faire un tour du monde. Beaucoup disent qu’en amour il faut se protéger, dans tous les sens du terme. Certains rêvent de richesse, d’autres évoquent la famille comme le lieu du bonheur. Tout le monde joue le jeu. Car les élèves sont rodés à cet exercice.

«C’est désormais plus facile quand j’aborde dans mon cours la reproduction.», Eren Karakoc, professeure de sciences et membre de la cellule Evras

L’école des Dames de Marie (Saint-Josse) s’implique dans l’éducation à la vie relationnelle affective et sexuelle. Une cellule Evras a été mise sur pied il y a trois ans. Elle regroupe quelques professeurs, des représentants du centre PMS de l’école, la médiatrice, et des animateurs issus de quatre plannings familiaux. Chaque classe de 2e, 3e, 4e et 5e secondaire assiste à six heures d’animations par an. Des événements sont organisés, des sorties culturelles, des débats, autour de la thématique. C’est cette récurrence qui, selon les animateurs d’Aimer à l’ULB, explique que les élèves s’expriment et tentent d’en savoir plus.

Pour Eren Karakoc, professeure de sciences et membre de la cellule Evras, les animations régulières facilitent le travail au quotidien. «C’est désormais plus facile quand j’aborde dans mon cours la reproduction, explique-t-elle. Et les élèves sont mieux informés sur les IST (infections sexuellement transmissibles, NDLR)

«C’est quoi, un gigolo?»

Les animateurs se lèvent. Pascal Graulus s’approche du tableau, il écrit «Evras» et demande aux élèves de dire les mots qui leur viennent, sans filtre. Petit florilège: «Éducation, Kamasutra, Damso, amour, fellation, gigolo, sodomie, se protéger, consanguinité, hymen, hétérosexuel, homosexuel, pansexuel, virginité, pute, attachement, inceste, etc.»

Les mots s’affichent. Certaines notions sont expliquées. Qu’est-ce que le Kamasutra? N’est-ce vraiment qu’un livre de positions sexuelles? Qu’est-ce que la consanguinité? C’est quoi, un gigolo?

Un élève se lance: «Disons que c’est un homme, euh, qui vend…» Il hésite, tente un mime, puis explique: «C’est un homme qui vend son outil sexuel.» «C’est très important d’être précis, ajoute l’animateur. Une des choses les plus compliquées, c’est de dire les mots, cela permet de dépasser une certaine gêne. Plus on a de mots pour dire les choses, plus on sera protégé dans la vie.»

«Je ne suis pas d’accord de mettre hymen et virginité ensemble», une élève

Puis on demande aux élèves de regrouper ces mots par thèmes. «Damso, il va dans tous les thèmes, il parle de tout», lâche un élève en riant. Quelqu’un associe «confiance et respect». «Protéger et capote». «Hymen et virginité». Une jeune fille réagit aussitôt: «Je ne suis pas d’accord de mettre hymen et virginité ensemble, certaines filles n’ont pas d’hymen et leurs familles croient qu’elles ont perdu leur virginité.» «En effet, la virginité n’implique pas qu’un hymen saigne lors du premier rapport sexuel», enchaîne Cécilia Vieira.

Les élèves participent. Les inévitables ricanements n’empêchent pas une expression individuelle sincère. Ce qui n’est pas toujours le cas lors d’animations Evras. «C’est parfois difficile lorsqu’on touche à un interdit religieux, raconte Pascal Graulus. Cela peut aller très loin. Pour certains, leur vie sexuelle ne commencera qu’avec le mariage, cela n’a donc pas de sens pour eux de connaître quelque chose qui ne se pratique pas. C’est un gros obstacle.» «Tout dépend des groupes, ajoute Eren Karakoc, mais certains sujets restent très délicats à aborder, l’avortement par exemple.»

La classe se répartit en petits groupes. Les élèves ont quelques minutes pour réfléchir à des questions, inspirées des mots écrits au tableau, qu’ils aimeraient poser à l’équipe du planning. Et les questions tombent: «Est-ce qu’une femme ressent du plaisir?», «comment différencier ‘drague’ et ‘harcèlement’?», «l’inceste peut-il être considéré comme un viol?», «est-ce que les préliminaires sont considérés comme des actes sexuels (perdre sa virginité)?», «comment peut-on attraper des MST?» Réponses lors de la prochaine session.

En savoir plus

Alter Échos n° 459, «Evras, un label dans un vortex», Cédric Vallet, 6 février 2018

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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