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Regard critique · Justice sociale

Culture

Églises investies

La désertion des fidèles et les coûts élevés d’entretien forcent de plus en plus l’Église catholique belge à se séparer de ses édifices. Bien souvent récupérés par les pouvoirs publics, ces bâtiments ont heureusement l’occasion de s’offrir un lifting et une deuxième vie au service de la communauté. Voici le destin de quatre d’entre elles.

(c) Pinterest Eglise Notre-Dame d'Harscamp, Namur
(c) Pinterest Eglise Notre-Dame d'Harscamp, Namur

Les voitures jouent aux dominos sur le parvis tandis que la pluie assombrit une façade classique déjà très austère. Décentrée par rapport à l’activité commerciale et culturelle de Namur, située dans l’ancienne rue des tripots et des prostituées, l’église Notre-Dame d’Harscamp n’offre pas un accueil particulièrement joyeux. «C’est notamment ce qui nous a poussés à vouloir donner vie à cet endroit qui n’est pas le plus connu de Namur, pour dynamiser le quartier. » Voix suave, parfum embaumant et petit col en V, François Chalon nous reçoit sur le perron de ce bâtiment érigé au milieu du XVIIIe siècle. Il est le gestionnaire de La Nef, l’asbl qui exploite l’église en espace culturel. À l’intérieur, côtoyant les toiles du chemin de croix, les statues de saints et le confessionnal, un bar est accolé au bénitier, une scène occupe la nef et des tables de petite restauration recouvrent le chœur. Désacralisée en 2004, l’église s’était déjà reconvertie en centre culturel jusqu’à ce que le CPAS de la Ville, propriétaire des lieux, décide de déléguer totalement sa gestion en sous-location pour une durée de cinq ans. « L’appel d’offres a été lancé au dernier trimestre 2021, se souvient François. Il y avait pas mal de recommandations par rapport aux interactions que l’on devait avoir avec les acteurs locaux. Cela tombait plutôt bien par rapport à notre projet. » L’asbl La Nef s’est en effet créée avec la mission de louer Harscamp, ses loges, sa petite cuisine, son matériel audiovisuel et ses 250 places assises à quiconque désire organiser des événements culturels tels que des concerts, des cabarets, du théâtre ou des séminaires, mais pas de fêtes privées de type mariage ou anniversaire. La caractéristique la plus surprenante de l’endroit est probablement cet ensemble scène-tribune, situé autour de la chaire et surtout complètement amovible. Un respect de consigne plus qu’un choix. Puisque le bâtiment est classé, l’asbl ne peut toucher à rien. Seul un chauffage par le sol a pu être installé sous les carrelages, pour tenter de limiter l’un des défauts principaux d’une église : la consommation d’énergie. « Il faut au moins deux jours pour obtenir une bonne température ambiante, explique François. L’hiver dernier, les acteurs de la pièce Le Belvédère ont d’ailleurs dû répéter avec une combi de ski pour éviter de chauffer la salle trop à l’avance.» À l’inverse, le gestionnaire de La Nef se félicite de disposer d’une enceinte d’un beau volume dédiée à la culture en plein centre-ville. « Grâce à l’épaisseur des murs, on ne dérange pas le voisinage vu que le bruit ne se diffuse pas loin hors de l’église. » Ancien paroissien et même enfant de chœur auprès d’un oncle curé dans la région de Saint-Hubert, le Namurois n’a désormais plus véritablement de croyance chrétienne. « C’est le côté festif qui m’anime dans ce projet, explique-t-il. J’ai été commercial pendant plus de vingt ans. J’aimais bien, mais c’était finalement assez répétitif. Ici, c’est fort varié et articulé de telle sorte que tout le monde peut s’y retrouver. Et puis c’est agréable de faire bouger Namur dans un cadre un peu atypique même si, croyez-moi, on s’y habitue : je me sens désormais comme dans une salle classique. D’ailleurs, je ne parle plus jamais tout bas. »

 

L’importance architecturale 

 

Entre 2012 et 2020, sur les quelque 4.000 églises catholiques que compte le pays, environ 150 ont été désaffectées par l’Église de Belgique. Contacté par Alter Échos, le porte-parole de la Conférence des évêques de Belgique Tommy Scholtès n’a pas donné suite à notre demande d’interview. C’est donc à Anderlecht que nous avons trouvé des réponses sur le fonctionnement des réaffectations. Là-bas, entre le parc Crickx et la gare de Bruxelles-Midi, l’église Saint-François-Xavier s’apprête à entamer sa résurrection. « Ces dernières années, le bâtiment tombait en ruine. Son accès a donc été interdit à la petite communauté qui s’y rendait encore », précise le bourgmestre Fabrice Crumps. Peu encline à investir dans le maintien ou la rénovation de la construction, qui continuait de se détériorer, l’Église s’est alors rendue à l’hôtel de ville avec deux solutions sous le bras. La première consistait à déclasser puis raser les lieux – « mais aucun d’entre nous n’avait envie de voir disparaître cet élément du paysage de la commune », glisse Crumps – et la seconde favorisait la désacralisation. Rapidement, les deux parties se sont mises d’accord sur celle-ci et l’Église a cédé la bâtisse pour un euro symbolique le 1er février 2021. En guise de réaffectation, la commune a rapidement opté pour un espace ouvert à la fois sportif et culturel, où les grands volumes sous le plafond faciliteront notamment la pratique du trapèze et d’autres activités propres au cirque. « L’édifice se trouve à Cureghem, un quartier fragilisé qui a de gros besoins en termes publics, reprend le bourgmestre. Comme il n’est pas facile de créer de nouveaux immeubles en pleine ville, cette reconversion permet à la fois de préserver un bâtiment du patrimoine local et d’élargir l’offre publique. » Pour mener à bien les travaux, la commune a organisé un petit concours d’architectes. Le lauréat est actuellement en train de plancher sur le dossier de demande de permis d’urbanisme. En termes d’architecture, deux choix reviennent régulièrement sur la table quand il s’agit de reprendre un édifice religieux. À Bertrix, par exemple, il a été décidé de ne pas toucher à la façade de l’église des Franciscains, acquise par la commune en 2012. 

 

« Comme il n’est pas facile de créer de nouveaux immeubles en pleine ville, cette reconversion permet à la fois de préserver un bâtiment du patrimoine local et d’élargir l’offre publique. »

Fabrice Crumps

 

Les trois millions d’euros investis ont donc uniquement servi au rachat et au respect des différentes normes liées à la création d’une crèche lors des travaux. À Virton, l’ancienne chapelle des Sœurs de la doctrine chrétienne a quant à elle été reliftée en 2010 au moment de laisser place à une bibliothèque, la Biblionef. Les vitraux de la nef, sans grand intérêt patrimonial ni religieux, ont été retirés et remplacés par du verre clair plus lumineux. Dans le chœur, d’autres vitraux ont été démontés et réintégrés dans du double vitrage pour atteindre les performances énergétiques nécessaires. À l’intérieur, généralement, les architectes se mettent en revanche bien souvent d’accord sur l’idée de préserver colonnes, voûtes, plafonds et décorations tout en ajoutant leur touche personnelle. À Bertrix, l’ancienne église est divisée en trois étages dont la modernité fait par endroits oublier le passé de ce bâtiment néogothique érigé en 1931. Dispersés un peu partout dans la crèche, des petits recoins donnent quant à eux une impression de dédale. Quelque 45 kilomètres plus au sud, dans la capitale de la Gaume, les architectes de la Biblionef ont tenu à limiter leurs interventions au béton et au bois, des matériaux bruts pour mettre en évidence le travail de l’époque. « La dalle en béton est ancrée dans les murs, mais elle se détache à certains endroits pour laisser passer la lumière et les éléments de l’architecture originaux, précise à la chaîne Archi Urbain Bertrand Van Droogenbroek, du bureau Alinea Ter, responsable du chantier à l’époque. Nous avons aussi apporté des petites touches de couleur en peignant certaines nervures pour casser l’aspect rigide de l’église. »

 

Valeur de rassemblement

 

Située à côté d’une résidence-services, d’une école et de la gare, la crèche communale bertrigeoise Au Cœur de l’enfance constitue un pôle important de ce quartier de la ville ardennaise. Son grand parc public est un lieu de rencontre naturel et la directrice de l’établissement ambitionne de mener prochainement des projets pédagogiques intergénérationnels. « On aimerait impliquer les habitants des résidences-services au quotidien, sourit Sophie Ansay. Cela passerait par des moments de lecture, de jeux, de cuisine ou même de promenade dans le jardin. Avec l’école primaire voisine, on peut aussi imaginer des périodes de familiarisation. Philosophiquement, on a un peu hérité du rôle de l’Église qui est de rassembler et de promouvoir certaines belles valeurs humaines. » Cet esprit se retrouve également au sein de la tour Multimédia de la Biblionef, à Virton. 

 

« Philosophiquement, on a un peu hérité du rôle de l’Église qui est de rassembler et de promouvoir certaines belles valeurs humaines. »

Sophie Ansay

Là-bas, les architectes ont voulu préserver la superficie de la nef en valorisant, à l’instar d’un autel, un élément d’architecture contemporaine qui implique de nouvelles technologies. Divisé en trois étages, ce mini-beffroi de verre offre ainsi l’accès libre à un espace ludothèque, un autre BD et surtout une division informatique suréquipée d’ordinateurs. « Dans une bibliothèque, on va chercher le savoir, on regarde, on est vu, souffle l’architecte Bertrand Van  Droogenbroek. Cette idée de vision nous intéressait, surtout que la tour Multimédia peut être transformée en écran pour y projeter des images. » À quelques mètres de là, les bibliothécaires ont rassemblé les nouveautés BD et livres pour enfants sur des gradins en bois. À l’occasion, ces marches se transforment en authentiques tribunes lors de spectacles ou de lectures de contes. Pour créer un véritable forum antique. Et rendre un autre type d’hommage à l’Histoire.

Emilien Hofman

Emilien Hofman

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