Cela fait 20 ans que l’on envisage d’accélérer le cours de la justice pour des délits considérés de moindre importance. Instaurée par une loi en 2000, votée juste après les faits dramatiques du stade du Heysel, une procédure prévoyait une comparution du suspect entre quatre et sept jours après la commission des faits. De l’avis de beaucoup d’avocats, il s’agissait là d’un délai beaucoup trop court pour assurer une défense digne de ce nom. Qualifiée de snelrecht (justice expéditive), partiellement invalidée par la Cour constitutionnelle en 2002, la comparution immédiate est de retour depuis 2012 dans les prétoires sous une forme adoucie. Arrêt sur images à la 67e chambre du tribunal correctionnel de Bruxelles.
Article 216 quater du Code d’instruction criminelle. «Le procureur du Roi peut convoquer une personne qui est arrêtée […] à comparaître devant le tribunal correctionnel dans un délai qui ne peut être inférieur à dix jours ni supérieur à deux mois» à la suite de délits de faible importance: ce sont les termes qui définissent la procédure en comparution immédiate. Juger avec célérité des atteintes à l’intégrité physique ou psychique d’une personne tout en garantissant le respect pour le prévenu du droit à un procès équitable, une défense digne de ce nom ou encore à la présomption d’innocence: tel est l’enjeu de ces procédures.
Depuis leur instauration, le juge Luc Hennart, ex-président du tribunal de première instance de Bruxelles, siège dans le cadre de ces procès dont il est un fervent défenseur. Le verbe haut et la répartie qui fuse, le magistrat au nœud papillon a parfois le propos acerbe. Mais pas autant que celui de ses confrères de Charleroi qui avaient défrayé la chronique et donné une bien piètre image de cette justice accélérée. En effet, une émission de la RTBF Devoir d’enquête intitulée «La cour des miracles» et diffusée en 2013 mettait en scène un substitut du procureur du Roi et sa collègue, juge du siège. Tenant des propos nauséabonds, teintés de racisme et de populisme, les deux magistrats s’en prenaient aux prévenus, paumés, drogués, désinsérés, avec une violence et un mépris qu’aucun jugement moral, quel qu’il fût, ne pourrait justifier, et certainement pas dans une salle d’audience.
«En tout cas, vous avez de drôles de fréquentations, Monsieur! Vous n’avez rien fait, mais peut-être êtes-vous en écolage?! Vous étiez ivre, dites-vous? Alors il faudra m’indiquer ce que vous aviez bu, que j’évite. Vous marier? Pour le meilleur ou pour le pire…» Luc Hennart, juge à la 67e chambre du tribunal correctionnel de Bruxelles
Mises en scène
Également médiatisé dans le cadre de l’émission Face aux juges, diffusée cette fois par les soins de RTL-TVi, le juge Hennart, pour sa part, ne sort pas des clous, mais flirte avec les limites. C’est le cas avec ce pickpocket comparaissant en cette fin février pour deux vols à la tire ayant été commis fin décembre. Le prévenu explique s’être trouvé là par hasard et n’être pas concerné par les intentions délictueuses de son comparse, rencontré quelques minutes plus tôt. «Vous avez déjà été condamné pour des faits similaires en 2019 et là aussi vous niiez être partie prenante, alors que des images de caméra vous incriminaient sans nul doute. En tout cas, vous avez de drôles de fréquentations, Monsieur! Vous n’avez rien fait, mais peut-être êtes-vous en écolage?! Vous étiez ivre, dites-vous? Alors il faudra m’indiquer ce que vous aviez bu, que j’évite.» L’avocat rame pour sa défense: «Il a fait récemment une demande en mariage, il ne faudrait pas casser cette opportunité de se ranger.» Et le juge Hennart, de railler: «Une demande en mariage?! Pour le meilleur ou pour le pire?…»
Au suivant. Une avocate se présente à la barre pour expliquer que son client n’est pas là ce matin, car, incarcéré à la prison de Saint-Gilles, il n’a pas pu être amené au palais, vu la grève perlée du vendredi des gardiens de la prison. «Je remets au mois prochain, en espérant qu’ils aient repris le travail.» Un autre avocat, au client absent pour les mêmes raisons, décide, lui, de plaider la cause. Le procureur parle de faits tristement banals: un vol dans véhicule à 5 heures du matin, avenue de la Reine à Forest. La prévention: vol avec violence pour assurer sa fuite. L’avocat relativise: «Un vieux GPS hors d’usage, un portefeuille vide et, en fait de violence, il a juste bousculé une passante en s’enfuyant sans aucune intention de l’agresser.» Il explique: «Mon client est sans papiers, sans argent, il erre dans la nuit, cherche une place dans un refuge, mais ne trouve pas de place de libre. Alors il ouvre des voitures, sans jamais les fracturer et récupère quelques objets insignifiants. Il est juste désespéré. Incarcéré depuis un mois, il est en prison, finalement mieux que dans la rue. Il a repris quelques plumes. Mais il n’a rien à faire en prison. Je vous demande la clémence.»
Des délais raisonnables
Autre situation plaidée ce matin-là: un délit de fuite, à la suite d’une tentative d’interpellation par la police d’un conducteur en train de conduire, GSM à la main. Malgré la demande de se ranger émise par la patrouille, le jeune, âgé de 18 ans, ne s’arrête pas. Au contraire, il accélère, entamant une course-poursuite au cœur de la commune de Molenbeek-Saint-Jean, et ce, en pleine matinée. Percutant un poteau aux abords d’un passage piéton, le conducteur abandonne son véhicule, fuyant à pied pour être finalement rattrapé. Le prévenu est en aveux, mais le juge l’interroge: «Comment pouvez-vous justifier un tel comportement?» Le jeune parle d’amendes déjà reçues pour des faits similaires, alors qu’il était mineur, et de la peur d’être à nouveau pris. Le juge le tance, parle, à raison, de comportement totalement inadéquat, «étant un danger pour lui-même et pour autrui». Ce à quoi le jeune répond: «Je savais ce que je faisais, j’avais le contrôle.» Bien mal lui en prend, le juge Hennart voit rouge: «Ne vous inquiétez pas, moi aussi je sais ce que je fais. Bravo, la prise de conscience!» L’avocat du jeune tente de rattraper le coup: «Mais il est en aveux, il n’a pas cherché d’explications invraisemblables. Je vous assure qu’il a bien compris la gravité des faits, même si sa prise de conscience n’est pas totale, j’en conviens.» L’avocat demande la suspension du prononcé, son client est jeune, son casier vierge, il va à l’école. Le juge revient à la charge: «Et si c’était un piéton que vous aviez chopé, plutôt qu’un poteau? C’est là qu’est l’inconscience.»
Un mois et demi sépare les faits de l’audience. Le juge annonce son verdict pour la mi-mars. Peut-être sa colère, feinte ou réelle, sera-t-elle retombée. Quoi qu’il en soit, la justice pour une fois ne se fera pas attendre…