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Petite enfance / Jeunesse

À quoi sert (encore) le Conseil de la jeunesse?

Le Conseil de la jeunesse est bloqué depuis un an. L’organe d’avis est victime de calculs de politique politicienne, d’une incapacité à dialoguer et… de problèmes structurels. Depuis des années, cette instance est en quête de légitimité et de représentativité. Alors que se profile une sortie de crise, Alter Échos vous propose une plongée dans le marigot de jeunes militants.

© Conseil de la Jeunesse

Le Conseil de la jeunesse est bloqué depuis un an. L’organe d’avis est victime de calculs de politique politicienne, d’une incapacité à dialoguer et… de problèmes structurels. Depuis des années, cette instance est en quête de légitimité et de représentativité. Alors que se profile une sortie de crise, Alter Échos vous propose une plongée dans le marigot de jeunes militants.

C’est le 25 novembre que Charles Coibion a démissionné de sa fonction de président du Conseil de la jeunesse. Lors de son discours de départ, il dénonçait le fonctionnement complexe de l’organe d’avis des jeunes de la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui, selon lui, «relève plus des mathématiques que du projet politique». Élu des jeunes, il pointait avec sévérité la politisation du Conseil de la jeunesse. Un paradoxe de la part d’une personne elle-même versée dans la chose politique. Charles Coibion a été membre du cabinet de Paul Magnette. Il est toujours membre des Jeunesses socialistes et souhaitait faire du Conseil une organisation «militante».

Cette crise-là est sans précédent.

Ce départ concluait une dizaine de mois de délitement du Conseil de la jeunesse. Des membres du personnel salarié ont démissionné. Une dizaine de membres de l’assemblée générale ont fait de même ainsi que la quasi-totalité du conseil d’administration, devenu rachitique et incapable de prendre des décisions. Le dernier avis officiel du Conseil de la jeunesse date du 21 septembre… 2015.

Le Conseil de la jeunesse se fait régulièrement épingler pour ses difficultés de gestion, pour ses petits jeux de politique politicienne et ses problèmes de représentativité. Mais cette crise-là est sans précédent.

Une crise qui s’est vite muée en enjeu politique. Des députés ont interpellé la ministre de la Jeunesse, pour demander une mise sous tutelle de la structure, voire l’interruption du versement des subsides. Des représentants d’organisations de jeunesse s’interrogent à mi-voix sur l’intérêt de l’existence même d’une telle instance. Car si cette énième crise du Conseil de la jeunesse est liée à des enjeux de personnes, elle rappelle aussi les difficultés structurelles d’une institution toujours en quête de légitimité.

Blocage total

Tout avait pourtant bien commencé. Le 30 janvier 2016, Charles Coibion est élu président du Conseil de la jeunesse à l’unanimité par les membres de l’assemblée générale. Hourra! C’est chose rare. L’assemblée générale est «dynamique et motivée» si l’on en croit un communiqué de presse.

L’enthousiasme des débuts est vite douché par les premiers sujets concrets. C’est d’abord autour du PIIS, le plan individualisé d’intégration sociale, de Willy Borsus, qui vise à «responsabiliser» les bénéficiaires de l’aide sociale, que se cristallisent les tensions. Un communiqué de presse contre cette mesure est envoyé à la va-vite après consultation expresse (deux heures pour réagir par mail) par le conseil d’administration. L’assemblée générale proteste contre la méthode et réclame davantage de débats.

Puis ce sont des prises de parole publiques du président, des rendez-vous qu’il prend d’initiative avec des responsables politiques qui crispent une partie de l’AG. Ces prises de parole visent en particulier le gouvernement fédéral et sa politique, considérée comme «anti-jeunes». Charles Coibion le reconnaît, il voulait véhiculer une «vision militante, de défense des jeunes. Mon avis est que le gouvernement fédéral fait du tort à la jeunesse. Je pensais qu’on arriverait tous à se mettre d’accord là-dessus. Mais certains faisaient du blocage. Et c’est vrai j’étais adepte d’une ligne dure, j’ai pris un risque pour que cet organe retrouve une crédibilité vers l’extérieur.»

Sauf que la jeunesse est multiple et qu’il existe, parmi les jeunes représentés au Conseil de la jeunesse, conformément au pacte culturel qui impose une pluralité philosophique et idéologique, des jeunes libéraux. Ceux-là se sont rebiffés contre l’orientation de Charles Coibion. Ils ont critiqué le côté «taurin» du président. Foncer tête baissée, sans délibérer. C’est d’ailleurs ce que confirme une représentante de l’administration: «Il y a peut-être eu une confusion de la part du président qui pensait être le héraut des jeunes alors que le Conseil de la jeunesse est une institution avec des organes, des procédures et que ses positions doivent être validées.»

Les «frondeurs» n’étaient pas que libéraux. Des membres de la Fédération des étudiants francophones (FEF), des scouts ou des indépendants se sont unis pour critiquer ces méthodes.

Sept membres du conseil d’administration – qui en comptait 13 – sont partis le 31 août. Un autre en octobre

Dernier point de discorde: la composition du conseil d’administration. Les «frondeurs», qui représentaient tout de même environ la moitié des membres du Conseil de la jeunesse, voulaient qu’une élection soit organisée pour y renforcer leur position, afin de tendre vers davantage d’équilibre politique (la FEF, par exemple, souhaitait monter au CA). Mais l’élection n’est pas venue. Chaque «camp» a durci ses positions. Charles Coibion reconnaît qu’il est alors devenu «intransigeant». C’est d’ailleurs autour de sa personne que se sont concentrées les critiques d’environ une moitié de l’AG.

Les premières démissions ont commencé à pleuvoir. Sept membres du conseil d’administration – qui en comptait 13 – sont partis le 31 août. Un autre en octobre.

Quant à l’assemblée générale, qui comptait 68 membres, elle a perdu dix jeunes découragés – tous affiliés à la FEF – qui ont démissionné en novembre. Ceux-là avaient participé à ce que Charles Coibion appelle carrément un «putsch». Au mois d’octobre, ils avaient tenté de faire adopter une motion de défiance à l’encontre du président. Vu l’extrême complexité du système de vote au sein du Conseil de la jeunesse – nécessité d’une présence effective de deux tiers de l’assemblée générale et une majorité minimum de 32 voix –, le vote n’a pas abouti malgré une majorité en nombre de voix.

«Un groupe de jeunes a quitté la réunion tout à coup pour faire sauter le quorum», dénonce Maxime Mori, président de la FEF, qui regrette ces «petits jeux politiques pathétiques». Les jeunes pointés du doigt étaient socialistes pour la plupart, ce que ne nie pas Charles Coibion. «Le but de ceux qui sont partis était d’éviter que le vote ne tourne au règlement de comptes.»

Des réformes structurelles

Vu la paralysie totale du Conseil de la jeunesse, la ministre, Isabelle Simonis, n’exclut pas une énième réforme du décret de l’instance. Pour ce faire, elle souhaite se baser sur une «évaluation complète du dispositif».

Le Conseil de la jeunesse est aujourd’hui marqué à la culotte. Le service jeunesse (administration) s’est associé au service d’inspection de l’administration générale de la Culture pour mener une médiation et tirer de premiers éléments d’analyse. En 2017, l’évaluation globale du Conseil de la jeunesse sera conduite par l’Observatoire de l’enfance de la jeunesse et de l’aide à la jeunesse ainsi que par l’Observatoire des politiques culturelles. Enfin, le Conseil de la jeunesse est appelé à conduire sa propre évaluation.

Certains éléments des réflexions d’aujourd’hui (et donc, probablement) des réformes de demain sont d’ores et déjà connus.

Les jeunes qui siègent à l’assemblée générale sont élus pour deux ans. Cette durée de mandat ne permet pas toujours une stabilité dans le travail effectué. Les quorums nécessaires pour certains votes sont très difficiles à atteindre, on l’a vu. Les procédures avant de communiquer à l’extérieur ne sont pas claires.

Quant à l’objet même du Conseil de la jeunesse, il est parfois remis en cause. Certains imaginent un Conseil davantage impliqué dans des projets concrets plus que dans l’expression d’une opinion politique. L’un des (rares) élus indépendants du Conseil dresse un constat sévère sur le bilan d’un Conseil politique, dont l’ambition serait de peser sur le débat public: «On veut en faire un organe politique à tout prix, mais il perd toujours, car ses avis sont généralement des compromis tièdes. Sur l’emploi par exemple, les jeunesses syndicales sont plus efficaces. Sur les enjeux estudiantins, la FEF est meilleure. Je pense qu’il faudrait davantage travailler autour de projets fédérateurs.»

Enfin, la conception des fameux «avis» du Conseil pourrait être mieux cadrée. Une source issue de l’administration pense que la façon de concevoir les avis doit être repensée: «Les jeunes pensent qu’ils sont plus forts avec un avis monolithique. Il devrait être possible d’exprimer des avis plus variés, des avis divergents, conformes à la multiplicité des opinions. Car le but de ces avis est d’informer de ce que pensent les jeunes.» Et les jeunes, à l’image de la société dans son ensemble, ont rarement un avis partagé.

Pour ce fin connaisseur du dossier, qui a préféré rester anonyme, il est temps de sortir d’une ambiguïté: «Pour certains jeunes, le Conseil de la jeunesse est une école politique, pour d’autres c’est un projet citoyen. Ces deux ‘mondes’ entrent en collision. Selon moi, le projet de base est un projet citoyen.»

L’une des conclusions de cet interlocuteur est à première vue radicale: en finir avec les élections des membres du Conseil de la jeunesse. Car celles-ci favorisent généralement les plus impliqués politiquement, ceux qui possèdent les réseaux les plus forts. Mieux vaudrait, dès lors, s’appuyer sur des volontaires qui travailleraient ensemble sur des projets concrets. Mais ce n’est qu’une piste parmi d’autres.

La quête d’une formule magique

Les ministres successifs de la Jeunesse ont tenté de répondre à la grande question: «Comment faire du Conseil de la jeunesse un organe réellement représentatif?»

Avant 2008, c’était avant tout un Conseil «sectoriel». Il représentait les organisations de jeunesse qui y abordaient leurs enjeux de secteur. Après 2008, le «poto-poto» sectoriel a été déplacé vers la Commission consultative des organisations de jeunesse (CCOJ).

Le terme «indépendant» sème la confusion. La plupart de ces indépendants militent dans des jeunesses politiques

L’idée était de lancer un Conseil de la jeunesse composé uniquement de jeunes élus par d’autres jeunes. L’ère de la démocratie. Très vite, la quête du «vrai» jeune s’est heurtée à la réalité. Les jeunes élus, par quelques milliers d’électeurs (de 2.000 à 5.000), étaient déjà très impliqués dans les organisations de jeunesse et les jeunesses politiques. Cette formule – bien que séduisante sur le papier – posait de réels problèmes de légitimité (une poignée de jeunes élus par une autre poignée, censée représenter l’avis «des jeunes» de Belgique francophone) et n’empêchait nullement que de petites manigances n’obèrent un fonctionnement harmonieux de l’organisation.

En 2013, Evelyne Huytebroeck coupe la poire en deux. Ou plutôt en trois. Une moitié des membres de l’assemblée générale n’est pas élue. Il s’agit de personnes «du secteur», désignées par les organisations de jeunesse ou les maisons et centres de jeunes. L’autre moitié est composée de jeunes élus. Elle est elle-même divisée en deux. D’un côté, des élus «parrainés» par des structures locales de jeunesse. De l’autre des jeunes «indépendants».

En réalité, le terme «indépendant» sème la confusion. La plupart de ces indépendants militent dans des jeunesses politiques. Souvent ils ne s’en cachent pas. Mais la réalité est parfois dure pour les rares jeunes dits «non représentés» qui, bien sûr, ont aussi des idées politiques, mais n’appartiennent pas au petit monde de la militance active. L’un d’eux pense qu’on peut «facilement être dégoûté quand on voit le fonctionnement ultra-politicien de la structure. Surtout lorsqu’on sent bien que les choses sont décidées en amont, lors de préréunions».

Imbroglio de caniveau

Les «préréunions» évoquées par notre jeune élu font référence à des concertations préalables à l’expression d’opinions au sein du Conseil.

Des concertations par affinité politique au sein du Conseil… mais aussi des discussions en amont auprès des grosses organisations de jeunesse (OJ) ou de fédérations. Pas complètement illogique, car la moitié des membres de l’assemblée générale est mandatée par les OJ, même si les textes ne sont pas clairs sur leur statut. C’est même l’un des arguments qui est avancé pour souligner la supposée représentativité du Conseil: le jeune choisi par les scouts a derrière lui… 50.000 scouts.

La plupart des fédérations que nous avons contactées – Jeunes et libres, RelieF, ProjeuneS, FCJMP – jurent pourtant leurs grands dieux qu’ils ne donnent pas de consignes de vote à «leurs» élus, qui, dans une structure comme le Conseil de la jeunesse, doivent voter en conscience, débattre, dialoguer.

Si la lettre est authentique, elle révèle effectivement les pressions que subissent les élus du Conseil de la jeunesse. Si la signature est falsifiée, alors elle prouve que la manipulation est un sport qui s’apprend tôt.

Un connaisseur de ces questions, au sein de l’administration, constate pourtant que «la possibilité qu’ont les jeunes de négocier entre eux est limitée par le fait qu’ils doivent s’aligner en amont, et en aval, sur les positions élaborées dans des structures organisées».

Plusieurs membres du Conseil de la jeunesse vont plus loin dans la dénonciation d’une ingérence de grandes OJ dans la teneur des débats. Ils font état de pressions, particulièrement de la part de «ProJeunes», la Fédération des jeunes socialistes et progressistes, sur des membres de l’AG pour s’aligner sur les positions officielles de leur «bloc».

Une lettre reçue par une jeune élue – ancienne membre d’une organisation à tendance socialiste mais élue sur une liste n’appartenant pas à ce bloc – a été transmise à Alter Échos. La présidente de ProJeunes et le président du Comité interuniversitaire des étudiants en médecine (Cium), qui estime avoir apporté «90%» des voix à la jeune élue, demandent un engagement écrit de celle-ci «d’attester de sa volonté entière de collaborer» avec les deux structures. Sans cela, les deux organisations «exigeront une démission» et «sont prêtes à se battre pour que justice soit faite». Des menaces pas franchement voilées. Aujourd’hui, ProJeunes, par la voix de son directeur Carlos Crespo, dénonce une falsification de signature! Du côté du Cium, on parle d’«erreur lors de l’envoi». Un bien bel imbroglio de caniveau qui déconcerte lorsqu’on pense à la portée réelle des enjeux: influencer des avis du Conseil de la jeunesse… qui n’influenceront qu’à la marge la vie politique belge.

Si la lettre est authentique, elle révèle effectivement les pressions que subissent les élus du Conseil de la jeunesse. Si la signature est falsifiée, alors elle prouve que la manipulation est un sport qui s’apprend tôt.

Le 10 décembre, les membres de l’assemblée générale du Conseil de la jeunesse devaient élire un nouveau conseil d’administration. Manque de bol, le fameux «quorum» n’était pas atteint. La crise est un éternel recommencement.

En savoir +

«Secteur jeunesse dans l’expectative», Alter Echos n°398, 9 mars 2015, Cédric Vallet

 

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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