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Regard critique · Justice sociale

Migrations

Sans papiers, sans droit au volontariat

Impossible d’évaluer leur nombre, difficile de récolter leurs témoignages. Mais elles existent. Des associations ont décidé de donner la possibilité à des personnes en séjour illégal en Belgique de s’investir bénévolement au sein de leurs projets.

(c) Tamara Gullentop - Avec plusieurs sans-papiers bénévoles, Collectactif, projet de récup' de déchets alimentaires, organise des tables d’hôtes à Bruxelles.

Officiellement, les sans-papiers n’ont pas le droit de faire du bénévolat. Mais sur le terrain, des associations font appel avec eux.

Impossible d’évaluer leur nombre, difficile de récolter leurs témoignages. Mais ils existent. Des associations ont décidé de donner la possibilité à des personnes en séjour illégal en Belgique de s’investir bénévolement au sein de leurs projets.

Alors que les demandeurs d’asile ont désormais le droit, depuis 2014, de faire du volontariat (voir encadré), le bénévolat des sans-papiers n’est toujours pas autorisé. Selon Jean-Yves Carlier, professeur de droit à l’Université catholique de Louvain et spécialiste du droit des migrations, le bénévolat des sans-papiers au sein d’associations «pourrait être assimilé à de l’aide au séjour irrégulier et donc condamnable sur le plan pénal sauf si on prouve que c’est à titre humanitaire». L’avocat précise toutefois qu’il n’a jamais eu vent d’associations accusées.

«On leur donne une place»

«La décision de faire appel à des sans-papiers pour faire du bénévolat est en fait très pragmatique. On sait que cela n’est pas légal, mais en attendant une solution structurelle pour les 20.000 personnes sans papiers à Bruxelles, on agit, explique la coordinatrice de l’une de ces associations à Bruxelles, qui souhaite rester anonyme, le pays ne veut pas d’eux mais nous décidons de les valoriser dans ce qu’ils savent faire, de leur donner une place.» 

«On est clair dès le début et on leur dit bien qu’on ne va pas les aider à avoir des papiers.», une coordinatrice (anonyme) d’une association

Son association compte une dizaine de sans-papiers sur une septantaine de bénévoles, qui viennent à des fréquences différentes, toutes les semaines ou deux fois par an. Cette association socioculturelle a fait appel à un sans-papiers pour la première fois il y a trois ans. «Nous avions besoin de quelqu’un pour encadrer des enfants lors d’ateliers de cuisine. On nous a renseignés sur une personne qui travaillait au noir dans un restaurant à qui cela pourrait faire plaisir, explique la coordinatrice, il a pleuré dans mes bras quand on lui a demandé. C’était la première fois que quelqu’un valorisait ce qu’il faisait.» Depuis, ils sont plusieurs à avoir rejoint l’équipe de bénévoles, souvent par le bouche-à-oreille.

Faire appel à des bénévoles nécessite de poser certaines balises. Une assurance, d’abord. «C’est vraiment la condition numéro un», souligne la coordinatrice. Les sans-papiers ont le droit d’être assurés, pour la simple raison que les papiers ne sont pas toujours nécessaires selon les compagnies d’assurances, qui se contentent de demander un nom.

La seconde précaution avancée par notre interlocutrice est d’éviter de vendre du rêve aux personnes séjournant illégalement sur le territoire. «On est clair dès le début et on leur dit bien qu’on ne va pas les aider à avoir des papiers», explique-t-elle. Toutefois, cela n’empêche pas l’association de les soutenir, en les orientant par exemple vers d’autres jobs bénévoles, vers du soutien juridique ou encore de l’aide alimentaire… Aussi, les associations prennent soin de bien préciser qu’il ne s’agit pas d’un boulot. «Cela doit rester un choix.» Malgré ces «précautions», il arrive que les choses ne se passent pas toujours bien. «Il y a eu des déceptions, des attentes non rencontrées, des frustrations, c’est inévitable», déplore la coordinatrice.

Risque d’exploitation?

À la Plateforme francophone du volontariat, on souligne que «plusieurs associations leur ont posé la question des risques de permettre à des sans-papiers de faire du volontariat». Emmeline Orban, sa secrétaire générale, explique: «Les volontaires sans papiers ne tombent pas sous la loi du volontariat. S’ils en font quand même, et qu’ils sont défrayés, cela pourrait être assimilé à de l’exploitation.» Les volontaires peuvent en effet avoir droit à un défraiement de 33,36 euros au maximum par jour. «Le moyen d’éviter que ça soit considéré comme du travail au noir est de les défrayer en nature», observe Jean-Yves Carlier, qui souligne «le paradoxe et la zone grise dans laquelle se situe le volontariat des sans-papiers.»

«Ce projet est l’occasion de montrer que la citoyenneté n’est en aucun cas liée au titre de séjour.» Abdel, du Collectactif

La coordinatrice de l’association se défend de toute exploitation: «C’est clair que notre association ne pourrait pas fonctionner sans bénévoles. Nous n’avons pas assez de budget. Mais notre démarche vis-à-vis des personnes sans papiers n’est absolument pas opportuniste. On pourrait organiser des activités sans eux… Mais ils font partie de la vie de la commune, pourquoi les exclure?»

L’association agit d’ailleurs en vue d’éviter ce glissement: «Pour certaines tâches, de type ‘manutention’ par exemple, on leur dit de ne venir que trois heures, afin qu’ils soient défrayés décemment. Aussi, il arrive qu’on défende à certains de ‘trop’ s’investir, on pose des limites.»

Pour Abdel, de Collectactif, projet de récup de déchets alimentaires créé par des sans-papiers et qui compte à ce jour plusieurs bénévoles sans titre de séjour, il n’a jamais été question de savoir s’il était possible ou pas, légal ou non, de s’investir bénévolement en tant que sans-papiers. «Notre groupe s’est dit: ‘On ne va pas rester figé, on va vivre notre citoyenneté, la revendiquer.’ C’est un acte de désobéissance civile, explique-t-il, ce projet est l’occasion de montrer que la citoyenneté n’est en aucun cas liée au titre de séjour et d’insister sur le fait que les migrants sont des personnes comme les autres et non une main-d’œuvre jetable.» Abdel souligne en outre qu’il s’agit aussi d’une alternative constructive au travail au noir car «cet engagement peut être une petite source de revenus», Collectactif gagnant un peu d’argent lors de leurs tables d’hôtes organisées dans plusieurs lieux de Bruxelles et à prix libre. Mais pour lui, comme pour l’association que nous avons rencontrée, donner la possibilité à des personnes sans titre de séjour de faire du bénévolat est avant tout un moyen de rompre l’isolement, de renforcer la cohésion sociale.

«En Flandre, le volontariat des demandeurs d’asile est beaucoup plus développé en raison du parcours d’intégration qui commence dès la demande d’asile.» Emmeline Orban, secrétaire générale de la Plateforme francophone du volontariat

Si les membres de Collectactif revendiquent ouvertement s’engager bénévolement en tant que sans-papiers, les associations, elles, n’ont pas choisi pour le moment de le dire publiquement. «On s’est rencontrés il y a peu entre associations qui partagions cette situation – une quinzaine – et on s’est dit que tant qu’aucun de nous n’était dénoncé et n’avait des problèmes, on se taisait. D’autant que nous n’aimons pas parler ‘au nom des sans-papiers’. On ne veut pas de faire de plaidoyer politique mais privilégier l’action en leur faveur. Dans le contexte politique actuel, c’est mieux de travailler derrière la scène», souligne la coordinatrice.

Le volontariat pour les demandeurs d’asile autorisé
Depuis la loi du 22 mai 2014, toute personne étrangère séjournant légalement en Belgique a le droit de faire du volontariat. Jusqu’alors, seuls les étrangers hors Union européenne avec un permis de travail avaient le droit de faire du volontariat. La nouvelle loi inclut des bénéficiaires de l’accueil, c’est-à-dire, des personnes accueillies sur la base d’une demande d’asile dont la procédure d’asile est toujours en cours, des membres de famille du demandeur d’asile et des mineurs étrangers non accompagnés (MENA), mais aussi tout étranger dont le séjour en Belgique est couvert par un titre ou un document de séjour légal. Ce droit au volontariat ne donne par ailleurs aucun droit à rester sur le territoire. Le ressortissant étranger doit déclarer son activité fédérale l’Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile. «Pour l’instant, on tâtonne encore un peu en Wallonie», explique Emmeline Orban de la Plateforme francophone du volontariat, qui ajoute «qu’en Flandre, le volontariat des demandeurs d’asile est beaucoup plus développé en raison du parcours d’intégration qui commence dès la demande d’asile, contrairement à la Wallonie, où le parcours d’intégration concerne les réfugiés.» La Plateforme s’attelle d’ailleurs à une recherche-action avec diverses associations en vue de développer ce type de volontariat. Quant aux sans-papiers, la Plateforme souligne que «la mobilisation pour l’ouverture aux demandeurs d’asile ouvre la porte à la question des sans-papiers. D’autant, ajoute sa secrétaire générale, que les organisations n’ont pas d’obligation à connaitre la situation des bénévoles face à elles, n’ont pas à savoir si le bénévole en face d’eux a ses papiers ou non, s’il a reçu un ordre d’expulsion ou pas». Pour l’instant, la loi dit que Fedasil doit être mis au courant de l’activité volontaire, mais c’est au volontaire de les prévenir.

 

 

 

 

 

 

En savoir plus

«Coûts et bénéfices de l’intégration des réfugiés en Allemagne», interview de l’économiste Tobias Hentze, Julien Winkel, 20 février 2017.

Manon Legrand

Manon Legrand

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