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T’as le code?

Réseau international de clubs informatiques pour les jeunes, CoderDojo s’est implanté en Flandre dès 2012. Aujourd’hui, l’initiative se déploie progressivement dans le sud du pays, sur fond de réflexion institutionnelle : le code doit-il s’apprendre sur les bancs de l’école ?

Dans le secondaire, «il n’y a aucune approche formelle et systémique, aucune notion de ce qu’est l’informatique en tant que science: ce qu’est une ligne de code, un algorithme…» Olivier Goretti, coordinateur du SI2

Réseau international de clubs informatiques pour les jeunes, CoderDojo s’est implanté en Flandre dès 2012. Aujourd’hui, l’initiative se déploie progressivement dans le sud du pays, sur fond de réflexion institutionnelle: le code doit-il s’apprendre sur les bancs de l’école?

Tout a commencé par un iPod Nano piraté. Détenteur de ce haut fait, James Whelton, un Irlandais de 18 ans, devient en 2011 la coqueluche de son école. Il rassemble alors autour de lui quelques-uns de ses cadets auxquels il apprend les bases de la programmation. Avec l’aide d’un entrepreneur australien, Bill Liao, le jeune hackeur lance dans la foulée les premiers «CoderDojo», clubs pour apprentis programmeurs et mini-geeks.

Aujourd’hui, quelque 1.100 Dojos ont ouvert leurs portes dans 63 pays, du Royaume-Uni au Japon, en passant par les Pays-Bas, Madagascar ou la Tanzanie. À l’origine, un «dojo» désigne le lieu où l’on pratique un art martial: en japonais, ce terme signifie littéralement «lieu où l’on cherche la voie». Tout un programme si l’on ose dire. Destinés aux enfants et ados de 7 à 18 ans, les dojos sont animés par des bénévoles, en général des professionnels du secteur IT soucieux de répandre la bonne parole informatique. Chez nous, la sauce a tout de suite pris en Flandre, sous la houlette d’une ambassadrice technophile, Martine Tempels, «senior vice president» de Telenet, par ailleurs pourvoyeur de quelques subsides. Dans le nord du pays, on compte aujourd’hui quelque 80 CoderDojos.

Retard wallon

Au sud, il y a d’abord Céline Colas. Il y a quelques années, cette jeune Liégeoise bachelière en communication se met en quête d’une formation complémentaire en informatique et e-learning. Elle découvre l’existence des dojos en même temps que leur maigre implantation en Belgique francophone. En 2015, cette fille d’informaticienne met sur pied l’asbl «Kodo Wallonie». Avec une équipe de quelques passionnés, elle tente alors de déployer ses propres «Kodo clubs»: Liège ouvre le bal, rapidement suivi de Mons, Charleroi et Louvain-la-Neuve. «Contrairement à CoderDojoBelgium où les ambassadeurs sont des cadres actifs dans les entreprises numériques, nous étions de simples petits citoyens. Nous avions donc moins de moyens humains et financiers, moins de sponsors. Notre but, aussi, était un peu différent. Il s’agissait plus de sensibiliser au numérique que de susciter des vocations professionnelles», explique-t-elle.

«Notre objectif est de montrer à ces jeunes que l’informatique, c’est vraiment rigolo !» Martine Tempels, Telenet

 

Entre-temps, les deux initiatives ont réussi à coordonner leurs actions: Kodo Wallonie se concentre désormais sur les stages et animations au sein des écoles et des «espaces publics numériques» (EPN) en collaboration avec Digital Wallonia, tandis que CoderDojoBelgium s’emploie à déployer les dojos sur le territoire wallon grâce à son réseau de bénévoles. Pour ce faire, l’association s’est adjoint une seconde ambassadrice, Muriel De Lathouwer. Directrice d’EVS, entreprise technologique liégeoise qui s’est taillé une réputation internationale grâce à ses ralentis vidéo instantanés, Muriel De Lathouwer a été couronnée en 2017 «ICT Woman of the year», un titre qui distingue une femme active dans le secteur des technologies de l’information et de la communication. C’est à cette occasion qu’elle a rencontré l’«ICT Woman of the year» 2012… Martine Tempels (Telenet). «J’ai accepté avec grand plaisir d’apporter mon aide côté wallon, explique la ‘senior vice president’ de Telenet. Aujourd’hui, trop peu de jeunes se lancent dans le digital par rapport à l’importance que prennent ces compétences. Notre objectif est de montrer à ces jeunes que l’informatique, c’est vraiment rigolo!»

Susciter des vocations

Car les dojos n’ont rien d’austère, de cours ex cathedra. Ici, on met la main à la pâte. Les plus petits s’initient à des applications simples comme Scratch, «qui ne demande même pas de savoir lire et écrire, mais repose sur des bases logiques», tandis que les plus grands peuvent travailler à un projet personnel, comme la mise sur pied d’un jeu vidéo. Mais l’objectif des dojos n’est pas seulement de donner du grain à moudre aux aficionados: il faut aussi aller chercher les enfants qui croient que ce n’est pas pour eux. «On pourrait avoir un pool de talents très important en allant puiser chez les petites filles qui pensent peut-être moins à ce type de carrière ou dans des milieux moins favorisés qui n’ont pas accès à l’informatique, parfois parce qu’il n’y a tout simplement pas de PC à la maison, explique Muriel De Lathouwer. Ça permettrait de créer des vocations et de participer à l’essor de l’économie belge dans les années à venir.»

Parce que les filles ne représentent pas plus de 20 à 30% du public, CoderDojoBelgium a lancé la campagne annuelle «CoderDojo4divas», des animations exclusivement réservées aux petites filles et animées par des femmes. En 2016-2017, Céline Colas a de son côté assuré pendant un an une animation au sein de la bibliothèque de Droixhe, un quartier défavorisé de Liège. «J’ai eu peur que ce soit un fiasco. Mais sur les 12 jeunes qui ont commencé, sept ou huit sont allés jusqu’au bout du projet qui était de créer un jeu vidéo. Nous y sommes parvenus même si nous avons dû revoir un peu nos ambitions. Au préalable, il y avait en effet tout un travail d’initiation à mener: ne fût-ce que la prise en main d’une souris…»

«Pouvoir travailler en équipe et se coacher mutuellement, ce sont des compétences utiles bien au-delà des métiers du digital.», Muriel De Lathouwer, CEO d’EVS

Pour la fondatrice de Kodo Wallonie, aller vers des publics peu familiers du numérique et de ses enjeux est aussi une occasion de déconstruire certaines représentations tenaces. Non, l’ordinateur n’est pas «mauvais pour les enfants». «Je rencontre parfois des parents en détresse qui nous demandent de les aider parce que leur enfant est ‘tout le temps sur l’ordi’. Dans ce cas, j’essaie d’abord de voir ce que ça signifie pour eux. Qu’est-ce que l’enfant fait sur l’ordi? Les parents ne le savent pas toujours… Si on me répond qu’il joue à Minecraft, j’essaie de dédramatiser en expliquant que c’est très intéressant d’un point de vue éducatif. Évidemment, quand on me dit qu’il passe son temps sur Counter-Strike (NDLR: jeu de tir à la première personne), j’avoue que c’est un peu plus compliqué…», glisse-t-elle.

Muriel De Lathouwer souligne pour sa part les vertus hautement socialisantes et pédagogiques du dojo versus l’ordi en chambre. «Pour moi, c’est très différent d’être derrière un écran ou d’être dans un rôle créatif, où l’on tente de résoudre des problèmes, où l’on brainstorme avec d’autres enfants.» Beaucoup de jeunes finissent ainsi par devenir eux-mêmes coachs, manière de partager et de valoriser une passion souvent considérée comme «asociale». «Pouvoir travailler en équipe et se coacher mutuellement, ce sont des compétences utiles bien au-delà des métiers du digital», plaide la directrice d’EVS.

Illettrisme numérique

Car, bien sûr, l’enjeu n’est pas uniquement de former des petits génies de l’informatique. Il s’agit aussi de développer un rapport actif au numérique: «Apprendre à coder pour ne pas être programmé», comme le dit le slogan de l’opération #Wallcode lancé par Digital Wallonia. Au cours de sa deuxième édition en octobre 2017, #Wallcode a ainsi permis à quelque 5.000 élèves du primaire de s’initier à la logique algorithmique et aux langages de programmation. Les partenaires de cette opération? Kodo Wallonie, mais aussi l’ICTeam-UCL, chargé de coordonner le volet relatif à la formation des enseignants grâce au Consortium SI² (Sciences informatiques pour le secondaire inférieur), qui fédère l’ensemble des sections informatiques des universités et hautes écoles.

Coordinateur du SI2, Olivier Goletti rappelle que les lacunes en la matière sont immenses. «Certains élèves sortent du secondaire sans être allés une seule fois dans la salle informatique. Et lorsqu’il y a des cours d’informatique, ceux-ci tournent autour de la bureautique, de l’utilisation de logiciels spécifiques. Il n’y a aucune approche formelle et systémique, aucune notion de ce qu’est l’informatique en tant que science: ce qu’est une ligne de code, un algorithme…», explique-t-il. Pour ce chercheur, il ne s’agit pas seulement d’un retard, mais d’un recul. «Du temps de nos parents, on faisait davantage d’informatique à l’école parce que c’était tout simplement la seule manière d’interagir avec un ordinateur.» Un savoir minimal dont nous dispensent aujourd’hui les interfaces parfaitement «designées» de nos appareils numériques. Avec, à la clef, une forme d’illettrisme digital. «Il y a un gros problème de réflexion autour du numérique qui est pourtant partout dans nos vies. Il faut déconstruire les mythes, comprendre ce qu’on a dans les mains», commente Céline Colas. «Le but n’est pas de faire de tout le monde des informaticiens, rebondit Olivier Goletti, mais de comprendre qu’aujourd’hui, n’importe quel étudiant en sciences ou même en arts va être amené à manipuler un langage de programmation.»

«Du temps de nos parents, on faisait davantage d’informatique à l’école parce que c’était tout simplement la seule manière d’interagir avec un ordinateur.», Olivier Goletti, coordinateur du SI2

Si la France ou le Royaume-Uni ont commencé à intégrer cette matière dans leurs programmes scolaires, les obstacles demeurent nombreux.«D’abord, il faut une volonté politique. Ensuite, un des freins majeurs, c’est le manque de profs. Aujourd’hui, il n’existe pas d’agrégation ou de régendat en informatique. Et puis, les informaticiens gagneront toujours plus en allant travailler ailleurs que dans une école. Pour le moment, en Belgique, on essaie donc plutôt de former des professeurs motivés à initier leurs élèves à quelques notions de base, par exemple dans le cadre d’un cours de technologie», explique Olivier Goletti. Si le Pacte d’excellence complexifie la donne, le chercheur souligne toutefois que l’Avis n°3 du Groupe central du Pacte a tenu compte des documents élaborés par le SI2. «Le politique a intégré l’idée qu’il faut penser le volet informatique. Maintenant, nous n’avons pas accès aux groupes de réflexion, donc nous n’avons aucune idée de la manière dont cela va être traduit… D’autant que peu de gens savent vraiment de quoi on parle quand il s’agit d’informatique», estime-t-il.

En attendant, Muriel De Lathouwer encourage les jeunes à pousser la porte d’un dojo. «Ce serait génial que ça puisse se faire à l’école mais de notre côté, nous avons opté pour une approche très pragmatique, qui ne nécessite pas de faire bouger tout le système. N’oublions pas qu’en termes de moyens humains, il faut compter un bénévole pour environ six jeunes… Ce n’est pas rien Olivier Goletti, de son côté, espère que l’école finira par relever le défi. «C’est le seul moyen de toucher tout le monde, y compris les filles. Je suis persuadé qu’aujourd’hui, les gens qui ne se lancent pas dans ce type de carrière sont en partie des gens à qui on n’a pas montré que ça existait et que c’était peut-être pour eux.»

En savoir plus

Alter Échos n°445, «‘Capital Digital’: des formations IT pour jeunes défavorisés», Aubry Touriel, 7 juin 2017.

Julie Luong

Julie Luong

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