Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale
(c) Ilias Bartolini, Flick CC

Le tribunal de première instance de Bruxelles a prononcé ce 13 décembre l’acquittement complet de six personnes qui avaient tenté d’empêcher une expulsion dans un vol à destination du Cameroun. Une victoire dans un contexte de criminalisation croissante des sans-papiers mais aussi de la solidarité, qui inquiète citoyens et associations.

Rappel des faits. Le 17 août 2016, un vol à destination du Cameroun s’apprête à décoller. À son bord, un Camerounais expulsé de Belgique est menotté et escorté par des policiers au fond de l’avion. Quelques dizaines de personnes refusent de s’asseoir dans l’avion pour marquer leur désaccord avec cette expulsion violente. Le commandant de bord leur demande alors de se rasseoir. Six passagers parmi les récalcitrants sont alors désignés par des membres du personnel de bord. Ils sont arrêtés par la police et poursuivis pour «entrave méchante à la circulation aérienne et pour non-respect des directives du commandant de bord d’un avion».

Ces «six héros» comme les ont renommés de nombreuses associations citoyennes ont été acquittés ce 13 décembre. La président a motivé l’acquittement par «le fait qu’il n’y avait pas d’intention d’entraver méchamment la circulation aérienne mais que les personnes ont agi par sympathie». Quant à la seconde prévention, relative au non-respect des directives du commandant de bord d’un avion, «il n’y a pas assez d’éléments pour établir une culpabilité».

Pour les six prévenus et leurs trois avocats, c’est le soulagement. «On est content mais c’est quand même dommage d’avoir consacré autant d’argent pour un procès purement politique», déplore l’avocate Marie Doutrepont, membre du Progress Lawyers Network, réseau de cabinets d’avocats progressistes à Bruxelles et Anvers. L’avocate s’inquiète de «la recrudescence de la criminalisation de tels actes de solidarité»: «Ce sont des faits qui n’étaient pas poursuivis par le passé, jusqu’à l’arrivé de Francken. Il existe aujourd’hui en Belgique une politique migratoire répressive et la frange de la population qui manifeste son désaccord, qui fait preuve d’empathie, au lieu d’être écoutée, est pénalisée.»

Alexis Deswaef, président de la Ligue des Droits de l’homme, l’une des centaines d’associations qui ont soutenu les six prévenus, se réjouit aussi de cet épilogue heureux. Mais cette victoire ne doit pas selon lui nous détourner de la question de base: «Pourquoi ces personnes sont-elles poursuivies? Ce sont des citoyens qui n’ont fait que ce qu’ils jugeaient correct, porter assistance à une personne en danger». La Ligue des Droits de l’homme avait au moment de l’arrestation dénoncé «une instrumentalisation de la justice» par le Secrétaire d’État à la Migration Theo Francken déplorant que, «le jour des faits, alors que les six passagers étaient toujours au commissariat, Théo Francken avait annoncé fièrement sur les réseaux sociaux que des poursuites seraient menées».

Bientôt des visites domiciliaires pour arrêter un sans-papier?

La veille de ce procès, la commission de l’Intérieur de la Chambre devait examiner un projet de loi sur proposition des ministres Jan Jambon, Koen Geens et Theo Francken, qui autorise la police, avec l’accord du juge d’instruction, à effectuer des visites domiciliaires en vue d’arrêter une personne en séjour illégal. Sont concernées les personnes qui n’ont pas donné suite à une mesure exutoire de refoulement, d’éloignement ou de transfert. Il s’agit, comme l’ont communiqué les ministres de «l’étape ultime de la procédure d’éloignement» après expiration du délai de «retour volontaire». L’examen du projet, annulé pour cause de neige, sera finalement reporté à la fin de l’année ou début 2018.

En décembre 2014, l’Office des étrangers avait exprimé le souhait modifier la loi sur la fonction de la police, afin qu’elle puisse pénétrer dans une habitation sur simple demande de la part de l’Office et sans autorisation expresse d’un juge. Théo Francken avait relayé cette proposition au Parlement qui l’avait recalée.

Jusqu’à présent, la «visite à domicile» n’était donc possible qu’avec le consentement de la personne. Si cette personne n’ouvrait pas la porte, la police avait besoin d’un mandat de perquisition délivré par un juge pour pouvoir entrer. En outre, les arrestations administratives et les transferts vers des centres fermés- n’avaient lieu que dans des espaces publics. Comme l’a souligné Théo Francken dans un communiqué le 30 juin 2017, lors de l’approbation de l’avant-projet de loi par le Conseil des Ministres: «Il ne sera plus possible aux personnes en séjour illégal de refuser simplement d’ouvrir la porte lorsque la police se présentera. Nos services ont maintenant un cadre légal permettant une visite domiciliaire et s’il le faut avec le recours à la contrainte, sur autorisation du juge d’instruction en vue de conduire la personne vers un centre fermé.» Ce texte s’inscrit dans la Directive européenne Retour, adoptée en 2008, destinée à encadrer l’expulsion des sans-papiers de l’UE. Cette directive prévoit notamment un délai de 7 à 30 jours pour un «retour volontaire» du sans-papier. Elle autorise aussi la rétention en cas de «risque de fuite» ou de refus de l’expulsion.

Pour le président de la Ligue des Droits de l’homme, ce projet de loi est un pas de plus vers la crimininalisation des sans-papiers. «C’est encore une preuve qu’en Belgique, l’étranger sans papier est vu comme un illégal et un criminel, souligne-t-il. Traditionnellement, en droit pénal, un juge ordonne une perquisition pour des fait graves. Ici, n’est visée qu’une infraction mineure, à savoir l’absence d’un titre de séjour valable, du bon cachet sur le papier.»
Et de dénoncer aussi l’euphémisme: «On parle d’autorisation de visite domiciliaire mais il s’agit d’un mandat de perquisition ni plus ni moins!» Le projet de loi autorise en effet la police à rechercher des documents permettant d’établir ou de vérifier son identité, si la personne ne produit pas de carte d’identité ou de passeport.

«Héberger un sans-papier n’est pas un délit»

Le projet prévoit aussi que les visites soient autorisées dans la maison d’un tiers qui hébergerait une personne en situation illégale. «C’est une attaque frontale à la solidarité, surtout dans le contexte de l’action de la plateforme citoyenne d’hébergement», dénonce Claire-Marie Lievens, juriste à la Ligue des Droits de l’homme. «Héberger un sans-papier n’est pas un délit», rappelle-t-elle. «Les personnes qui hébergent des personnes en situation illégale ne risquent rien. Ils sont couvert par l’exception humanitaire qui permet que la loi sur la traite des êtres humains ne s’applique pas», explique Alexis Deswaef. Cette exception humanitaire existe aussi en France mais elle est moins large, donnant la possibilité de délit de solidarité. Il faut notamment que la personne qui bénéfice d’aide soit «en danger ou menacée».

Les citoyens belges échappent au «délit de solidarité» grâce à cette exception humanitaire. Elle s’applique même dans les cas où les aidants fournissent une petite aide économique, ou reçoivent une compensation, comme un petit coup de main. Seule exception en 1997 Le tribunal belge a poursuivi une personne qui hébergeait son compagnon en situation irrégulière, se rendant coupable d’aide au séjour. Elle fut finalement acquittée.

L’exception humanitaire fut aussi remise en question par Patrick Dewael, ministre de l’Intérieur en 2006, au moment du mouvement de soutien citoyen aux sans-papiers qui occupaient l’église Saint-Boniface à Ixelles (lire ici). Il avait, dans les pages d’un quotidien flamand, mis en garde ceux qui aident des étrangers en séjour illégal, estimant qu’héberger ou aider un étranger en séjour illégal constitue un délit, brandissant les articles 77 et 77 bis de la loi du 15 décembre 1980 sur le séjour, l’accès, l’établissement et l’éloignemennt des étrangers, dispositions qui visent à lutter contre la traite des êtres humains et les réseaux. Ses propos avaient suscité des réactions tant des associations et que des politiques qui avaient dénoncé cette «criminalisation de la solidarité»!

Pour l’heure, la solidarité à l’égard des personnes sans-papiers n’est pas criminalisée en Belgique. L’acquittement des six «héros» est aussi «la réaffirmation du pouvoir des juges et de la séparation des pouvoirs», souligne satisfaire Claire-Marie Lievens. D’autant que ce jugement, s’il est définitif, pourrait faire jurisprudence.
Reste que le climat n’est pas rassurant. «Cette intimidation n’arrive pas par hasard», observe Mehdi Kassou, porte-parole de la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés qui compte aujourd’hui plus de 25.000 membres. Mais il souligne que les personnes qui hébergent des migrants ont bien compris qu’elles ne couraient aucun risque.

En savoir plus

«Francken a l’asile fragile», Alter Échos n° 452, 3 octobre 2017, par Cédric Vallet

«Méchante entrave à la solidarité», Alter Échos n° 445, 7 juin 2017, par Marie-Ève Merckx & Sandrine Warstacki

Manon Legrand

Manon Legrand

Pssstt, visiteur, visiteuse du site d'Alter Échos !

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, notamment ceux en lien avec le Covid-19, pour le partage, pour l'intérêt qu'ils représentent pour la collectivité, et pour répondre à notre mission d'éducation permanente. Mais produire une information critique de qualité a un coût. Soutenez-nous ! Abonnez-vous ! Et parlez-en autour de vous.
Profitez de notre offre découverte 19€ pour 3 mois (accès web aux contenus/archives en ligne + édition papier)