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Sans-papiers : vive le délit de solidarité !

Des sans-papiers ont pris leurs quartiers dans l’église ixelloise Saint-Boniface. Ils sont une centaine à fréquenter l’église et une quarantaine à ydormir, nous vous en parlions dans l’Alter Echos n° 199 Le sort de ces sans-papiers a généré un vaste mouvement de soutien citoyen, notamment vial’Assemblée des voisins, tant il est vrai que ce lieu est particulièrement inadapté pour accueillir en permanence quelque pensionnaire que ce soit, et a fortiori desfamilles. Vivres, couvertures, parrainage et soutiens en tout genre ont afflué et continuent à affluer. Une démonstration de solidarité que le ministre del’Intérieur ne semble pas partager. Pourtant déjà rompu à de pareilles occupations d’églises au cours de son mandat à l’Intérieur,Patrick Dewael (VLD), s’offre aujourd’hui une nouvelle cible en plus des sans-papiers eux-mêmes : les citoyens qui se mêlent d’aider d’autres citoyens.

27-01-2006 Alter Échos n° 201

Des sans-papiers ont pris leurs quartiers dans l’église ixelloise Saint-Boniface. Ils sont une centaine à fréquenter l’église et une quarantaine à ydormir, nous vous en parlions dans l’Alter Echos n° 199 Le sort de ces sans-papiers a généré un vaste mouvement de soutien citoyen, notamment vial’Assemblée des voisins, tant il est vrai que ce lieu est particulièrement inadapté pour accueillir en permanence quelque pensionnaire que ce soit, et a fortiori desfamilles. Vivres, couvertures, parrainage et soutiens en tout genre ont afflué et continuent à affluer. Une démonstration de solidarité que le ministre del’Intérieur ne semble pas partager. Pourtant déjà rompu à de pareilles occupations d’églises au cours de son mandat à l’Intérieur,Patrick Dewael (VLD), s’offre aujourd’hui une nouvelle cible en plus des sans-papiers eux-mêmes : les citoyens qui se mêlent d’aider d’autres citoyens.

C’est, opportun hasard, au moment où débute une année électorale, que Patrick Dewael ressort de ses cartons les articles 77 et 77bis de la loi du 15décembre 1980 sur le séjour, l’accès, l’établissement et l’éloignement des étrangers. En effet, dans un entretien accordé àla Gazet van Antwerpen ce 7 janvier, le ministre de l’Intérieur met en garde ceux qui aident des étrangers en séjour illégal, estimant qu’héberger ouaider un étranger en séjour illégal constitue un délit.

Destinées à lutter contre les organisateurs de traites des êtres humains et les réseaux, ces dispositions ont déjà eu l’occasion de faire bien desdégâts ces dernières années, que ce soit en conduisant deux travailleurs sociaux en prison (cf. encadré) pour plusieurs semaines ou encore en condamnant une relationamoureuse entre une Belge et un sans-papier. Pourtant, les rappels de la ratio legis de ces dispositions n’ont pas manqué. Ainsi, lors de son évaluation des lois dites « Vande Lanotte « , la commission de l’Intérieur du Sénat émettait en 1998 au gouvernement de l’époque la recommandation suivante :  » l’aide humanitaire auxclandestins par des individus ou des organisations sociales n’est pas punissable. « 

Un boulevard pour le Vlaams Belang

On s’en doute, les réactions ne se sont pas fait attendre, venant du monde politique autant que du monde associatif. Ainsi une pétition en ligne destinée à Patrick Dewael, dont les promoteurs sont la Ligue des droits de l’homme, le Mrax, le CNCD, le Ciré, lePAC et l’asbl Point d’appui, est proposée à signature. On peut entre autres y lire ces propos à l’adresse de Patrick Dewael :  » (…) offrir aux partisliberticides une tribune de récupération aussi prévisible est irresponsable à quelques mois des élections communales, et la part de chacun dans la montée despartis racistes au soir des élections devra être assumée.  » Et d’expliquer aux signataires :  » S’attaquer au principe de la solidarité entre êtres humainsest à nos yeux inacceptable et porteur de toutes les dérives. Menacer ouvertement des citoyens pour un pareil engagement constitue une faute démocratique que nous ne pouvonstolérer. Aussi, appel à la réflexion et à l’action est lancé à tous. Il est plus que nécessaire de se poser les vraies questions et de ne pasles envisager sous un angle principalement sécuritaire. À quand la mise en place d’une réelle procédure de régularisation qui prévienne l’apparition de laclandestinité de masse dans le futur, et qui offre une solution aux personnes victimes des errements des politiques passées, aujourd’hui en passe d’être réformées ?Les sans-papiers et leurs soutiens méritent mieux que des gesticulations politiques aux relents douteux.  » Le message est on ne peut plus clair.

À l’église Saint-Boniface, l’Assemblée des voisins, composée de bénévoles qui entourent les sans-papiers de l’église, le Parcourscitoyen d’Ixelles et le festival Habiter-Wonen ont inauguré ce 20 janvier une expo, en réponse directe aux propos du ministre de l’Intérieur.L’originalité de l’expo, intitulée Gueule d’amers1 (pour plus d’infos, cf. la rubrique télex), est qu’elle se tient dans les différentesvitrines des commerçants, restos et associations de la rue de la Paix à Ixelles qui ont accepté de participer à cette initiative citoyenne. On peut ainsi découvrirdans les vitrines participantes des portraits de sans-papiers avec en médaillon, un petit portrait de son parrain ou sa marraine, tous  » voisins « . Ces personnes sont les témoinsprivilégiés de l’engagement des sans-papiers.  » En s’affichant ainsi les voisins veulent montrer publiquement leur solidarité et qu’ils refusent toute intimidation à cetégard « , expliquent les organisateurs.

Réactions politiques

Côté politique, le ministre de l’Intégration sociale, Christian Dupont (PS), a lui aussi rappelé qu’il ne fallait pas pratiquer l’amalgame entre luttecontre la traite des êtres humains et travail social :  » (…) La lutte contre le trafic des êtres humains ne peut se faire au mépris des droits fondamentaux des personnesmigrantes. Elle ne doit certainement pas servir de prétexte pour criminaliser le travail des assistants sociaux ou la solidarité des citoyens et des associations qui viennent en aideaux personnes en difficulté. La loi sur le statut des étrangers établit clairement cette distinction : elle prévoit des sanctions pénales pour les personnes quiaident des personnes à se maintenir illégalement sur le territoire, sauf lorsque cette aide est principalement motivée par des raisons humanitaires. Le travail social, et lesactes de solidarité de milliers de citoyens et d’associations entrent incontestablement dans cette exception, et ne doivent pas être mis dans le même sac que lesréseaux criminels qui profitent de la détresse humaine des migrants. « 

De son côté, Benoît Cerexhe (CDH), président du collège francophone de la Cocof, répondant aux questions d’actualité des députéesbruxelloises Fatiha Saidi (PS) et Dominique Braeckman (Ecolo), a précisé ceci :  » Je suis, comme vous-même, particulièrement choqué par les déclarations duministre de l’Intérieur. En effet, de mon point de vue, il pose la question à l’envers et s’attaque aux symptômes plutôt qu’aux causes du problème. Criminaliser unacte de solidarité, qu’il soit posé par un individu ou par une association, est inacceptable. La Commission communautaire française a reçu pour compétence lesmatières dites personnalisables. Dans ce cadre, nous finançons une kyrielle d’associations auxquelles des missions d’aide aux personnes ou de santé ont étéconfiées. Toutes nos législations insistent sur le caractère non discriminatoire de l’offre qui doit être faite aux Bruxellois. Ces législations ont toutesété soumises à l’avis du Conseil d’État, qui n’a jamais fait la moindre observation par rapport à la problématique soulevée par le ministre del’Intérieur. Je m’engage donc à appliquer fidèlement les indications du législateurs francophone bruxellois, qui, en la matière, a fait preuve de sagesse. « 

« M. Dewael, poursuivez-nous ! »

Les propos du ministre de l’Intérieur ont également ému les membres anversois de Groen!, qui lui ont demandé de s’excuser auprès « des centaines de Flamandsqui s’investissent dans le soutien aux personnes sans papiers « . Selon Groen!, les propos du ministre les assimilent à des criminels.
Enfin, le CPAS d’Ixelles a interpellé de manière plutôt originale Patrick Dewael, le poussant à mettre en pratique ses menaces, et ce à l’encontre duCPAS même, via une motion votée à l’unanimité des différents mandataires composant le Conseil de l’action sociale :  » (…) le Conseil del’action sociale se réjouit que de nombreux citoyens et de nombreuses associations apportent, quotidiennement et de manière désintéressée, aide et soutienà des hommes, des femmes et des enfants que l’insécurité de séjour plonge dans une précarité inacceptable. Il poursuivra sa politique d’octroi d’aides s’illes juge nécessaires et légitimes, conformément à sa mission fondamentale : permettre à chacun de vivre conformément à la dignité humaine. Ilinvite donc M. Patrick Dewael, ministre de l’Intérieur, à entamer des poursuites judiciaires à l’encontre du Conseil de l’action sociale du CPAS d’Ixelles, s’il estime que l’aideapportée aux personnes en séjour illégal constitue un délit. Les membres du Conseil de l’action sociale assument l’entière responsabilité de la politiquemenée par le CPAS. Les travailleurs chargés de la mettre en œuvre ne peuvent dès lors, en aucun cas, être mis en cause. »

Reste à savoir maintenant si le ministre de l’Intérieur s’exécutera…

Les assistants sociaux criminalisés : la preuve par l’exemple

Les déclarations du ministre Dewael sont tombées, hasard ou coïncidence, peu avant l’issue du procès des deux assistants sociaux, Myriam Vastmans et Nasser Gharaee.Pour rappel, Myriam Vastmans, assistante sociale à l’ONG Solidarité socialiste, son collègue Jafar Nasser Gharaee, ainsi qu’une troisième personne, M. K., une Iranienne de58 ans, accusés tous trois de trafic de personnes illégales entre la Turquie et la Belgique, risquaient cinq ans de prison ferme. C’est en tout cas ce que le procureur du Roiréclamait, dans son réquisitoire du 24 octobre dernier. Le jugement rendu ce 16 janvier devant le tribunal correctionnel de Courtrai les a, à leur grand soulagement,acquittés. Reste qu’il peut encore être fait appel du jugement jusqu’au 13 février. Arrêtées en juin 2002, les personnes incriminées ontpassé sept semaines en prison à Bruges. Elles nient les faits qui leur sont reprochés et dénoncent  » le faisceau de présomptions  » et l’absence de preuves de leurimplication dans ce trafic. Elles rappellent avec force que l’accompagnement social des illégaux est  » la raison d’être de leur métier « .

 » Au-delà des cas personnels de Myriam et Jafar, c’est la question de la sécurité juridique des travailleurs sociaux actifs dans le domaine de l’aide auxétrangers qui s’est posée à l’occasion de ce procès, rappelle le Comité de vigilance en travail social2. Nous pensons que celle-ci estterriblement affaiblie par un climat de plus en plus sécuritaire et criminalisant autour des questions liées à l’immigration. Assistants sociaux, avocats ou juristes,médecins, psychologues, enseignants, éducateurs, nous sommes tous en contact avec des étrangers en situation illégale, exploités ou non par des réseauxcriminels. Nous sommes tous susceptibles de nous trouver un jour dans la situation de Myriam et Jafar. « 

Le Comité de vigilance en travail social tient également à rappeler l’importance cruciale de l’aide apportée par les ONG du secteur à ces personnes : » Outre qu’elle est leur seul recours dans la situation de non-droit qui est la leur, c’est précisément grâce à cette aide qu’elles peuvent éviterde tomber sous la coupe de ces réseaux. Le procès qui a été fait à nos deux collègues risque de créer l’amalgame.  » Le Comitéréaffirme fermement que l’aide apportée à cette population – que cette aide soit sociale, juridique, médicale ou autre – n’est pas une pratique criminelle ouillégale, mais constitue au contraire une garantie pour toute la société.

Le ministre de l’Intégration sociale, Christian Dupont, a quant à lui pris connaissance de la décision du tribunal correctionnel de Courtrai. Sans se prononcer sur lefond de l’affaire, le ministre se réjouit que la décision distingue nettement travail social et aide à l’immigration illégale.  » Les travailleurs sociauxdoivent pouvoir exercer leur fonction dans un cadre clair. Ils exercent en effet une mission essentielle d’information et d’accompagnement des personnes en situation difficile, ce quiimplique une relation de confiance avec ces personnes et ne saurait souffrir d’exclusion ou de discrimination. « 

1. Infos ici
2. Comité de vigilance en travail social – permanence téléphonique tous les jeudis de 14 à 17hau 02 346 85 87

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