Quelle sécu pour demain? La question était posée conjointement par Etopia1 et la Chaire Max Bastin2 de l’UCL, mercredi 28 septembre dernierà Louvain-La-Neuve. Que choisir entre ajustements dans le modèle existant et réforme des fondements du système, entre mesures sur les recettes ou sur les dépenses,entre influence européenne et responsabilité nationale? Eléments de contexte européen et enjeux belges en toile de fond des priorités des quatre partisdémocratiques francophones.
Notre modèle de sécurité sociale, imaginé en 1944 en rupture avec la logique d’assistance, repose sur l’assurance et la solidarité, rappelle PierreReman, directeur de la Faculté ouverte de politique économique et sociale (Fopes). Durant trente ans, l’édifice a développé prestations et concertationinterne. Les années 80 voient le politique tenter d’adapter les dépenses aux recettes. Sans pour autant parvenir à modifier le modèle dans ses fondements, affirmeReman : contrairement à la Grande-Bretagne, les partenaires sociaux sont restés en place et la concertation a repris dès que ce fut possible. Des tentatives de restauration dumodèle de base (augmentation des prestations les plus basses, adaptation des prestations de pensions et restructuration de l’Inami) ont signé les années 90.Aujourd’hui, le paradigme néolibéral est en crise mais les limites du modèle de base de la sécurité sociale ont été entérinées parla plupart des acteurs. Face aux enjeux, la Belgique va-t-elle ajuster les équilibres internes au système ou revoir celui-ci ?
Contribution des revenus du travail, encore et toujours
Comment se répartissent, aujourd’hui, les dépenses dans les trois grands piliers de la sécu ? Les chiffres exposés par Réginald Savage, conseillergénéral au service d’études et de documentation du SPF Finances, montrent que plus du tiers financent les pensions et les prépensions, ce qui représente unelégère diminution depuis les années 80 ; 28% sont consacrés aux soins de santé, en hausse continue ; en stagnation avec 12 %, on retrouve ensuite lesindemnités de chômage et d’interruption de travail.
De manière générale, il observe que, depuis le début des années 80, la part des revenus professionnels dans le PIB a baissé parallèlement àune légère hausse des prestations sociales. Il y a donc nécessité de trouver de nouveaux financements. Dans le modèle actuel, la hausse annuelle de 3,6 % desprestations sociales due au vieillissement de la population obligera à des arbitrages entre trois voies : augmenter les prélèvements obligatoires, diminuer les prestations ouprivatiser.
Quant aux financements alternatifs, ils reposeraient encore essentiellement sur le travail. À défaut de cadastre des fortunes, la cotisation sociale généralisée(CSG) ne parviendrait pas à faire contribuer significativement les revenus financiers. En outre, elle pourrait servir à financer les réductions de charges pour les emplois peuqualifiés. Au total, elle serait financée pour un tiers par les entreprises et aux deux tiers par les travailleurs et les allocataires. Selon Savage, à défaut de rapportsde force favorables, toutes les autres formules alternatives de refinancement ne seraient également concevables qu’avec une contribution importante des revenus du travail.
La globalisation, une opportunité pour la sécu ?
Pour Philippe Pochet, directeur de l’Observatoire social européen, la bonne question est : quel système productif promouvoir pour quelle adaptation de la sécu ? Et si,en effet, la globalisation avait un impact positif sur les prestations sociales ? Il cite comme exemple le Danemark qui emboîte le pas à la globalisation économique en organisantune forte flexibilité de son marché du travail. Et qui, parallèlement, augmente le niveau des prestations sociales et en élargit le spectre, notamment en renforçantles aides au retour à l’emploi. Par rapport à ce modèle, le problème de la Belgique, au marché du travail très flexible, est l’inertie dans laréforme du modèle de sécurité sociale. Avec, pour conséquence, une évolution de fait vers le modèle anglo-saxon, moins équitable et nonconcerté.
Quant à l’influence de l’Union européenne dans le domaine social, Philippe Pochet la situe au niveau d’un » think thank « , un club qui remue des idées.S’ils doivent bien sûr tenir compte des conséquences de l’élargissement, les choix politiques en la matière relèvent encore du niveau national. Pour BeaCantillon, vice-rectrice de l’Université d’Anvers, cela restera vrai pour quelques dizaines d’années encore. Même si l’Europe peut mobiliser desinstruments indirects, comme lorsqu’elle a imposé à la Belgique la réforme de Maribel ou qu’elle exige aujourd’hui un aménagement de l’assuranceautonomie flamande.
Protection sociale, condition du progrès
Pour l’universitaire, cette subsidiarité sociale de fait dans un marché commun entraîne inévitablement un dumping social sur les prestations. Or, les besoins sontextrêmement variés selon les pays de l’Union concernés : le taux de pauvreté relative, par exemple, évolue entre 4% en Tchéquie et 15 % en Irlande ;l’espérance de vie est de 78 ans en Suède et de 65 en Lituanie. Quelle politique mettre en œuvre dès lors ? Priorité au taux d’emploi, à lacroissance ou à la protection sociale ? Une comparaison internationale permet de conclure que si les politiques d’emploi et de croissance sont importantes, elles ne suffisent pas pourlutter contre la pauvreté. Les politiques de répartition sont cruciales. Et puisque la pondération de ces trois facteurs varie et variera encore longtemps d’un paysà l’autre, la méthode ouverte de coordination est la seule que peut mobiliser l’Europe pour progresser dans le domaine social, sur base de droits sociaux minimums, conclutCantillon.
Droite-gauche, c’est du passé ?
Pour Jean-Marc Close, président du comité de gestion de l’ONSS et représentant le ministre Demotte (PS), il s’agit d’envisager le renforcement du niveauglobal des prestations, en les liant au bien-être. Quitte à trouver des sources de financement alternatives, ne reposant pas exclusivement sur le travail. Le PS propose égalementde créer un troisième pilier bis à la sécu, en faveur des travailleurs provisoirement sans emploi.
Partenaire gouvernemental du PS au fédéral, Daniel Bacquelaine, chef de groupe MR à la Chambre, livre son équation. L’idéal consisterait à augmenterle taux d’emploi tout en réduisant le niveau d’impôts individuels et de charges sociales, de sorte que l’assiette de prélèvement augmente. Lier lesallocations au bien-être doit se faire prioritairement en faveur des petits revenus. Selon lui, la priorité doit être donnée à l’analyse et à larationalisation des dépenses. Il faut briser les mécanismes entraînant une surconsommation des actes médicaux, lutter contre les faux médicaments innovants etrenforcer les dispositifs d’échange de bonnes pratiques médicales, en particulier en matière de prescription médicamenteuse. Côté recettes, le MRsouhaite augmenter la part contributive de la TVA et affecter le produit de la directive européenne sur l’épargne à la sécu.
Face à l’accroissement de la part contributive des cotisations sur le travail, Jean-Jacques Viseur, pour le CDH, préconise une CSG. Et, de manièregénérale, un accroissement de la part de financement alternatif. Concernant le vieillissement, l’assurance dépendance, créée par le gouvernement flamand, doitintégrer la sécurité sociale fédérale. Enfin, il se dit favorable à la hausse de la part des génériques dans les prescriptions, à uneréorganisation du territoire en bassins de soins et à des mesures décourageant le » shopping » médical.
Par la voix du député Jean-Marc Nollet, Écolo estime qu’il faut définir une approche offensive en matière de sécurité sociale. Afin derencontrer une série de nouveaux besoins de société (autonomie des personnes âgées, accueil de l’enfant, individualisation des droits), tant le volume que lemode de financement doivent être revus à la hausse. Il souhaite également renforcer les pensions publiques en créant des flux financiers solidaires des deuxièmes(assurance groupe) et troisièmes (épargne-pension) piliers vers le premier. Enfin, en matière de dépenses de santé, Écolo se demande s’il est bienjudicieux d’autoriser la pub pour les médicaments.
1. Centre d’animation et de recherche en écologie politique
2. Site : www.trav.ucl.ac.be