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Migrations

Primo-arrivants: vers des parcours d’accueil et d’intégration toujours plus exigeants ?

En Flandre, le parcours d’intégration des primo-arrivants est de plus en plus difficile. À Bruxelles comme en Wallonie, les gouvernements n’entendent pas suivre cette voie du durcissement de l’accueil des étrangers. Historiquement, les francophones ont pourtant fini par s’inspirer des politiques flamandes d’intégration.

En Flandre, l’obtention de «l’attestation d’intégration» par un étranger, à l’issue du parcours d’intégration civique, est une entreprise de plus en plus exigeante. Les étrangers primo-arrivants «viennent souvent d’un milieu culturel très différent et il faut savoir dans quel type de société on se retrouve», a récemment déclaré Bart Somers (open VLD), le ministre flamand de l’Intégration, pour justifier un énième durcissement de la politique d’intégration, au nord du pays.

En effet, depuis le 1er mars 2023, les étrangers soumis à l’obligation de suivi et de réussite du parcours d’intégration – en résumé, tout étranger qui possède un titre de séjour de plus de trois mois ou des Belges qui ne sont pas nés en Belgique et dont au moins un des deux parents est né à l’étranger – devront désormais «cartonner» aux examens et trouver neuf bonnes réponses sur onze, sur le thème des «normes et valeurs fondamentales», contre six précédemment. «Deux hommes ont-ils le droit de se marier entre eux?», «A-t-on le droit de demander l’euthanasie en Belgique?» font partie des questions posées aux nouveaux arrivants.

Cette nouveauté n’est qu’un nouveau jalon, presque anecdotique, dans l’histoire du parcours d’intégration flamand – inburgering en version originale – dont la première version date de 2003 et qui, au gré des réformes successives, demande toujours davantage aux étrangers désireux de s’installer en Flandre.

«Nous avons été très lents à agir et ce fut une erreur historique, car l’obligation est une condition sine qua non de la cohésion sociale.»

Gaëtan Van Goidsenhoven, député bruxellois du MR

La dernière grande rénovation du parcours d’intégration flamand est intervenue en 2020, lorsque la majorité issue des élections de 2019 – toujours en place, avec Bart Somers en ministre de l’Intégration, et les nationalistes flamands de la N-VA en pole position – a décidé de revoir du sol au plafond le vieux dispositif de l’«Inburgering». L’obligation de participer au parcours s’est muée, en 2022, date de la mise en œuvre du nouveau décret, en obligation de réussite. Les étrangers doivent désormais assurer à leur test de néerlandais et aux deux examens de citoyenneté, l’un sur l’éducation, le travail, la vie en société, et l’autre, on l’a vu, sur les normes et valeurs fondamentales en Belgique et en Flandre. Si la Flandre ne peut pas retirer leur droit de séjour aux étrangers, deux échecs successifs et un manque d’assiduité peuvent aboutir à des sanctions financières. L’enjeu est important: une attestation de réussite au parcours est considérée comme une preuve d’intégration pour l’obtention de la nationalité.

Autre bouleversement: les étrangers devront débourser, à partir du 1er septembre, 90 euros pour suivre les formations en citoyenneté, puis payer à nouveau pour passer les examens, ce qui est déjà le cas pour les cours de langue. Enfin, l’inscription au VDAB – l’Office flamand de l’emploi et de la formation professionnelle – est obligatoire. Voilà pour le volet «contrainte». En corollaire, l’accompagnement individuel des étrangers est intensif et adapté à chacun. Et les Flamands mettent le paquet niveau finances. Plus de 80 millions d’euros annuels sont consacrés à l’intégration des étrangers… contre un peu plus de 10 millions à Bruxelles et 26 millions en Wallonie pour la politique d’intégration dans son ensemble, dont le parcours n’est qu’une composante. En Wallonie, 49.000 personnes ont suivi le parcours en 2022, alors qu’on compte à Bruxelles 4.349 dossiers actifs.

Le MR dans le sillage flamand

À chaque durcissement de la politique au nord du pays, un parti francophone, le Mouvement réformateur (MR), propose que le sud du pays s’inspire des pratiques flamandes. À Bruxelles, deux parcours destinés aux primo-arrivants cohabitent. Un parcours flamand, avec Bon – pour Brussel onthaal – comme organisme référent et un parcours francophone organisé autour de trois bureaux d’accueil. Du côté francophone, cette législature a été celle du passage à l’obligation de participation au parcours pour les étrangers installés en Belgique depuis moins de trois ans, mais qui possèdent un titre de séjour de plus de trois mois. L’obligation est en vigueur depuis le 1er juin 2022, soit 18 ans après la Flandre. «Nous avons été très lents à agir et ce fut une erreur historique, car l’obligation est une condition sine qua non de la cohésion sociale», estime Gaëtan Van Goidsenhoven, député bruxellois du MR. Pour le député, qui lance ainsi quelques pistes probables du futur programme libéral pour les élections de 2024, «il faudrait instaurer non seulement une obligation de participation, mais aussi délivrer une attestation de réussite à l’issue du parcours, et donc se rapprocher du système flamand, plus efficace. Il faut du volontarisme, car pour l’instant on avance à reculons». La tonalité du discours est assez identique au MR wallon, qui, contrairement au parti libéral bruxellois, fait partie de la majorité. «En Flandre, l’intégration des étrangers à la vie sociale, locale et associative est meilleure. Un examen pourrait être organisé à l’issue du parcours, par exemple pour voir si les connaissances au niveau de la vie communale sont acquises. Quant à l’apprentissage du français, il devrait être indispensable de réussir un examen», explique Jacqueline Galant qui, au passage, trouve que des sanctions devraient davantage être appliquées.

Dans le monde associatif francophone, on accueille les prises de position du MR avec une forme de distance – probablement sous l’effet de l’habitude – et de méfiance. Il faut dire que pour l’instant le MR est bien isolé sur ces questions. Fabrice Ciaccia, directeur du centre régional d’intégration de Charleroi, regrette cette focalisation sur la contrainte qu’il faudrait ajouter à la contrainte. «C’est un présupposé idéologique, qui voudrait faire croire que les primo-arrivants sont réticents à l’idée de s’intégrer alors que, dans la réalité sociale, de très nombreux étrangers, qui ne sont pas couverts par les critères d’obligation, demandent à participer au parcours. L’obligation, c’était un mauvais débat qui a monopolisé les discussions, car les gens sont très volontaires.»

L’idée d’organiser des examens à l’issue des cours de citoyenneté, avant de délivrer des attestations de réussite, n’est pas franchement bien reçue par les opérateurs du secteur. Janaki Decleire est la directrice de «Via», l’un des trois Bureaux bruxellois d’accueil pour les primo-arrivants (Bapa). Pour elle, «une telle approche est infantilisante. Ce qui compte, c’est le suivi du cours de citoyenneté. Si on évalue les connaissances de chaque Belge en citoyenneté, beaucoup n’arriveront pas à répondre aux questions. Le but du parcours d’accueil, c’est de donner les clefs aux primo-arrivants pour qu’ils soient autonomes, pas de vérifier s’ils sont de bons citoyens».

Mais les élections se profilent et un coup d’œil dans le rétro montre aisément que la Wallonie, qui a rendu son parcours obligatoire en 2016, puis Bruxelles ont en partie suivi la Flandre, certes avec de fortes réticences initiales chez les socialistes et les écologistes, dans leurs politiques publiques relatives à l’intégration des primo-arrivants. Ce qui paraissait parfois impensable dans les années 2000 pour les francophones – comme l’obligation de participation au parcours – est devenu une réalité.

Une lente infusion politique depuis les Pays-Bas

Avant de s’installer au Québec, Catherine Xhardez, professeure adjointe au département de sciences politiques à l’Université de Montréal, a beaucoup travaillé sur les trois politiques d’intégration belges, sachant que la bruxelloise est elle-même divisée en deux sous-politiques, l’une francophone, l’autre flamande. Les primo-arrivants ont l’embarras du choix. À Bruxelles, l’adage «pourquoi faire simple, quand on peut faire compliqué» reste toujours d’actualité.

Les travaux de Catherine Xhardez montrent comment la diffusion de politiques publiques instaurées aux Pays-Bas dans les années 90 ont d’abord infusé en Flandre, au début des années 2000, avant de gagner la francophonie, d’abord rétive à imposer des obligations aux étrangers.

Avant la bascule des années 2000, la Flandre était marquée par une politique à l’égard des étrangers que l’on rangeait dans le camp «multiculturel», un peu à l’anglaise, où cohabitaient des communautés différentes dans un même espace politique. Mais la montée en puissance du Vlaams Belang, et son discours hostile à l’encontre des immigrés, a changé la donne. Lorsqu’en 2000, la majorité fédérale dite «Arc-en-ciel» facilite l’acquisition de la nationalité belge, la Flandre prend le contre-pied et «développe ‘l’Inburgering’, car beaucoup de responsables politiques estimaient que les conditions d’acquisition de la nationalité devenaient une coquille vide», décrypte Catherine Xhardez. Le gouvernement flamand s’est donc mis à investir dans sa politique d’intégration, avec un accent plus assimilationniste, s’éloignant de son ancrage «multiculturaliste». «La question de l’intégration est devenue très politisée, avec la montée en puissance des forces nationalistes flamandes – Vlaams Belang et plus tard la N-VA qui placent au cœur de leur projet la langue néerlandaise et l’identité flamande», ajoute la chercheuse. Les autres partis du spectre politique flamand se sont sentis poussés à «faire quelque chose». Ce «quelque chose», soutenu tant par les forces libérales que par des partis plus progressistes, ce fut «l’Inburgering», créé en 2003. «Mais cela ne plaisait pas spécialement au Vlaams Belang, enchaîne Catherine Xhardez, qui trouvait qu’on n’allait pas assez loin et que le dispositif coûtait beaucoup d’argent.» Depuis 2003, l’Inburgering a été modifié à de nombreuses reprises, le plus souvent sous l’impulsion de la N-VA.

«La question de l’intégration est devenue très politisée, avec la montée en puissance des forces nationalistes flamandes – Vlaams Belang et plus tard la N-VA qui placent au cœur de leur projet la langue néerlandaise et l’identité flamande.»

Catherine Xhardez, Université de Montréal

Très tôt, le MR a réclamé que l’on s’inspire de cette idée d’intégration civique à Bruxelles et en Wallonie. Mais côté francophone, on défendait alors «une idée plutôt universaliste, et a priori méfiante des dispositifs ciblés et spécifiques pour les étrangers». La Wallonie se voit alors comme une «terre d’accueil» et s’appuie sur un tissu associatif dense. Mais les différentes expériences qui se développent un peu partout en Europe tendent à montrer que les primo-arrivants sont aussi demandeurs d’une aide adaptée et que ces politiques d’intégration fonctionnent parfois. À Bruxelles, le parcours flamand fait ses premiers effets. Le parcours bruxellois francophone est créé en 2013 et celui de la Région wallonne suit en 2014. Pour Janaki Decleire, du Bapa «Via», «avec le temps il est devenu évident qu’il existait des besoins spécifiques pour les primo-arrivants. Le sens et la pertinence du parcours d’accueil ne font plus de doutes».

Mais très vite, c’est la question de rendre obligatoire le suivi de ces parcours qui s’installe au sommet du débat public. «Puis vient 2015 et l’arrivée de très nombreux demandeurs d’asile, surtout syriens, ce qui politise aussi la question du côté francophone où l’idée de l’obligation s’impose peu à peu», conclut Catherine Xhardez. La Région wallonne rend son parcours obligatoire dès 2016, suivie, six ans plus tard par la Commission communautaire francophone, à Bruxelles. Les deux parcours imposent de participer à un bilan social et linguistique, puis de suivre des cours de langue et des formations à la citoyenneté. Une différence notable: la Région wallonne intègre dans son parcours quatre heures d’accompagnement en insertion socioprofessionnelle (ISP).

Des changements législatifs attendus

Ces politiques d’accueil et d’intégration sont-elles pour autant efficaces? Ont-elles un impact sur la vie concrète des premiers intéressés, les primo-arrivants?

La question, qui semble moins porteuse médiatiquement que celle d’une course en avant du durcissement des politiques d’intégration, est pourtant au cœur des débats qui taraudent le secteur. Dans une recherche de 2021 menée à Bruxelles par le Centre régional d’appui en cohésion sociale (CRAcs), 96% des 500 primo-arrivants interrogés avaient une bonne à très bonne opinion du parcours d’intégration auquel ils avaient participé. 74% d’entre eux estimaient avoir amélioré leur niveau de français, même si le niveau visé – niveau A2 du test de positionnement de référence Elao – est généralement considéré par les acteurs du secteur comme étant trop faible.

Dans les domaines du logement ou de l’insertion professionnelle – vecteurs clefs de l’intégration –, le bilan était bien moins réjouissant. Le taux d’emploi des personnes sondées était exactement égal au taux d’emploi des étrangers à Bruxelles – c’est-à-dire seulement de 36% contre 62% pour le reste de la population. Quant au mal-logement, il touchait 28% des répondants. «Sans logement salubre, il est évidemment très difficile de suivre le parcours d’accueil», résume Valeria Lucera, du Centre bruxellois d’action interculturelle (CBAI). Les primo-arrivants font bien sûr face aux problèmes structurels du marché de l’emploi ou du logement, et sont parfois confrontés au racisme ou aux discriminations. «Ce n’est pas le parcours d’accueil qui peut tout résoudre, ajoute Valeria Lucera. Il y a d’autres politiques comme l’insertion socioprofessionnelle qui doivent davantage prendre en compte les spécificités de certains publics comme les primo-arrivants. Il faut davantage de la concertation et un renforcement des liens existants entre la politique d’accueil, ses acteurs et la politique d’insertion socioprofessionnelle.»

«Avec le temps il est devenu évident qu’il existait des besoins spécifiques pour les primo-arrivants. Le sens et la pertinence du parcours d’accueil ne font plus de doutes.»

Janaki Decleire, Bapa ‘Via’

À Bruxelles, par exemple, Actiris développe de plus en plus de politiques spécifiques pour les primo-arrivants. Une équipe de cinq employés accompagne des primo-arrivants qui le souhaitent dans leur recherche active d’emploi. «Ce public a parfois peur de se présenter dans une administration comme Actiris, détaille Véronique Royen, d’Actiris. Nous avons développé une stratégie pour nous rendre plus accessibles.» Par ailleurs, deux Bapa bruxellois – Via et Convivial – ont pu embaucher en leur sein, dans le cadre du projet «One stop shop» cofinancé par le Fonds social européen, des «job coachs» qui se rendent disponibles pour aider au développement des projets professionnels des primo-arrivants. En Région wallonne, Farid Nagui, qui préside le dispositif de concertation et d’appui aux centres régionaux d’intégration (CRI), pense aussi «que la dimension ISP, au même titre que l’accès au logement, pourrait être renforcée. Aujourd’hui, les CRI ont pour mission principale d’orienter vers les dispositifs d’ISP tels que le Forem ou des structures d’ISP classiques. Mais l’accueil, et surtout l’accompagnement qui est réservé aux primo-arrivants, n’y est pas assez spécifique ou personnalisé et ne permet pas actuellement des résultats probants».

Cet écueil était l’un des points épinglés par les récents rapports d’évaluation de la Cour des comptes, l’un portant sur le parcours d’accueil de la Cocof et l’autre sur le parcours d’intégration wallon. Côté bruxellois, les auditeurs pointaient par exemple des «effets relativement limités sur l’évolution des situations sociales et professionnelles des bénéficiaires». Mais les manques notés par la Cour des comptes sont plus vastes. À Bruxelles, «le pilotage du dispositif» est considéré comme «insatisfaisant». En Wallonie, où la Cour pointe une offre de services «fragmentée» et très diverse parmi les opérateurs de français langue étrangère ou de formation en citoyenneté, les auditeurs déplorent le fait que «la performance du dispositif ne peut pas être évaluée à défaut de données permettant de rendre compte des résultats obtenus».

«Ce n’est pas le parcours d’accueil qui peut tout résoudre.»

Valeria Lucera, Centre bruxellois d’action interculturelle

Ces deux rapports tombent à pic, car les deux parcours francophones sont en passe d’être réformés, ce qui sera peut-être l’occasion de les rendre plus efficaces et cohérents. Du côté bruxellois, on annonce la «Cocomisation» du parcours d’accueil, donc une gestion par les deux Communautés.

La classe politique francophone rêvait de l’organisation d’un parcours d’accueil commun à Bruxelles, mais ce rêve s’est brisé sur la réalité bicommunautaire. «Le parcours de Bon sera toujours effectif à Bruxelles, vu que la Flandre ne prévoit pas à ce stade de ‘régionalisation’, via la Cocom, du parcours d’accueil qu’elle organise», nous écrit-on depuis le cabinet d’Alain Maron (Écolo), ministre en charge de l’Action sociale et de la Santé. Alors à quoi servira cette «cocomisation»? D’abord à proposer un parcours bruxellois bilingue, via les trois bureaux d’accueil francophones. Ensuite à «améliorer le parcours de manière concrète», explique l’équipe d’Alain Maron. Cela passera, par exemple, par l’augmentation du niveau de langue pour certaines catégories de publics.

En Région wallonne, des propositions de changement dans le décret sur le parcours d’intégration devraient être présentées avant l’été. Peu d’éléments concrets filtrent pour l’instant sur le contenu de la réforme. On sait que la durée du parcours pourrait être allongée de 18 à 36 mois et que le texte viserait à «mieux structurer le secteur, pour l’instant très épars» tout en «pérennisant son financement», nous glisse Stéphanie Wilmet, porte-parole de la ministre Christie Morreale (PS). Durcir les parcours d’accueil et d’intégration francophones à la sauce flamande n’est donc pas au programme des réformes à venir. Pour l’instant.

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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