Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale
Luc Vandormael (à gauche) et Alain Vaessen

La Fédération des CPAS wallons vient de passer au crible la déclaration de politique régionale (DPR) du gouvernement MR-CDH. Verdict? De bonnes idées, du «flou», des priorités politiques qui ne cadrent pas toujours avec la réalité de terrain des CPAS. Rencontre avec le président de la Fédération, Luc Vandormael, et son directeur général, Alain Vaessen.

Alter Échos: En 2014, lors de la constitution des majorités fédérale et wallonne, les CPAS ont dû batailler pour assurer leur survie et éviter leur fusion avec les communes. La nouvelle DPR vous rassure-t-elle sur ce point?

Luc Vandormael: Effectivement, les deux déclarations évoquaient la fusion des communes et des CPAS. Du côté wallon, on nous disait que la fusion serait encouragée sur une base volontaire. Il y a eu, tant de la part des CPAS que du monde associatif, une fronde telle que le ministre des Pouvoirs locaux, Paul Furlan, s’est engagé à ne pas appliquer ces dispositions. Quand la majorité wallonne a été renversée, nous avons été secoués par une déclaration du président du MR, Olivier Chastel, qui, sous prétexte de bonne gouvernance, a parlé de rationalisation des structures, de fusion des communes et des CPAS, de conseil de l’action sociale constitué par une délégation du conseil communal. Nous avons réagi en disant que ce n’était pas une mesure de bonne gouvernance. Certes, on allait diminuer le nombre de mandataires mais on allait augmenter le nombre de cumulards. Et par ailleurs, les conseillers communaux sont-ils vraiment intéressés par ce métier spécifique qu’est l’action sociale? Chastel a dit qu’on avait mal interprété ses propos et qu’il s’agissait d’encourager les initiatives innovantes sur une base volontaire. La DPR a précisé les choses puisque les initiatives envisagées se situent surtout dans le cadre de services de support non sociaux. Nous sommes donc rassurés à 60%.

«Cela fait deux ans que nous avons fait cette déclaration matamoresque, mais nous, CPAS, n’avons guère avancé.», Luc Vandormael

AÉ: 60% seulement?

L.V.: Il reste dans la DPR ces mots: «Encourager les fusions internes et externes.» On a beau interroger la sémantique, on ne comprend pas ce que cela signifie et cela reste une inquiétude. Mais Alain Vaessen et moi-même voulons tout de même mettre un point à l’ordre du jour du comité directeur de la Fédération. Lorsque Paul Furlan nous a dit «OK, on renonce aux fusions mais quelles sont vos alternatives?», nous avons évoqué les synergies avec la commune, entre petits CPAS et, très important, avec le secteur associatif. Cela fait deux ans que nous avons fait cette déclaration matamoresque, mais nous, CPAS, n’avons guère avancé. La balle est dans le camp de la Fédération. Il faut être plus proactif et faire des propositions pour éviter qu’on nous serve le steak tout cuit.

Alain Vaessen: Notre premier objectif, comme fédération, c’est de s’assurer que les synergies soient cadrées, pensées, évaluées et partagées.

L.V.: «Partagées», cela veut dire éviter que les synergies soient à sens unique, qu’elles servent surtout à dépouiller les CPAS. Il faut voir les choses de manière égalitaire avec l’objectif d’un meilleur service à la population et d’une chasse aux concurrences. Si un pan des services administratifs des CPAS est repris par la commune, des matières sociales qui seraient gérées par la commune doivent pouvoir être confiées aux CPAS. Il faut mettre sur la table le cas des services sociaux qui font la même chose que le CPAS.

AÉ: Quels sont les points de la DPR qui vous semblent rassurants? ou inquiétants?

A.V.: Il faut rappeler que la Fédération s’inscrit dans une logique de partenariat avec le gouvernement, donc pas a priori dans une posture d’opposition. Nous saluons la poursuite du Plan de lutte contre la pauvreté mais nous attendons des précisions car il s’agit juste d’une déclaration de principes. Nous saluons aussi la volonté d’avancer sur le dossier de l’assurance autonomie et le renforcement des agences locales pour l’emploi (ALE).

AÉ: Votre perception de la politique annoncée en matière de logement?

A.V.: Le premier message, c’est d’insister sur la nécessité de continuer à investir dans le logement public, rappeler qu’en termes de mixité sociale, nous voudrions surtout qu’on ouvre un peu plus la porte aux plus défavorisés. Ce souci d’aider les locataires plus précarisés, nous le trouvons très peu dans la déclaration de politique régionale. Il n’y a que 15% des bénéficiaires du revenu d’intégration sociale (RIS) qui ont accès à un logement public.

«Les CPAS mettent à l’emploi 10.000 personnes en Wallonie. Nous étions à 4.000 mises à l’emploi en 1999 et 7.000 en 2004.», Alain Vaessen

AÉ: D’autres dossiers vous laissent sur votre faim?

A.V.: À côté des avancées que nous avons évoquées, il y a d’autres dossiers sur lesquels nous sommes, disons… plus «en attente». Ainsi, de façon générale, le gouvernement présente la lutte contre la pauvreté et le développement général de la société comme passant prioritairement par une mise à l’emploi. C’est vraiment le fil rouge de la DPR. Nous voulons attirer l’attention sur le fait qu’il y aura toujours un certain nombre de personnes qui resteront au ban de cette vision méritocratique. Et là, on lance un message: faites attention à ces personnes très fragilisées. Les CPAS mettent à l’emploi dix mille personnes en Wallonie. Nous étions à 4.000 mises à l’emploi en 1999 et 7.000 en 2004. Ce n’est pas lié à l’augmentation des bénéficiaires du RIS. En valeur proportionnée, cela représente 11% de la population RIS contre 5,2% auparavant. Dans la DPR, il y a tout de même une phrase qui nous a interpellés. On parle de «maximiser la contribution des personnes précarisées à la vitalité de la société». Nous, on traduit cela par «service communautaire». Notre position reste de rappeler que le service communautaire doit se faire sur une base volontaire et dans une logique émancipatrice.

AÉ: Et vous avez l’impression que le gouvernement wallon veut aller plus loin que sur une base volontaire?

L.V.: Non, on est à nouveau dans des déclarations…

A.V.: Et dans un alignement politique qu’on pouvait pressentir avec le fédéral.

L.V.: Qu’on assimile un parti politique à la défense de l’assistanat, ce n’est pas notre problème. Nous sommes une fédération pluraliste. Par contre, qu’on assimile les CPAS à la défense de l’assistanat est une contre-vérité. On vous a donné les chiffres de mise à l’emploi. On peut dire la même chose en termes d’insertion sociale, une approche qui est d’ailleurs absente dans la déclaration gouvernementale alors qu’il s’agit d’un travail en amont de l’insertion professionnelle. Certains CPAS possèdent un service d’insertion sociale et voudraient faire davantage mais il faut alors leur en donner les moyens. Si on veut que les CPAS fassent de l’insertion sociale, qu’on nous donne les sous. Si on veut faire de la mise à l’emploi, qu’on nous donne les sous aussi.

Lorsqu’on a développé la notion d’«État social actif», la majorité des CPAS se sont réjouis de ne plus être de simples distributeurs de billets et de pouvoir accompagner les gens à l’emploi. Ce qui est déplorable, c’est que ce qui a été conçu comme une machine à insérer s’est transformé en machine à exclure. Qui en sont les premières victimes? Les CPAS. On a réorienté vers nous un nombre incroyable de chômeurs. Les CPAS comptaient 7.000 bénéficiaires au départ. Aujourd’hui, il y en a 154.000.

Alors, parlons de l’emploi! La réalité, c’est tout de même que le taux d’emploi en Belgique tourne autour de 66% depuis dix ans. Le nombre d’emplois disponibles? 83.000 en Belgique, 20.312 en Wallonie. Or il y a 200.000 demandeurs d’emploi en Wallonie et autant de malades de longue durée. Et si vous ajoutez les 154.000 bénéficiaires du RIS, cela fait moins d’un dixième d’emplois vacants par rapport à ceux qui cherchent du travail. Les CPAS sont en bout de course. Alors lorsqu’on les stigmatise, on stigmatise aussi les personnes…

«Dire que les CPAS entretiennent l’assistanat apporte de l’eau au moulin de ceux qui voudraient les supprimer.», Luc Vandormael

AÉ: Vous visez qui?

L.V.: Madame Alda Greoli a dit dans la presse que les CPAS doivent évoluer dans leur pratique. Et c’était dans la foulée de ses déclarations sur l’assistanat. Dire que les CPAS entretiennent l’assistanat apporte de l’eau au moulin de ceux qui voudraient les supprimer.

AÉ: Parlons emploi donc. La DPR évoque la nécessité d’«analyser» le dispositif des articles 60.

A.V.: L’ancien gouvernement avait travaillé sur les articles 60, 61 et sur la réforme des APE. Que le nouveau gouvernement veuille reprendre le dossier pour le «revisiter» peut se comprendre mais qu’il fasse vite alors, car il y a des projets déjà bien lancés dans les CPAS et il faut faire aboutir ces réformes rapidement. Pour les articles 60, on voudrait rappeler l’importance de l’économie sociale dans ce dispositif. On avait été entendu par le gouvernement Magnette, on espère l’être par la nouvelle équipe. On voudrait aussi que l’associatif reste considéré comme un acteur de l’insertion professionnelle.

L.V.: Le problème de l’article 60, c’est que c’est un ticket pour l’assurance chômage qui devient vite un ticket retour pour le CPAS. Il faut permettre aux travailleurs concernés par les contrats article 60 d’accéder aux aides à l’emploi. Sinon, c’est un carrousel qui tourne…

«Dans le cadre des Fêtes de Wallonie, j’ai écouté le ministre-président sur les priorités du gouvernement. Il a fallu attendre les cinq dernières minutes de son discours pour entendre les mots ‘pauvreté’, ‘précarité’, ‘inégalités’.», Alain Vaessen

AÉ: En résumé, vous êtes tout de même «en attente» d’éclaircissements sur bien des dossiers.

A.V.: Oui, il y a des problématiques qui ne sont guère présentes dans la DPR. La précarité énergétique, par exemple. Nous en avons déjà discuté avec le ministre Jean-Luc Crucke et nous l’avons senti à l’écoute. Nous avons deux revendications dans ce domaine: renforcer les plans d’action préventive pour l’énergie et le dispositif des tuteurs d’énergie. Il y en a une soixantaine, nous voudrions l’étendre à tous les CPAS wallons. On n’a pas senti un rejet de la part du ministre. Il reste à voir aussi les moyens financiers qui seront consacrés aux politiques sociales par le nouveau gouvernement.

Une anecdote pour conclure: dans le cadre des Fêtes de Wallonie, j’ai écouté le ministre-président sur les priorités du gouvernement. Il a fallu attendre les cinq dernières minutes de son discours pour entendre les mots: pauvreté, précarité, inégalités. C’était pour citer une étude de l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (Iweps) qui révèle que 10% des Wallons sont en déprivation matérielle sévère et que 25% sont sur le point de basculer rapidement. Ces mots et ces chiffres ont été cités toujours en référence à la nécessité d’une politique de l’emploi.

L.V.: Nous sommes évidemment partisans d’une politique de l’emploi, mais, pour un certain nombre de personnes très peu qualifiées, le saut à franchir vers l’emploi est devenu trop important. Le Forem considère que le seuil de l’employabilité est d’avoir achevé l’enseignement secondaire supérieur. Or, 80% des exclus du chômage ont une qualification égale ou inférieure à l’enseignement secondaire inférieur. Il y a quelque chose de pervers, et même d’inique à exclure des personnes dont on sait que leur formation est telle qu’elles ne pourront pas trouver un emploi. Alors oui, priorité à l’insertion sociale et professionnelle mais surtout priorité à la dignité humaine pour tous. Et ça, c’est la mission du CPAS.

 

En savoir plus

Lire le dossier «CPAS au bord de l’asphyxie», Alter Échos n°421, avril 2016.

«Boycotter le service communautaire? Le «oui mais non» des CPAS», Alter Échos n° 447, Martine Vandemeulebroucke, 14 juillet 2017

Martine Vandemeulebroucke

Martine Vandemeulebroucke

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