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Mendicité : des pauvres qui dérangent

La mendicité avec des mineurs de moins de 16 ans sera bientôt interdite à Bruxelles. C’est ce qu’a décidé la Ville de Bruxelles en votant pour un nouveau règlement de mendicité, avec des amendes qui peuvent monter jusqu’à 350 euros. Mais, avant d’arriver à la répression, les autorités souhaitent passer par l’information, la prévention et la médiation. Ce n’est pas la première fois que les politiques pensent à interdire la mendicité (infantile). Un sujet à plusieurs reprises traité dans notre magazine ces dernières années. Aperçu des enjeux au travers de ses archives.

Jérémie De Weck (st.) 19-05-2022 Alter Échos n° 503
© Flickrcc Vincent Albanese

«Non, punir des parents qui mendient avec leurs enfants n’est pas une solution», écrivent une trentaine d’associations dans une carte blanche (publiée dans La Libre le 4 mai 2022) en réaction à la décision de la Ville de Bruxelles d’interdire la mendicité avec des mineurs de moins de 16 ans. «Il est à craindre que, sous couvert de la protection des droits de l’enfant, ce soit bien une ‘chasse aux pauvres’ de l’espace public et une criminalisation de la mendicité, qui soit à l’œuvre», déplorent aussi les signataires parmi lesquels Dune, Infirmiers de rue, Rom en Rom asbl, Ligue des droits humains, Santé mentale & Exclusion sociale (Smes), etc.

Or, cette logique répressive, envers les personnes qui vivent à la rue et qui mendient, et particulièrement envers les Roms, semble se répéter. Un sujet à plusieurs reprises traité dans nos colonnes ces dernières années.

En 2011, Christine Defraigne, alors sénatrice MR, avait déposé une proposition de loi qui visait à durcir l’arsenal pénal lié à «l’exploitation de la mendicité». «Quand la prévention ne marche pas, il faut penser à la répression, comme à un électrochoc», justifiait la libérale. Elle proposait de lourdes amendes, voire des peines de prison, séparant les parents de leurs enfants. («Faut-il interdire la mendicité des enfants?»,  331). Koen Geurts, coordinateur du service Roms et gens du voyage du centre d’intégration Le Foyer à Molenbeek-Saint-Jean, n’est pas forcément opposé à l’idée de sanctionner la mendicité infantile, «mais certainement pas par des peines de prison ni en séparant les familles», disait-il, catégorique. La sanction, il la considérait comme le dernier maillon de la chaîne: «Interdire, c’est trop peu. Il faut proposer une alternative. Nous sommes favorables à un meilleur accompagnement, à une action pour que l’enfant soit à l’école le plus vite possible, dès la maternelle. Quand un médiateur les guide, les met à l’aise, les informe, gagne leur confiance, souvent le but est atteint. Mais il faut des médiateurs.»

Koen Geurts reconnaissait lui-même qu’il n’était pas toujours facile de scolariser des enfants qui sont dans la rue. «Si des parents refusent que leur enfant aille à l’école, il faut d’abord voir pourquoi. Et si des parents exploitent leurs enfants, alors pourquoi pas une sanction? Il faut en effet prévoir une force sanctionnante qui soutient le travail des médiateurs. Cela peut être une mesure du juge de la jeunesse, ou une petite amende, adaptée à la réalité de ces familles.» Interrogé sur la situation particulière des familles roms, Koen Geurts rappelait qu’il fallait aussi prendre en compte l’âge des enfants. «Il faut savoir que l’idée même de crèche est taboue chez les mères roms. Elles nous interpellent en disant qu’elles s’occupent de leurs enfants. Elles considèrent le fait de mettre un enfant en crèche à 3 mois comme un abandon. De même, l’école à 3 ans, c’est très tôt pour elles. Donc elles emmènent leur enfant sur leur lieu de ‘travail’.»

Une activité de survie

En 2014, Alter Échos s’était associé au Forum bruxellois de lutte contre la pauvreté (aujourd’hui Le Forum – Bruxelles contre les inégalités) pour sa campagne sur la pauvrophobie intitulée «Salauds de pauvres!». Nous avions alors interrogé Darius Mihai, médiateur rom pour l’association Le Foyer à Molenbeek («Cachez ce mendiant que je ne saurais voir»,  390). Il ne niait pas l’existence de la mendicité infantile, mais la contextualisait: «Elle existe et implique souvent des Roms venus de pays de l’Est. Les familles qui mendient avec leur enfant ne sont pas nombreuses. Elles ne sont pas représentatives et, surtout, elles traversent une période difficile, une période transitoire. Car l’argent qu’ils gagnent leur permet tout juste de se nourrir et de se loger.» Il comprenait la gêne que peut provoquer la mendicité, surtout quand il s’agit d’un enfant. «Si on s’arrête à ce que l’on voit, bien sûr que l’on pense à un chantage émotionnel. Mais si on voit plus loin, si on prend en compte les problèmes auxquels ces familles sont confrontées, alors on peut peut-être comprendre qu’elles sont souvent obligées d’en passer par là.» Darius Mihai jouait un rôle important dans la scolarisation des enfants qui se retrouvaient à mendier dans la rue. Il allait lui-même discuter avec les parents. «Il y a toujours une maman avec un enfant qui mendie. Nous lui demandons depuis quand ils sont ici, quel est l’âge de leur enfant. Et, surtout, nous leur disons que l’école est une chance à offrir à leur enfant.» C’est un message fort qui dans la plupart des cas fonctionnait. «Pour beaucoup, le voyage vers la Belgique fut justement motivé par l’idée d’offrir un meilleur futur à leurs enfants.»

«Les gens qui mendient le font par manque d’opportunités alternatives. Soit qu’ils ne peuvent pas travailler, soit qu’ils n’ont pas accès aux allocations sociales. C’est un public fragilisé. La mendicité est pour eux une activité de survie.» Stef Adriaenssens, sociologue à la Faculté d’économie de la KUL

La même année, Stef Adriaenssens, sociologue à la faculté d’économie de la KUL, sur le campus de Bruxelles, présentait une enquête sur la mendicité bruxelloise, en tordant le cou à certaines idées reçues sur cette population en situation d’extrême précarité. Il insistait sur le fait que faire la manche n’est pas un choix. «Les gens qui mendient le font par manque d’opportunités alternatives. Soit qu’ils ne peuvent pas travailler, soit qu’ils n’ont pas accès aux allocations sociales. C’est un public fragilisé. La mendicité est pour eux une activité de survie.» («La manche, une activité de survie», 390.)

Ne jamais dire «jamais»

Quant à la réglementation, voire la répression de la mendicité à Bruxelles, la réponse d’Yvan Mayeur, bourgmestre de la Ville de Bruxelles de 2013 à 2017, était très claire à l’époque: «Aucune décision n’ira dans ce sens. On va uniquement poursuivre le travail d’accompagnement social des SDF» («Bruxelles: réglementera, réglementera pas?»,  390). Les bourgmestres des autres communes bruxelloises avaient le même avis qu’Yvan Mayeur. Etterbeek était alors la seule commune bruxelloise à limiter à quatre le nombre de mendiants dans les rues commerçantes. Au sud du pays, Liège, Charleroi, Andenne et Namur furent les premières villes wallonnes à réglementer la mendicité. Liège en tête puisque le règlement fut voté en 2001. À Namur, il faut attendre 2014 pour que la mendicité soit mise au pas. Un éducateur de rue namurois signalait alors le difficile dialogue avec les SDF dans ce cadre. «Quand il faut expliquer aux gens qu’ils ne sont désormais plus admis dans le centre-ville, on devient le relais négatif du pouvoir.» («Des travailleurs sociaux entre résignation et résistance», 390). Depuis 1993 pourtant, la mendicité n’est plus un délit en Belgique. Après une décision du Conseil d’État en 1997, les communes ne peuvent plus interdire la mendicité de manière générale sur leur territoire, au nom de l’ordre public. Cela n’a pas empêché de nombreuses communes de contrer cette décision.

Ces impressions négatives sur la mendicité viennent de différents stéréotypes qui datent du Moyen Âge. Si, à l’époque, la mendicité est glorifiée et le mendiant dispose d’un vrai statut social, très vite, des catégories de mendiants à base de critères très précis vont être créées. Elles permettaient de distinguer les vrais des faux mendiants. On tatouait les «vrais mendiants», on coupait les oreilles et le nez aux «faux mendiants» et, dans d’autres villes, on leur donnait des amendes. Motif invoqué: la crainte des réseaux de mendicité et de l’exploitation d’êtres humains et d’enfants. Les autorités craignent également l’attitude agressive et harcelante de certains mendiants qui troublerait l’ordre public. «Ces discours sont répétitifs, jamais documentés et sont construits sur le mode de scandalisation, de l’émotion», déclarait Jean-Pierre Tabin, professeur de sciences sociales à la Haute École de travail social et de santé de Lausanne. «On se soucie davantage des comportements potentiels que des comportements réels. En criminalisant les pauvres, ceux-ci deviennent ce qu’on a dit qu’ils étaient.» («Mendicité, petite chronique d’un malaise persistant», 390.)

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