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Regard critique · Justice sociale

Faut-il interdire la mendicité des enfants ?

Le débat sur la mendicité des enfants – et particulièrement des Roms – resurgit. Alors faut-il interdire la mendicité des enfants ?

04-02-2012 Alter Échos n° 331

Christine Defraigne (MR) propose d’interdire la mendicité des enfants. Les familles roms sont dans le viseur. Entre condamnation ferme de la maltraitance que subiraient ces enfants etempathie à tout crin, il est difficile de trouver une voie. Alors, faut-il interdire la mendicité des enfants ?

Les enfants qui mendient reviennent sur le tapis. André du Bus (CDH), député bruxellois au parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles et sénateur deCommunauté a longuement interpellé Evelyne Huytebroeck (Ecolo), ministre de l’Aide à la jeunesse, sur ce thème. Une nouvelle fois. Prônant une« réponse sociale » coordonnée et cohérente, il « ne constate aucune évolution dans ce dossier ». Dès lors, il se ditprêt à rallier des initiatives « plus répressives » en la matière.

L’initiative à laquelle il fait allusion est une proposition de loi que Christine Defraigne1, sénatrice MR, a déposée en décembre 2011. Cetteproposition vise à durcir l’arsenal pénal relatif à « l’exploitation de la mendicité » et plus particulièrement de la mendicitéinfantile.

La mendicité dans la loi

Depuis 1993, la mendicité n’est plus un délit. Néanmoins, son exploitation est punissable depuis l’entrée en vigueur de la loi du 10 août 2005 sur la traite desêtres humains. Ainsi, l’article 433 ter du Code pénal précise :

« Sera punissable d’un emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende de cinq cents euros à vingt-cinq mille euros :
1° quiconque aura embauché, entraîné, détourné ou retenu une personne en vue de la livrer à la mendicité, l’aura incitée à mendier ouà continuer de le faire, ou l’aura mise à disposition d’un mendiant afin qu’il s’en serve pour susciter la commisération publique 
2° quiconque aura, de quelque manière que ce soit, exploité la mendicité d’autrui. »

L’article 433 quater ajoute que l’infraction visée précédemment sera punissable d’un emprisonnement d’un à cinq ans si elle a été commise« à l’égard d’un mineur ».

Dans les faits, c’est donc au juge de se prononcer sur l’exploitation éventuelle de la mendicité d’un enfant par ses parents. En 2008, une jeune femme rom nommée Loredanaavait été condamnée par le tribunal de première instance de Bruxelles à une peine d’emprisonnement de 18 mois ainsi qu’à une amende, car il avaitété estimé qu’elle utilisait son enfant « pour suggérer la commisération ». Mais cet arrêt avait été cassé par lacour d’appel de Bruxelles le 26 mai 2010.

La proposition de madame Defraigne propose d’insérer – entre autres changements – dans l’article 433 ter :

« 1° Quiconque, dans son intérêt ou dans l’intérêt d’un tiers, aura embauché, entraîné, détourné ou retenu une personneen vue de la livrer à la mendicité, l’aura incitée à mendier ou à continuer de le faire, ou l’aura mise à la disposition d’un mendiant ou s’en sera servi dequelque manière que ce soit en l’associant, directement ou indirectement, à une quelconque démarche. »

De la prévention à la répression

Face aux enfants qui mendient, tous sont unanimes : « il faut faire quelque chose », car la pratique choque. Les moyens de juguler ce phénomène, eux,varient considérablement.

Pour Christine Defraigne, « quand la prévention ne marche pas, il faut penser à la répression, comme à un électrochoc ». L’exploitation dela commisération publique est déjà inscrite dans la loi comme un acte punissable. Mais, selon la sénatrice, « la loi n’est pas assez précise. Lesservices de police ne peuvent pas intervenir pour lutter contre cette forme de maltraitance des enfants qui est en contradiction avec les conventions internationales ». En rendantpunissable le fait « d’utiliser, même indirectement, les enfants, on élargit le champ d’action », dit-elle.

La sénatrice concède que cette réponse répressive doit « s’accompagner en amont de réponses préventives ». Toutefois, elle nedécolère pas contre ces adultes « qui ne remplissent pas leur rôle de parents en ne respectant pas l’intégrité physique de leurs enfants ».Avec ce texte de loi, les parents pourraient écoper de lourdes amendes voire de peines de prison, les séparant de leur enfant. « Les sanctions pourraient êtrediscutées. Le risque de séparation… c’est une difficulté, mais c’est une forme de maltraitance dont sont victimes ces enfants », se justifie-t-elle.

André du Bus2, lui, dit à qui veut l’entendre qu’il faut « une réponse sociale avant tout », il regrette que « les mailles du filetsocial ne soient pas assez serrées pour empêcher ça ». Aux yeux du sénateur, la mendicité infantile pose des questions non négligeables :« Quel environnement la société peut-elle garantir à l’égard de tous les enfants ? demande-t-il. La rue, ce n’est pas un environnement propice aubien-être de l’enfant. Je ne suis pas favorable à la répression en tant que telle, mais un effet positif de la répression pourrait être que ces personnes se dirigentvers des structures sociales. »

Mendiants roms et pauvreté

Il faut bien le dire, quand on parle de mendicité infantile, on parle des Roms. La seule étude connue sur la mendicité confirme ce constat. Certes, elle commence àdater. Elle a été réalisée à Bruxelles entre 2005 et 2007 par Ann Clé et Stef Andriaenssens pour la Fondation Roi Baudouin. « La mendicitéinterrogée » offre des données intéressantes. On y apprend qu’à l’époque 66,5 % des mendiants réguliers étaient des Roms, originairesde Roumanie. Parmi ces Roms, 43,4 % étaient accompagnés d’au moins un enfant. Depuis, rien n’est venu contredire ces données. La ministre de l’Aide à la jeunesse, enréponse à la question d’André du Bus, mentionnée ci-dessus fait d’ailleurs référence aux « conditions de vie extrêmement précairesdes jeunes Roms accompagnés de leurs parents. » Fustigeant les « réponses répressives qui les plongeraient davantage dans laprécarité », elle met en avant des initiatives d’asbl de médiation ainsi que la « stratégie nationale pour l’intégrationrom » (cfr encadré), qui, pour l’i
nstant, n’a pas vu le jour.

Le Plan stratégique pour les Roms est en retard

En 2011, la Commission européenne avait lancé son « cadre pour les stratégies nationales d’intégration des Roms. » L’idée était quechaque Etat de l’Union se dote d’un plan d’action autour de quatre axes : l’accès au travail, à l’éducation, aux soins de santé et au logement des Roms (voir AlterEchos n° 314 : « Ceci n’est pas un Romdiscriminé »).

L’idée était alors que les Etats rendent leur copie au plus tard le 31 décembre 2011. Mais en 2011 la Belgique a traîné au rythme de ses affaires courantes et parconséquent… point de plan stratégique pour l’instant.

Mendier est une contrainte

C’est bien cette précarité que de nombreux acteurs dénoncent. Pour eux, le meilleur moyen de lutter contre la mendicité infantile, c’est de s’attaquer à lapauvreté et au statut précaire des Roms. Car une chose est sûre : les Roms ne mendient pas de bon cœur. C’est en substance ce qu’explique Mihaela Mihai, laprésidente de l’association rom « Ilo Romano »3, qui a contribué en 2007 à la rédaction du « manifeste des Roms deBruxelles sur la mendicité en présence d’enfants ». Elle nous rappelle que beaucoup de Roms quittent leur pays d’origine car ils y sont victimes dediscriminations. En arrivant ici, « ils réalisent que tout n’est pas rose », dit-elle, avant de préciser : « La mendicité, c’estun passage. Ils ont tout quitté ; en arrivant ici, ils n’ont pas l’asile et ne peuvent être régularisés, ils n’ont quasiment aucune aide sociale. LesRoms de Roumanie ou de Bulgarie, par exemple, n’ont pas le droit de travailler. Quand ils mendient, c’est pour manger et payer le loyer, pour survivre. C’est un dépannagejusqu’à ce que la situation s’améliore. »

Prévoir une alternative

Au service Roms et gens du voyage du centre d’intégration « Foyer »4, la mendicité est un sujet qu’on connaît bien. La structure est un pointd’appui pour les services qui rencontrent des populations roms, et pour les Roms eux-mêmes. Dans ce cadre, ce centre flamand effectue un travail de médiation. La scolarisation desenfants est leur « principale accroche » auprès des Roms. Koen Geurts, le coordinateur du service, n’est pas forcément opposé àl’idée de sanctionner la mendicité infantile, « mais certainement pas par des peines de prison, ni en séparant les familles », dit-il,catégorique. La sanction, il la considère comme le dernier maillon de la chaîne : « Interdire, c’est trop peu. Il faut proposer une alternative. Nous sommesfavorables à un meilleur accompagnement, à une action pour que l’enfant soit à l’école le plus vite possible, dès la maternelle. Cela nécessite un grostravail d’information. Les Roms ont une vie précaire et n’ont jamais senti les avantages de la scolarité, car ils ont été discriminés. Quand un médiateur lesguide, les met à l’aise, les informe, gagne leur confiance, souvent le but est atteint. A ce niveau-là, il y a une tendance à l’amélioration. Mais il faut desmédiateurs. »

Si Koen Geurts souligne les résultats positifs qu’a engrangés le Foyer, il ne verse pas pour autant dans l’angélisme : « Malgré le travail demédiation, il y a des récalcitrants. Si des parents refusent que leur enfant aille à l’école, il faut d’abord voir pourquoi. Et si des parents exploitent leurs enfants,alors pourquoi pas une sanction ? Il faut en effet prévoir une force sanctionnante qui soutient le travail des médiateurs. Cela peut être une mesure du Juge de la Jeunesse,ou une petite amende, adaptée à la réalité de ces familles, il faudrait presque encadrer ces familles pour obliger l’enfant à aller à l’école. Si lesjuges s’y mettent, cela peut faire bouger les choses, il n’y a pas forcément besoin d’une nouvelle loi. »

Mendier, c’est maltraiter ?

Reste qu’aux yeux de beaucoup, la pauvreté n’exonère pas les parents de protéger leur enfant. Et les amener en rue ne serait pas la meilleure manière de le faire.Christine Defraigne, et beaucoup d’autres, parlent même de « maltraitance ». Ils réclament l’interdiction pure et simple de toute forme de mendicitéimpliquant – même indirectement – des enfants, en s’appuyant notamment sur les observations finales du Comité des droits de l’enfant adressées à la Belgique enjuin 2010. Ce dernier avait demandé « d’interdire expressément le recours aux enfants pour mendier en rue, que les adultes impliqués soient ou non lesparents. » Aux yeux des associations, la réalité est plus nuancée. Koen Geurts attire notre attention sur la nécessité de bien distinguer lesdifférents âges des enfants roms : « Outre les problèmes d’argent et d’information, il faut savoir que l’idée même de crèche est taboue chezles mères roms. Elles nous interpellent en disant qu’elles s’occupent de leurs enfants. Elles considèrent le fait de mettre un enfant en crèche à trois mois comme unabandon. De même, l’école à trois ans, c’est très tôt pour elles. Donc elles emmènent leur enfant sur leur lieu de « travail ». »

« Une chose est sûre, personne n’affirme que la place de ces enfants est dans la rue », affirme Frédérique Van Houcke de la Coordination des ONG pour lesdroits de l’enfant5. Interdire la mendicité et punir les parents n’est, selon elle, pas une fatalité : « Lorsqu’il ne s’agit pas de traite, mais de survie, ilfaut soutenir les parents pour qu’ils ne soient pas contraints de mendier. Plutôt que de les sanctionner, il faudrait penser à des incitants pour que les enfants aillent àl’école. »

Lutte contre la mendicité infantile = lutte contre les réseaux ?

Parmi les motivations de Christine Defraigne dans sa volonté d’éradiquer la mendicité infantile, figure en bonne place la volonté de mieux lutter contre la« traite des êtres humains ». « Avec cette loi, on vise une meilleure lutte contre la traite et l’exploitation. On crée une brèche dans lesfilières qui exploitent les enfants », explique-t-elle.

Mais ces réseaux existent-ils ? Sont-ils fantasmés ou bien ancrés ? Difficile à dire. Dans le rapport 2008 du Centre pour l’égalité des chanceset de lutte contre le rac
isme, on pouvait lire qu’il est « difficile d’enquêter parce que cette communauté est très inaccessible et difficilementapprochable ».

La coordination des ONG pour les droits de l’enfant – se basant notamment sur des chiffres du CECLR – estime que ces réseaux sont une « réalitémarginale ».

Une magistrate qui suivait ces dossiers à Bruxelles nous affirme qu’à l’époque (il y a plus de deux ans) : « aucun réseau organisé de traited’enfants et d’exploitation de la mendicité collective n’avait été trouvé ». Et aujourd’hui ? D’autres sources affirment qu’il existe bien desréseaux, mais que la police connaît de nombreuses difficultés à prouver ces faits. Le Centre pour l’égalité des chances précise qu’il faut êtretrès prudent avant de tirer des conclusions. « Il y a des indications dans d’autres pays que des réseaux existent. Il doit donc en exister ici aussi. Il faut donc faireattention avant de minimiser le phénomène », nous dit-on, « car il y a trop peu d’informations fiables. »

C’est certainement ce qui a fait dire à Wim Bontings, responsable de la cellule Traite de la Police fédérale, interrogé par la Code que la problématique nereçoit pas « une attention suffisante des autorités qui permettrait de creuser toutes les pistes de suspicion. »

1. Christine Defraigne :
– Vinâve d’Ile, 9 à 4000 Liège
– tél. : 04 223 01 11
– courriel : contact@christinedefraigne.be
2. André du Bus :
– adresse : chaussée Saint-Pierre, 48 à 1040 Bruxelles
– tél. : 02 648 27 87 – courriel : andre@andredubus.be
3. Centre de Roms Ilo Romano, rue Masui, 129 à 1030 Bruxelles
4. Centre d’intégration Foyer service Roms et gens du voyage
– adresse : rue Mommaerts, 22 à 1080 Bruxelles
– tél. : 02 411 87 32
– site : www.foyer.be
5. Coordination des ONG pour les droits de l’enfant :
– adresse : rue du Marché aux poulets, 30 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 223 75 00
– courriel : info@lacode.be

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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