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Regard critique · Justice sociale

Enquête

Toits partagés pour mamans isolées

Dans la capitale, trouver un logement décent reste un défi de taille pour de nombreuses mamans solos, souvent confrontées à la précarité et à la discrimination. Face à cette situation, quelques projets d’habitat partagé commencent à émerger et à bousculer les codes en souhaitant offrir à ces mamans et leurs enfants un espace où solidarité rime avec autonomie. À côté de ces projets, d’autres mères tentent l’aventure de la colocation, espérant échapper aux galères du marché locatif, avec plus ou moins de succès…

(c) Caroline Wang

Avenue de la Liberté. Tout un programme en soi, surtout quand il concerne un projet d’habitat partagé pour mamans solos. Situé à Koekelberg, cet espace est conçu pour une dizaine de mamans et leurs enfants – une trentaine de personnes en tout, répartis dans deux maisons bruxelloises du XIXe siècle. À la tête de ce projet, on retrouve Lionel Wauters, ingénieur-architecte de formation. Le promoteur nous fait la visite de ce qui est encore un chantier. Il est intarissable quand il évoque la rénovation du lieu qui allie performances énergétiques et environnementales. Il en va de même quand il évoque son intérêt pour l’habitat partagé. «Je me suis toujours intéressé à ce type d’habitat, qui crée un nouveau rapport dans le quotidien. Tout n’y est pas qu’une question de logement, mais de solidarité, d’entraide.»

Derrière ce projet, une conviction: l’habitat partagé peut être une réponse concrète aux difficultés rencontrées par les familles monoparentales sur le marché locatif, tout en favorisant le lien social. «Je devrais inventer une belle histoire…, s’excuse-t-il pourtant. Je ne suis pas parent solo. J’ai quatre enfants, je suis marié. Je n’avais jamais fait de projet pour ce public discriminé sur le marché du logement privatif. Mais en voyant les plans, je me suis lancé avec une espèce d’intuition.»

Au rez-de-chaussée, de vastes espaces communs s’adapteront prochainement à un usage collectif, tandis que les étages offriront des espaces privatifs pour se retrouver en famille. «C’est bien de faire du commun, du collectif, mais pour être bien ensemble, il faut être bien chez soi dès qu’on entre dans le bâtiment, résume Lionel Wauters. Concilier le collectif et l’intime, c’est l’essence même de ce lieu.»

Derrière ce projet, une conviction: l’habitat partagé peut être une réponse concrète aux difficultés rencontrées par les familles monoparentales sur le marché locatif, tout en favorisant le lien social.

Il y a trois types d’espaces privatifs définis en fonction de l’occupation et des réalités des familles, certaines unités allant jusqu’à quatre enfants. «L’espace privatif peut paraître réduit, reconnaît Lionel Wauters, mais par rapport à un appartement deux chambres classique, chaque famille disposera de plus de fonctionnalités différentes dans un même logement.» Les communs sont entièrement meublés, équipés. Les espaces privatifs sont libres, de façon que chacun puisse se les approprier en fonction de ses besoins, avec une note mensuelle tout compris allant de 910 à 1.665 euros. Un modèle économique loin d’être accessible à toutes, même si les loyers seront 20% inférieurs à ceux du quartier. «Ce n’est pas un projet lucratif, mais il doit rester viable», précise le promoteur qui porte deux autres projets de ce type à Forest et à Namur, et qui assure ne pas vouloir s’arrêter à ces trois bâtiments.

Actuellement, 11 mamans sont intéressées par ce projet. C’est le cas de Caroline*. La maman solo traversait une période charnière de sa vie, en évoquant sa situation «un peu particulière». «Je suis tombée en dépression après l’incarcération du père de mon fils pour violences conjugales alors que j’étais enceinte.» Actuellement hébergée en institution, elle est à la recherche d’un logement adapté pour elle et son fils de 21 mois. La recherche d’un nouveau toit est devenue une priorité. «Mais c’est vraiment compliqué: je suis à la mutuelle et je compte retravailler quand mon fils ira à l’école, dans un an.»

Un modèle économique loin d’être accessible à toutes, même si les loyers seront 20% inférieurs à ceux du quartier. «Ce n’est pas un projet lucratif, mais il doit rester viable», précise le promoteur qui porte deux autres projets de ce type à Forest et à Namur, et qui assure ne pas vouloir s’arrêter à ces trois bâtiments.

C’est en lisant la lettre d’informations de la Maison des parents solos, un centre d’aide aux personnes spécialisé dans l’accompagnement des familles monoparentales à Bruxelles, qu’elle découvre une annonce pour un habitat partagé. «Au début, l’idée de vivre avec autant de mamans m’a fait un peu peur, mais ce projet est différent: il s’agit de femmes qui souhaitent vraiment vivre ensemble, dans un esprit de solidarité.»

Caroline se projette déjà: «Mon fils pourra avoir un jardin, ce qui est presque un luxe à Bruxelles. Les loyers sont devenus fous: pour 850 euros, sans charges, on n’a qu’un studio. Là, le cadre est agréable, il y a un parc, le métro à côté, tout est bien pensé.»

Après avoir rencontré les autres mamans lors d’une réunion organisée, elle se sent rassurée. «On a toutes des situations différentes, mais la même volonté que ça se passe bien. On a discuté de nos limites, de la vie en communauté. Il y aura des règles à respecter; c’est nécessaire pour que cela fonctionne.»

Face à l’impasse

Caroline a aussi tenté d’autres démarches, comme l’inscription sur la liste des logements sociaux. «Il y a cinq ans d’attente…» Dans sa recherche d’un logement, la maman solo a été accompagnée par la Maison des parents solos de Bruxelles. Nadia Essouayah y est assistante sociale depuis cinq ans et elle dresse un constat alarmant: la crise du logement frappe de plein fouet les familles monoparentales, en particulier les mères seules. «Face à la flambée des loyers et à la pénurie de logements adaptés, ces femmes se heurtent à de multiples obstacles, dont la discrimination.»

Les mamans solos, souvent d’origine étrangère et avec plusieurs enfants, sont fréquemment écartées du marché locatif privé. «Beaucoup n’arrivent même pas à visiter un logement, et quand elles y parviennent, elles sont d’office exclues», déplore l’assistante sociale. Les propriétaires privilégient les couples à double revenu, reléguant les familles monoparentales au second plan.

Malgré un accompagnement personnalisé – rappel des droits des locataires, soutien dans la recherche, coaching –, l’assistante sociale se dit frustrée: «Je n’ai pas de logement à leur offrir.» Les démarches sont longues et épuisantes: il faut parfois visiter 30 à 40 biens pour espérer décrocher un logement. Beaucoup de parents finissent par baisser les bras.

Les mamans solos, souvent d’origine étrangère et avec plusieurs enfants, sont fréquemment écartées du marché locatif privé. «Beaucoup n’arrivent même pas à visiter un logement, et quand elles y parviennent, elles sont d’office exclues», déplore Nadia Essouayah, assistante sociale.

Face à l’impasse, certains parents solos envisagent la colocation ou la location à plusieurs, pour mutualiser les coûts et rompre l’isolement. Des projets innovants, comme celui mené à Koekelberg, voient le jour, offrant des modules privatifs et des espaces communs. «Mais ces solutions restent minoritaires et encore souvent trop coûteuses, accessibles surtout aux mamans ayant un emploi stable», reconnaît Nadia Essouayah.

Pour Caroline, ce nouveau projet d’habitat partagé représente pourtant une véritable bouffée d’oxygène. «J’ai souvent habité seule avec mon enfant, et la solitude pèse. Là, on n’est pas obligées d’être ensemble tout le temps, mais juste pouvoir partager un café, une conversation, c’est une bonne énergie, surtout pour les enfants.»

La maman solo se montre optimiste: «J’aurai un logement qui me plaît, je commence aussi un accompagnement professionnel pour me réorienter. Tout se met en place. J’ai besoin de ma liberté, et l’habitat partagé se situe justement avenue de la Liberté.»

Du temps, de l’engagement

Au sein du projet d’habitat groupé à Koekelberg, la sélection des familles se fait avec soin: entretiens individuels, rencontres collectives, clarification des attentes et des règles de vie. «Vivre ensemble demande de l’engagement, du temps, de l’énergie. Cet investissement n’est pas donné à tout le monde», admet Lionel Wauters. L’accompagnement est toujours en cours et est mené par l’asbl Habitat et Participation, en guidant les familles dans la co-construction des règles de vie. «Nous accompagnons les groupes citoyens, les pouvoirs publics ou même des porteurs de projets privés comme celui de Lionel Wauters, depuis la constitution du groupe jusqu’à la gouvernance et la gestion du vivre-ensemble», explique Caroline Ganna pour Habitat et Participation.

Selon elle, l’habitat groupé représente une réponse pertinente à la précarité des familles monoparentales à Bruxelles. «Les mamans solos sont très discriminées sur le marché locatif classique, souvent seules avec un revenu modeste ou de remplacement. Certaines cherchent activement un logement depuis des années sans succès, et elles s’investissent dans des projets collectifs justement parce qu’elles n’ont plus d’autres solutions», souligne Caroline Ganna.

«Les mamans solos sont très discriminées sur le marché locatif classique, souvent seules avec un revenu modeste ou de remplacement. Certaines cherchent activement un logement depuis des années sans succès, et elles s’investissent dans des projets collectifs justement parce qu’elles n’ont plus d’autres solutions»

Caroline Ganna, Habitat et participation

Si la motivation première reste souvent la réduction des coûts, l’envie de recréer du lien social et de rompre l’isolement est tout aussi forte. «Beaucoup de mamans nous disent qu’elles n’ont personne à qui parler de leur quotidien ou de leurs difficultés. L’habitat partagé permet de retrouver une vie sociale, de s’entraider dans la parentalité et d’offrir à leurs enfants un environnement plus riche, ouvert à d’autres cultures et modes de vie», témoigne-t-elle.

Habitat et Participation accompagne aussi d’autres projets comme FEM’S, un habitat collectif visant l’accès à la propriété collective pour des femmes en situation de monoparentalité, où la réflexion architecturale et sociale se fait main dans la main avec les futures habitantes, en proposant un modèle d’habitat adapté à leurs besoins. «Les mamans veulent revaloriser des espaces comme la cuisine ou la buanderie, souvent négligés, pour en faire de vrais lieux de convivialité», note Caroline Ganna.

Katrien, maman solo impliquée dans le projet, témoigne des réalités et des espoirs portés par ce type de démarches collectives qui mêle logement abordable et solidarité communautaire. Actuellement, cette mère de deux adolescents, un garçon et une fille, habite dans un appartement dans un projet d’habitat groupé à Forest. Il s’agit d’un appartement de deux chambres loué à une agence immobilière sociale (AIS). «Comme beaucoup de mamans solos à Bruxelles, je dors dans le salon pour que chaque enfant ait sa chambre.»

Selon les règles de l’AIS, il n’est pas autorisé que deux enfants de sexes différents partagent la même chambre après un certain âge. «C’est une véritable épée de Damoclès, car il y a toujours la crainte d’une expulsion si les conditions ne sont plus remplies», admet Katrien.

FEM’S a reçu le soutien d’Angela-D, une asbl bruxelloise dont l’objectif est d’attirer l’attention sur le logement comme marqueur social des inégalités entre les hommes et les femmes. Marina Bigaignon, coordinatrice de l’asbl, rappelle l’enjeu d’un tel projet: «Permettre aux femmes de trouver des logements moins chers que sur le marché privé, de bonne qualité et durables.»

Si le projet a pas mal avancé depuis plusieurs années maintenant, les obstacles restent encore nombreux, le principal étant encore l’achat du bien. Katrien détaille: «Comme on est seules à acheter, on n’a pas assez de moyens. On a contacté des communes, mais rien n’est décidé. C’est délicat, car les communes veulent un projet social, mais n’ont pas forcément les moyens.»

Le chemin est long et requiert un investissement personnel important de la part des mères impliquées dans le projet. «On a eu des subsides pour embaucher une personne qui nous a aidées, mais la charge de travail reste énorme, surtout qu’on est toutes mamans solos à temps plein», confie Katrien. Marina Bigaignon insiste, quant à elle, sur la nécessité d’un soutien institutionnel. «Sans lui, ce modèle d’habitat n’est pas possible. Il faut du temps, de l’énergie, et une certaine stabilité pour porter un tel projet. Ce n’est pas à la portée de toutes. Les mamans solos sont déjà surchargées. Prendre la responsabilité de créer un tel lieu n’est pas donné à tout le monde. Il faudra trouver d’autres partenaires pour que le projet soit viable.»

(c) Caroline Wang

Une solution limitée

Même si la route reste semée d’embûches, cet engagement collectif pourrait répondre au besoin de solidarité et de mutualisation des ressources, tout en offrant un cadre de vie plus adapté aux familles monoparentales, à commencer par les mères seules. «Toutefois, peu de familles monoparentales y ont effectivement accès, faute d’offres suffisantes et de dispositifs d’accompagnement adaptés», rappelle Alexandra Woelfle, du service d’études de la Ligue des familles qui a mené en 2022 un sondage auprès de 1.150 parents solos sur la problématique du logement.

L’étude menée par la Ligue des familles relevait d’ailleurs une réalité bruxelloise marquée par la précarité et la discrimination. «Dans la capitale, la situation est particulièrement tendue: 28% des familles monoparentales consacrent plus de la moitié de leurs revenus au logement, un chiffre supérieur à la moyenne nationale.» Les discriminations sont monnaie courante: quatre parents solos sur dix estiment avoir été victimes de stigmatisation lors de leur recherche de logement, notamment en raison de leur statut familial ou de leurs revenus. «Les femmes, qui représentent 82% des cheffes de familles monoparentales, sont les plus touchées par ces discriminations et par les demandes abusives de documents de la part des propriétaires.»

Face à ces discriminations, certaines mamans solos recourent à la colocation. Parmi celles qui ont été «séduites» par cette solution face à la pression immobilière croissante à Bruxelles, les histoires se ressemblent bien souvent, mêlant solidarité, mais aussi précarité. À l’instar de celle d’Ariane, par exemple. Après une séparation, cette maman s’est d’abord installée chez ses parents avec ses enfants, avant de retenter l’aventure en couple dans un appartement à Schaerbeek. Mais très vite, le couple se sépare et la réalité économique s’impose à la mère de famille: le logement, spacieux, était hors de portée pour une femme seule avec deux enfants. Pour éviter de déménager encore, elle s’est tournée vers la colocation. Après avoir publié une annonce, elle a accueilli une autre mère célibataire et son enfant. L’appartement, doté de quatre chambres, a alors été partagé entre deux familles, offrant à chacun un espace personnel.

Financièrement, la colocation lui a permis de conserver un logement de qualité dans un quartier agréable, à proximité de l’école, «ce qui aurait été inenvisageable seule». Au-delà de l’aspect économique, la colocation offre aussi un soutien logistique et social. Les mères peuvent se relayer pour la garde des enfants, s’entraider au quotidien, et rompre l’isolement souvent ressenti par les parents solos. Mais cette vie partagée a ses limites: il faut composer avec les habitudes et les rythmes de l’autre famille, accepter une moindre intimité. «Ce n’est pas toujours simple de rentrer chez soi et de partager son quotidien avec une autre famille.»

Surtout, la précarité de ce mode d’habitat reste omniprésente. À chaque départ d’une colocataire – elle en est à son deuxième départ – tout est à recommencer: reposter des annonces, organiser des visites, espérer trouver la bonne personne. «C’est fragile, précaire, stressant, et tous les x mois, je dois me dire: ‘Merde, je recommence.’ Cette incertitude pèse, d’autant que le marché locatif est tendu, que les discriminations envers les familles monoparentales sont fréquentes et que les logements abordables sont rares.»

«C’est fragile, précaire, stressant, et tous les x mois, je dois me dire: ‘Merde, je recommence.’ Cette incertitude pèse, d’autant que le marché locatif est tendu, que les discriminations envers les familles monoparentales sont fréquentes et que les logements abordables sont rares.»

Ariane, maman solo en colocation

«Le marché du logement n’est en outre pas pensé pour les parents seuls, et encore moins pour les mères seules», constate, quant à elle, Zoé, maman solo de deux garçons âgés de 10 et 12 ans. Dès la séparation, la recherche d’un nouveau toit s’est révélée semée d’embûches, malgré un emploi stable et un salaire confortable à l’époque. «Les propriétaires exigent des garanties toujours plus nombreuses, préférant les couples sans enfants.» Malgré ses revenus, les portes des appartements visités sont restées closes.

La solution est venue d’une annonce sur les réseaux sociaux: une colocation familiale avec un autre parent solo. Mais cette organisation reste fragile. Neuf mois après avoir rejoint cette aventure collective, le départ imminent de son colocataire la plonge dans l’incertitude: «Vais-je continuer ce mode de vie ou revenir à quelque chose de plus isolé?», s’interroge-t-elle.

Le coût reste un frein majeur: avec un loyer de 2.700 euros à partager, la charge financière pèse lourd, surtout depuis qu’elle a quitté son emploi pour reprendre des études. «Mon logement me coûte les trois quarts de mes revenus de chômage.» Pour que la colocation soit viable, il faudrait être au moins trois adultes. De plus, la stabilité de ce mode de vie dépend des choix des autres, et l’annonce du départ du colocataire a bouleversé l’équilibre familial: «Mon plus jeune fils, qui avait mis du temps à s’adapter, est très inquiet à l’idée de devoir déménager ou d’accueillir de nouveaux colocataires.»

Du bricolage permanent

Angèle est aussi à la croisée des chemins. En juillet dernier, cette institutrice bruxelloise s’est séparée du père de ses deux enfants, âgés de 6 et 9 ans. Rapidement, elle se rend compte que son salaire – 2.500 euros net par mois, qu’elle considérait jusque-là comme «correct», ne suffisent pas à couvrir le coût d’un appartement deux chambres à Bruxelles, où les loyers dépassent souvent les 1.000 à 1.200 euros hors charges.

Face à cette réalité, la colocation s’impose presque naturellement. Mais la démarche s’avère complexe: il faut non seulement rencontrer de potentiels colocataires, mais aussi s’assurer que les enfants s’entendent, puis trouver un logement adapté à cette nouvelle configuration familiale.

La situation se débloque lorsqu’une autre maman solo, habitant Anderlecht, la contacte. Grâce au bouche-à-oreille, cette dernière avait trouvé une maison à louer, dont les propriétaires partaient pour un an en Amérique latine. Cette opportunité permet à la jeune mère et ses enfants de s’installer dans une maison, mais le contrat touche à sa fin et elle doit déjà recommencer les recherches.

La colocation, confie-t-elle, lui a permis de ne pas se sentir seule pendant cette période difficile. «Je ne me voyais pas seule dans un appartement, même si j’avais eu les moyens», explique-t-elle. Elle souligne l’importance du soutien entre femmes dans ce type de colocation, évoquant une «capacité d’écoute active» et une forme de sororité qui l’a beaucoup aidée.

Malgré les difficultés, elle envisage une nouvelle colocation, peut-être avec sa sœur, et un ami d’enfance. La colocation reste, selon elle, néanmoins une solution précaire. «Trouver les bonnes personnes, le bon logement, signer les contrats: rien n’est simple.»

À 50 ans, Claire tire, pour sa part, un bilan nuancé de ses expériences de colocation avec d’autres mamans solos. Comme beaucoup de mères, elle a dû jongler entre chômage et contrats précaires pour s’occuper de son fils. Rapidement, la réalité financière l’a contrainte à revoir son mode de vie, en intégrant une colocation avec une autre maman solo et deux autres femmes. «Je pensais que ce serait une bonne solution, mais ça s’est très mal passé. L’ambiance était froide, il n’y avait aucune concertation, et nos modes d’éducation étaient incompatibles.» L’expérience tourne court.

Déterminée à offrir un cadre plus chaleureux à son fils, Claire multiplie les annonces et les rencontres pour créer une nouvelle colocation, ouverte à tous profils, pas seulement des mères seules. «Pendant un an, j’ai rencontré des dizaines de personnes. Mais il était très difficile de trouver des gens avec qui ça colle vraiment, surtout avec des exigences comme un jardin ou la proximité de l’école. J’ai aussi constaté la grande fragilité de nombreuses mamans solos, souvent marquées par des séparations douloureuses ou des situations précaires.»

Après plusieurs tentatives infructueuses, elle finit par louer une petite maison à Bruxelles, qu’elle aménage pour accueillir une colocataire. «J’ai pris la première personne venue, faute de choix, mais ce n’était pas la bonne. Puis une autre maman s’est présentée, en situation très compliquée. Là encore, ça s’est mal passé.»

«Pendant un an, j’ai rencontré des dizaines de personnes. Mais il était très difficile de trouver des gens avec qui ça colle vraiment, surtout avec des exigences comme un jardin ou la proximité de l’école. J’ai aussi constaté la grande fragilité de nombreuses mamans solos, souvent marquées par des séparations douloureuses ou des situations précaires.»

Claire, maman solo en colocation

Pour Claire, la colocation entre mamans solos reste un parcours du combattant. «J’aurais adoré que ça marche, mais la réalité est dure. C’est très précaire, du bricolage permanent. Il faut gérer non seulement le lieu, mais aussi les différences d’éducation, la fragilité psychologique de certaines mères… Il y a beaucoup de conflits, de difficultés à trouver la bonne entente. Je ne suis pas assistante sociale. À moins de s’appuyer sur des structures spécialisées, je pense que c’est très compliqué à faire fonctionner sur le long terme.»

Toujours selon l’étude de la Ligue des familles, environ un parent solo sur dix a eu recours à la colocation, à un Airbnb ou à un hôtel comme solution temporaire lors de la séparation. «Si 24% des familles monoparentales envisagent la colocation à plus long terme, elles restent une large majorité (76%) à ne pas la considérer comme une option viable», précise Alexandra Woelfle. Les principaux obstacles résident, notamment selon la Ligue, dans le statut de cohabitant, qui peut entraîner une perte d’aides sociales pour ces mères qui se tournent vers cette alternative. Malgré tout, que ce soit Claire, Ariane ou Angèle, toutes ces mamans solos continuent d’espérer que de telles solutions collectives, mieux encadrées, puissent un jour offrir aux familles monoparentales, aux mamans solos en particulier, un cadre de vie plus stable et solidaire.

* Les prénoms des mamans solos ont tous été modifiés dans cet article
Une enquête réalisée avec le soutien d’Equal.Brussels

Le résumé
° Un projet d’habitat groupé pour mamans solos est sur les rails à Koekelberg. D’autres sont en cours à Bruxelles. Une réponse concrète aux difficultés rencontrées par les familles monoparentales sur le marché locatif.
° Les mamans solos, souvent d’origine étrangère et avec plusieurs enfants, sont fréquemment écartées du marché locatif privé. Les propriétaires privilégient les couples à double revenu, reléguant les familles monoparentales au second plan.
° Dans la capitale, la situation est particulièrement tendue: 28% des familles monoparentales consacrent plus de la moitié de leurs revenus au logement, un chiffre supérieur à la moyenne nationale, selon une étude de la Ligue des Familles.
° Face à ces discriminations, certaines mamans solos recourent à la colocation. Toujours selon l’étude, environ un parent solo sur dix a eu recours à cette solution.
Pierre Jassogne

Pierre Jassogne

Journaliste

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