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Lutte contre la pauvreté : ce qu’en disent les ministres

La pauvreté est-elle une fatalité? Comment l’éradiquer? Voici, en résumé, les réponses des ministres du fédéral et francophones (Régions, Fédération Wallonie-Bruxelles) en charge des questions sociales et de la lutte contre la pauvreté.

© Sophie Le Grelle

Ont répondu à nos questions :

Karine Lalieux (PS), ministre fédérale des Pensions et de l’Intégration sociale, chargée des Personnes handicapées et de la Lutte contre la pauvreté ;

Christie Morreale (PS), vice-présidente du gouvernement wallon, ministre de l’Emploi, de la Formation, de la Santé, de l’Action sociale et de l’Économie sociale, de l’Égalité des chances et des Droits des femmes ;

Alain Maron (Écolo), ministre bruxellois de la Transition climatique, de l’Environnement, de l’Énergie, de la Propreté publique, de l’Action sociale et de la Santé ;

Pierre-Yves Jeholet (MR), ministre-président de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Alter Échos: On parle depuis des années d’éradiquer la pauvreté. Or les inégalités semblent se creuser. La pauvreté est-elle une fatalité dans notre société, l’une des plus riches du monde?

Karine Lalieux: La fatalité n’est pas une option face aux grands défis. Un objectif clair doit être fixé, et les moyens d’y arriver doivent être mobilisés, afin de supprimer toute pauvreté dans un monde qui n’a jamais été aussi riche. On ne peut pas toutefois affirmer que les inégalités se creusent constamment. Nos filets de protection sociale continuent à fonctionner. Lors de la crise sanitaire, sans les mesures prises par les autorités, les inégalités se seraient creusées de façon bien plus préoccupante. Avant la crise sanitaire, le taux de pauvreté était d’ailleurs en diminution. Bien sûr, les inégalités doivent s’envisager sous divers angles: par exemple, la tension entre les revenus du travail les plus bas et les plus élevés est en croissance. C’est un point sur lequel il nous faudra travailler…

«On ne peut pas toutefois affirmer que les inégalités se creusent constamment. Nos filets de protection sociale continuent à fonctionner. Lors de la crise sanitaire, sans les mesures prises par les autorités, les inégalités se seraient creusées de façon bien plus préoccupante. Avant la crise sanitaire, le taux de pauvreté était d’ailleurs en diminution. Bien sûr, les inégalités doivent s’envisager sous divers angles…» Karine Lalieux

Alain Maron: On a longtemps voulu séparer pauvreté et inégalités. Or, on ne peut penser la problématique de la pauvreté sans celle des inégalités: le niveau d’inégalité dans une société nous montre la manière dont sont redistribuées les richesses produites. La pauvreté est donc tout sauf une fatalité, c’est un choix de société, politique. Ensuite, la manière dont on perçoit la pauvreté définit la façon dont on va agir. Si on la pense uniquement sous le prisme monétaire et des besoins individualisés, la manière de l’éradiquer semble assez évidente. On donne de l’argent à ceux et celles qu’on estime qui n’en ont pas assez. Mais on peut aussi aller un peu plus loin et se poser la question des besoins que nous décidons démocratique- ment de collectiviser. On quitte alors la seule défense du pouvoir d’achat dans la consommation pour se positionner plus largement sur la défense des droits fondamentaux. L’État social s’est mis en place pour réduire et compenser les déséquilibres avec la logique suivante: renforcer les services publics et la sécurité sociale. Se mettre ensemble pour créer un enseigne- ment, des soins de santé abordables, des transports publics pas chers sont des remparts importants dans la lutte contre la pauvreté.

Christie Morreale: Si des centaines de milliers de personnes vivent sous le seuil de pauvreté en Belgique, c’est notamment parce que les richesses ne sont pas réparties équitablement dans notre pays. La pauvreté ne disparaîtra pas d’elle-même. Pour l’éradiquer, il faut identifier les causes structurelles et les combattre avec force.

Pierre-Yves Jeholet: Depuis 2019, les crises se succèdent et mettent à rude épreuve nos populations et les finances de nos différents niveaux de pouvoir. La crise Covid a fait naître de nouvelles formes de précarité, mais a aussi accru des situations de pauvreté existantes. Toutefois, la pauvreté ou la précarité ne sont une fatalité pour personne. Le devoir des autorités politiques, c’est d’être volontariste et ambitieux pour que chacun de nos concitoyens puisse vivre mieux demain qu’hier. Il n’y a aucune raison pour un citoyen de demeurer toute sa vie bénéficiaire d’un revenu d’intégration sociale ou d’une allocation.

«Il n’y a pas de mesure clé, il y a des mesures clés. Revoir notre système fiscal pour permettre une redistribution juste permettant ensuite de renforcer nos services publics et avoir le courage politique de réguler un système plutôt que d’essayer, peine perdue, que tout le monde puisse y accéder en l’état.» Alain Maron

AÉ: Quelle serait, pour vous, la mesure clé à prendre pour éradiquer la pauvreté de notre société – qu’elle se situe dans ou en dehors de votre champ de compétences?

Karine Lalieux: J’en vois deux. La première, c’est bien évidemment l’accès au travail. Et je ne parle pas de flexi-jobs, mais bien de l’accès à du travail de qualité. Aujourd’hui, on parle beaucoup de pénurie de travailleurs, nous avons donc une opportunité d’avancer de façon positive. Cela passe aussi par des efforts dans le chef des employeurs, qui doivent donner toutes les chances aux personnes qui ont envie de travailler, même si elles ne cochent pas toutes les cases dans un CV. Pour que cet accès au travail soit un succès, nous devons aussi faire en sorte qu’il ne soit pas assorti de conditions pénalisantes. Je pense par exemple à des droits dérivés, ou autres mesures d’aide, qui s’éteignent parfois automatiquement en cas de retour au travail, et dont les conséquences financières sont telles qu’elles risquent de ne plus rendre attractif le retour sur le marché du travail. Autre point sur lequel il faut agir: une prise en compte plus juste et plus respectueuse des choix de vie. Cela passe par l’individualisation des droits sociaux.

Alain Maron: Il n’y a pas de mesure clé, il y a des mesures clés. Revoir notre système fiscal pour permettre une redistribution juste permettant ensuite de renforcer nos services publics et avoir le courage politique de réguler un système plutôt que d’essayer, peine perdue, que tout le monde puisse y accéder en l’état. Est-ce plus efficace par exemple d’avoir une décision collective sur un plafonnement des prix des loyers ou de distribuer des primes individuelles?

«Outre le renforcement du financement de la sécurité sociale, plusieurs améliorations doivent être apportées. J’en citerai deux: il faut que toutes les allocations sociales se situent au-dessus du seuil de pauvreté en permanence; et nous devons mieux prendre en compte les trajectoires de vie et les «nouveaux» besoins:tendre vers une individualisation des droits sociaux, prendre en compte les mutations de notre modèle familial, intégrer les trajectoires de vie des femmes dans le calcul de leurs pensions, ou encore répondre aux besoins en termes de santé mentale.» Christie Morreale

Christie Morreale: Renforcer et pérenniser le financement de la sécurité sociale. Outre son financement, plusieurs améliorations doivent être apportées. J’en citerai deux: il faut que toutes les allocations sociales se situent au-dessus du seuil de pauvreté en permanence; et nous devons mieux prendre en compte les trajectoires de vie et les «nouveaux» besoins: tendre vers une individualisation des droits sociaux, prendre en compte les mutations de notre modèle familial, intégrer les trajectoires de vie des femmes dans le calcul de leurs pensions, ou encore répondre aux besoins en termes de santé mentale.

Pierre-Yves Jeholet: Ce n’est pas une mesure clé à prendre, mais bien un ensemble de mesures cohérentes qui sont nécessaires. C’est dans cette op tique que le gouvernement de la FWB a approuvé, en décembre 2020, un plan quinquennal de lutte contre la pauvreté et pour la réduction des inégalités sociales, dont l’objectif est de s’attaquer, dès le plus jeune âge, aux causes de la pauvreté chez les populations en situation de précarité dans des matières comme l’accueil de l’enfance, l’éducation, la culture, le sport, la jeunesse, etc.

AÉ: Le contrôle et l’activation des allocataires font partie intégrante des politiques menées. Ces mesures ont un coût financier énorme. Celui-ci ne pourrait-il pas être affecté autrement?

Karine Lalieux: Il s’agit de décisions politiques prises au fil des législatures. Je pense qu’un contrôle est nécessaire. C’est une question d’équité entre tous les bénéficiaires. Cela permet aussi de mesurer l’efficacité des politiques et des dispositifs. Bien sûr, c’est une forme de contractualisation, qui engendre des droits et obligations réciproques. Et cela a un coût. Et l’idée de supprimer ce coût pour financer une autre dépense est réductrice. Du reste, dans une telle hypothèse, on peut poser la question pour de nombreuses politiques… Ce qui importe à mes yeux est que nous puissions veiller à donner toutes les chances aux personnes qui s’inscrivent dans ces dispositifs.

Alain Maron: C’est un vaste débat! Dans l’organisation actuelle, on sait difficilement supprimer toute forme de contrôle dans un processus assurantiel même s’il est basé sur la solidarité. Ce contrôle as- sure une forme de « réciprocité », une forme de garantie que chacun fait sa part dans un système collectif. Mais il faut viser l’accompagnement du demandeur d’emploi en vue d’un accès à un emploi de qualité.

Christie Morreale: Un suivi des personnes sans emploi est essentiel afin qu’elles suivent des formations et découvrent des secteurs pourvoyeurs d’emplois. Des formes de contrôle doivent aussi exister pour que, globalement, le modèle rencontre les objectifs pour lesquels il a été créé, mais je considère qu’il faut privilégier l’incitation à la sanction.

Pierre-Yves Jeholet:  Le contrôle et l’activation des demandeurs d’emploi et des bénéficiaires d’allocations sociales sont indispensables. Accompagner un demandeur d’emploi dans son parcours de recherche active et/ou de formation est essentiel pour sortir d’une situation de précarité et, par ailleurs, constitue le meilleur élément préventif contre les risques de basculement dans la pauvreté.

AÉ: L’emploi est souvent perçu comme l’outil principal de la lutte contre la pauvreté. Sortir de la pauvreté via l’emploi, est-ce la panacée?

Christie Morreale: L’emploi est évidemment un levier majeur dans la lutte contre la pauvreté. Toutefois, aucune personne ne devrait vivre dans une situation de pauvreté dans un pays aussi riche que le nôtre, que l’on travaille ou pas! En outre, l’emploi à tout prix, au détriment de la qualité de vie du travailleur, n’est pas un objectif à poursuivre. Permettre à toutes et tous d’avoir un emploi de qualité peut passer par des politiques de réduction collective du temps de travail, l’augmentation du salaire minimum et le droit à la formation.

«Multiplier les emplois précaires, mal rémunérés ou peu épanouissants, dans certains secteurs publics ou subventionnés comme le non-marchand/associatif sous forme d’aides à l’emploi, est inopérant dans la lutte contre la précarité.» Pierre-Yves Jeholet

Alain Maron: Aujourd’hui, l’emploi est central dans nos sociétés, car c’est via celui-ci que dépend en grande partie notre subsistance. Alors, oui, c’est un outil important, mais pas à manier n’importe comment. Viser le plein emploi sans réfléchir à la qualité et au sens de celui-ci est contre-productif et absurde. La lutte contre la pauvreté ne peut s’envisager sans la réduction des inégalités qui signifie une meilleure redistribution des richesses et la redéfinition collective des besoins qui doivent rester hors de la loi du marché.

Pierre-Yves Jeholet: Je ne connais aucun autre meilleur rempart que celui de l’emploi contre la pauvreté! Toutefois, l’emploi ne peut constituer une véritable plus-value qu’à une seule condition: il doit être le fruit d’une création de richesse et générer de la valeur ajoutée. Multiplier les emplois précaires, mal rémunérés ou peu épanouissants, dans certains secteurs publics ou subventionnés comme le non-marchand/associatif sous forme d’aides à l’emploi, est inopérant dans la lutte contre la précarité. Par ailleurs, l’octroi d’aides sociales de manière illimitée dans le temps favorisant l’assistanat n’a jamais mis fin à aucune forme de précarité, au contraire du revenu du travail.

Marinette Mormont

Marinette Mormont

Journaliste (social, santé, logement)

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