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Alain Maron: «La crise nous renforce dans l’idée que les secteurs du social et de la santé doivent plus que jamais être prioritaires.»

Alain Maron, ministre du gouvernement bruxellois en charge de la Santé et de l’Action sociale à la Cocom et à la Cocof, est aux manettes depuis moins d’un an au moment où le Covid-19 déboule en Belgique et à Bruxelles. Alors que nous sommes toujours englués dans cette crise sanitaire dont les impacts sociaux risquent d’être colossaux, Alter Échos fait le point avec lui sur les politiques en cours et à venir.

Alter Échos: Depuis le début de la crise sanitaire, vous avez dégagé pas mal de moyens pour soutenir le social et la santé à Bruxelles. Dans les années à venir, les demandes d’aide vont exploser. Avez-vous eu, au gouvernement, des discussions sur la répartition des budgets futurs?

Alain Maron: On a très vite compris qu’une crise sociale allait accompagner la crise sanitaire. Dès les premières semaines jusqu’aujourd’hui, le gouvernement a libéré une batterie de budgets pour tenter d’amortir le choc social entraîné par la crise sanitaire. Cet été, nous avons eu des discussions budgétaires pour 2021 et nous avons aussi essayé d’établir une programmation pluriannuelle 2022-2024 pour l’ensemble de la Région. Mais il est évident que l’évolution de la situation sanitaire, et donc la situation sociale et économique qui en découle, va nous obliger à revoir un certain nombre de choses. On a des incertitudes, notamment sur l’impact économique de la crise. La fermeture de l’horeca, de la culture et de l’événementiel a des effets sur les revenus de dizaines de milliers de Bruxellois. Jusqu’à quel point nous allons devoir soutenir le tissu économique bruxellois dans les prochains mois, c’est une grande inconnue. Il faut aussi rappeler qu’on doit dégager des moyens importants pour la gestion même de la crise. Call center, testing, vaccination: tout cela a un coût. Ces impacts budgétaires sont considérables et on ne sait pas combien de temps cela va continuer. 

AÉ: Concrètement, les secteurs social-santé risquent de se retrouver au niveau budgétaire de 2019 mais avec plus de demandes à gérer?

AM: Cet été, nous avons libéré des budgets pour le secteur sans-abri (Housing First et hébergements d’urgence) et pour la norme de croissance Iriscare (l’organisme d’intérêt public bruxellois de la santé, l’aide aux personnes et les prestations familiales). Certaines choses sont assurées. Le prochain moment pour négocier le budget 2022 et une évolution de la programmation pluriannuelle aura lieu cet été. Mon rôle est d’identifier où sont les besoins et de voir quel soutien sera le plus utile. Nous sommes à l’écoute de ce qui est en train de se passer…

«Jusqu’à quel point nous allons devoir soutenir le tissu économique bruxellois dans les prochains mois, c’est une grande inconnue.»

AÉ: Hébergement des personnes sans abri dans des hôtels, numéro vert d’urgence… Ces projets innovants, nés pendant le Covid, sont-ils d’ores et déjà pérennisés?

AM: Les moyens complémentaires structurels pour l’aide aux sans-abri sont prévus pour être pérennes. La vraie question, c’est l’opérationnel, puisque les hôtels vont progressivement retrouver leur fonction. Il ne faut pas minimiser la difficulté à maintenir autant de places ouvertes. C’est aussi une politique coûteuse. On essaye de trouver des solutions de remise en logement de transit, définitives ou via des occupations précaires pour ce public-là. Le numéro vert a aussi été pérennisé. Nous verrons évidemment jusqu’à quand il est utilisé et donc utile.

AÉ: Nous sommes en pleine campagne de vaccination. Quels sont les dispositifs prévus pour les personnes précaires?

AM: Nous travaillons avec Bruss’Help, Médecins du monde, la Croix-Rouge et nos OST (Outbreak Support Teams, équipes mobiles pluridisciplinaires d’intervention en cas de développement de foyers infectieux au niveau local, NDLR) pour aller dans les squats et les collectivités, et identifier les problèmes «Covid» afin d’éviter d’avoir des méga-clusters. Il va y avoir une stratégie de vaccination. On compte beaucoup sur les vaccins Johnson & Johnson pour la mettre en œuvre. C’est un vaccin facile à manipuler, utiliser, transporter et avec un bon taux de couverture en une seule dose. Pour des publics très précaires, c’est le meilleur choix possible. On met aussi en place des campagnes d’information multilingues et, avec la plateforme d’inscription Bruvax, on veut faciliter l’accès à l’inscription. Les équipes mobiles et les médecins généralistes peuvent travailler avec cette plateforme et y inscrire les personnes, y compris quand elles n’ont pas de numéro national. On évoque la possibilité de faire de la vaccination en rue ou avec des équipes mobiles pour un public en perte d’autonomie.

AÉ: Et quid des personnes sans papiers?

AM: C’est un énorme point d’attention. Cela dépasse largement le public ultra-précaire puisque certaines personnes sont totalement insérées dans le tissu social. Il est évident qu’elles doivent pouvoir accéder à la vaccination. Des discussions sont en cours au sein de la Conférence interministérielle de santé publique. Il faut que l’on dispose des doses nécessaires – puisque la répartition des doses entre les Régions se fait sur la base de la population inscrite – et mette en place des processus qui permettent à ces personnes d’accéder aux centres de vaccination. Ces personnes devront être encodées d’une manière ou d’une autre dans le logiciel, ne fût-ce que pour la gestion de la deuxième dose. Différentes hypothèses de travail sont sur la table et on trouvera des solutions.

«On a fait exploser le cadre institutionnel Cocom/Cocof et francophone/néerlandophone. On a respecté le cadre dans les décisions , mais on a travaillé de manière plus globale en mettant tout le monde autour de la table. Et je pense que c’est vraiment une bonne chose.»

AÉ: Depuis le début de la crise, la situation assez catastrophique des maisons de repos a été mise sous les projecteurs. Vous avez entamé un travail de révision des normes de ces établissements. Où en est-on aujourd’hui?

AM: Ce travail est en cours de discussion dans la commission technique d’Iriscare. Les partenaires sociaux travaillent dessus et nous avons voulu une implication des représentants d’utilisateurs via la Luss (Ligue des usagers des services de santé), Inforhome ou encore le Gang des vieux en colère. On voudrait que le texte puisse entrer en vigueur au 1er janvier 2022. Donc, première lecture avant l’été… La philosophie générale est d’essayer d’augmenter la qualité de l’accueil et de l’accompagnement dans une logique d’autonomie et de bien-être des personnes âgées, d’ouverture des maisons de repos vers leur environnement extérieur. Il y a un traumatisme, c’est évident. Il y a eu dans certaines maisons des cas de maltraitance, parfois institutionnalisée. Il faut qu’on avance. Nous sommes aussi plus motivés que jamais à essayer de faire en sorte de garantir aux personnes de rester à domicile le plus qualitativement possible et le plus longtemps possible. On suivra les recommandations de la Commission spéciale Covid, qui sont assez convergentes avec ce qu’on voulait faire. Les aînés sont souvent dans l’angle mort des politiques. Le sujet est devenu plus d’actualité, ce qui veut dire que les parlementaires se sont penchés sur cette question. C’est une bonne chose.

AÉ: La crise sanitaire vous a-t-elle laissés avancer sur les engagements pris dans l’accord de gouvernement négocié début de législature?

AM: Nous avons pris assez rapidement des mesures spécifiques «Covid», ponctuelles ou semi-structurelles, tout en restant cohérents par rapport à ce qui était prévu dans l’accord de majorité. En fait, l’ensemble des lignes prévues dans l’accord de majorité en «social-santé» est encore plus pertinent avec la crise Covid. Cette crise a entraîné une repriorisation de notre travail, nous avons perdu du temps, mais globalement elle a plutôt validé ce qui était prévu.

AÉ: L’accord de gouvernement met en avant une approche par quartier. Des agents de quartier en santé communautaire sont en train d’être engagés à Bruxelles et en Belgique pour mieux toucher et accompagner les publics fragilisés dans la lutte contre le virus. Ce projet dépassera-t-il le cadre de la crise du Covid-19?

AM: Oui, c’est l’idée. Nous essayons d’être cohérents avec nos objectifs politiques de moyen et de long terme, et notamment l’approche «social-santé» intégrée par quartier. Comment cette mise en cohérence va se faire concrètement, ce n’est pas encore complètement clair, mais c’est bien l’idée. On a aussi lancé les contrats locaux «social-santé» dans neuf quartiers, avec l’objectif de réaliser des diagnostics par quartier, de promouvoir la mise en réseau et une approche «social-santé» locale et communautaire (avec les CPAS, le secteur associatif et les administrations).

AÉ: Ce sont donc des projets de long terme?

AM: Les contrats locaux sont pérennisés et on va essayer de monter en puissance. Sur les RAQ (relais d’action quartier), on verra. Il y a du financement fédéral et du financement régional, on va voir dans quelle mesure on arrive à pérenniser quoi.

«Cette crise a entraîné une repriorisation de notre travail, nous avons perdu du temps, mais globalement elle a plutôt validé ce qui était prévu.»

AÉ: Avec la crise, de nouvelles structures – comme la task force urgence sociale – ont été mises en place pour accélérer les prises de décision. Le fait de travailler plus qu’auparavant en lien direct avec certaines personnes sur le terrain n’a-t-il pas pour effet de laisser de côté des institutions légitimes comme les conseils consultatifs (organes d’avis Cocof, Cocom et VGC)?

AM: Durant les premiers mois de la crise, il a fallu mettre en place des systèmes très opérationnels pour être à l’écoute du terrain et prendre les meilleures décisions possibles. C’est ce qu’on a essayé de faire notamment avec la task force urgence sociale, mais aussi en dépassant les clivages institutionnels habituels. On a fait exploser le cadre institutionnel Cocom/Cocof et francophone/néerlandophone. On a respecté le cadre dans les décisions et dans tout ce qui est administratif, mais on a travaillé de manière plus globale en mettant tout le monde autour de la table. Et je pense que c’est vraiment une bonne chose. Les conseils consultatifs sont malheureusement souvent segmentés parce qu’ils dépendent de législations différentes.

AÉ: En matière de consultation, vous avez ces derniers mois tenu – à distance – des «états généraux social-santé» avec pour objectif la rédaction d’un «Plan social-santé intégré» pour le gouvernement bruxellois. Comment cela s’est-il passé?

AM: Nous avons dû travailler dans des conditions complexes puisque nous avons dû organiser tout cela de manière virtuelle, il y a donc eu beaucoup de complexité opérationnelle. Ici aussi on a essayé de mettre tout le monde autour de la table de manière la plus transversale possible, avec une assez large représentation des secteurs et avec un panel citoyen. Nous nous sommes appuyés sur l’expertise de l’Observatoire de la santé et du social de Bruxelles-Capitale pour inviter les acteurs les plus pertinents. Au niveau du Conseil consultatif, il a pu y avoir des frustrations. Quand on met en place un dispositif ouvert et participatif, cela peut donner l’air d’entrer en concurrence avec des organes plus institués, mais ce n’est pas notre volonté. Les rapports des groupes de travail sont ou seront tous présentés et discutés dans les conseils consultatifs dans les semaines qui viennent afin d’y intégrer notamment l’avis des partenaires sociaux. On a aussi prévu de le présenter au groupe de travail social-santé de Brupartners (Conseil économique et social de la Région de Bruxelles-Capitale).

AÉ: Quel est le calendrier prévu pour la rédaction du plan?

AM: Évidemment, il y a des retards à cause de la crise Covid. On espère terminer la rédaction du plan pour cet été et présenter sa version finalisée avant la fin de l’année. C’est un travail conjoint entre l’Observatoire, l’administration et le cabinet. Nous pensons traduire une partie de ce plan dans un dispositif légal conjoint Cocom-Cocof. L’idée étant d’avoir un outil pérenne avec un dispositif d’évaluation et de modification, et de maintenir dans le dispositif des aspects participatifs ouverts.

AÉ: Des dispositifs participatifs qui vont continuer à impliquer des citoyens et des usagers des services?

AM: C’est l’idée oui… même si ce n’est pas encore tout à fait défini.

AÉ: Quand on réfléchit aux questions de programmation dans ces secteurs, la crise a-t-elle révélé des éléments importants?

AM: La crise nous renforce dans l’idée que les secteurs du social et de la santé doivent plus que jamais être prioritaires. En général, tout le monde est d’accord avec ça, mais quand il s’agit de concrétiser, il y a tout de suite moins de monde. Cette crise a aussi mis en exergue le fait qu’on était dans le bon avec une approche social-santé intégrée centrée sur du travail de quartier, en ciblant les quartiers prioritaires. Avant le Covid, on pouvait s’appuyer sur un accord de majorité particulièrement favorable et ambitieux. Rappelons-le, c’est la première fois qu’il y a une gestion intégrée du social et de la santé au sein d’un seul cabinet. Avant, cette gestion était éclatée en cinq cellules! Dans le cadre de cette crise, cette gestion nous permet d’articuler beaucoup de choses.

Marinette Mormont

Marinette Mormont

Journaliste (social, santé, logement)

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