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Regard critique · Justice sociale

Emploi/formation

«Je pense qu’on ne mesure pas encore les effets de la crise»

Très sollicitée depuis le début de la crise du Covid-19 à cause de son portefeuille «santé», la ministre wallonne Christie Morreale (PS) a pris un peu de temps pour évoquer d’autres enjeux, un peu oubliés depuis 18 mois, comme l’emploi et la formation.

© https://morreale.wallonie.be/

Alter Échos: Vous êtes en charge d’un grand nombre de matières très «Covid sensibles», comme l’Emploi, la Santé ou l’Action sociale. La crise ne vous a-t-elle pas poussée à en délaisser certaines au profit d’autres, plus urgentes?

Christie Morreale: Ce sont surtout les chantiers liés à la santé qui ont été mis de côté et reportés à l’après-crise. Je pense notamment aux assises de la première ligne qui ont été mises entre parenthèses parce que l’équipe santé a été totalement accaparée par la crise sanitaire. Par contre, les questions relatives aux matières emploi et formation ont été abordées de bon train. Une concertation liée aux aides à la formation, aux aides à l’emploi a ainsi été menée avec le GPSW – le «Groupe des partenaires sociaux wallons» a été créé en 2013 au sein du Conseil économique, social et environnemental de Wallonie, NDLR – pendant plus d’une année.

AÉ: Avec quels objectifs?

CM: Il s’agissait d’analyser l’impact des aides à l’emploi, en tout cas un certain nombre d’entre elles, et des aides à la formation pour voir si les moyens financiers ont été utilisés sans effets d’aubaine et, si c’est le cas, les réorienter. J’espère que l’on va pouvoir aboutir maintenant.

AÉ: Il y a aussi eu la réforme des APE, un monstre du loch Ness sur lequel certains de vos prédécesseurs, comme Éliane Tillieux, s’étaient cassé les dents…

CM: Cela faisait dix ans qu’il fallait une réforme du dispositif et il a fallu une large concertation. Cette réforme a été concertée avec 130 employeurs ainsi qu’avec les organisations d’employeurs, les syndicats, le Conseil économique, social et environnemental de Wallonie. Il a fallu beaucoup de travail en amont pour arriver à une solution concertée, dans un climat apaisé, d’une manière presque inédite quand on voit d’où on vient, avec une opposition historique qui avait amené des milliers de personnes – syndicats et employeurs – dans la rue il y a quelques années.

AÉ: S’il y a eu des manifestations, c’est parce que la réforme du dispositif faisait craindre des pertes d’emplois. Les APE ont d’abord été une sorte de pied à l’étrier pour mettre des gens à l’emploi, mais sont vite devenus un soutien structurel à l’emploi dans le non-marchand et pour les pouvoirs locaux.

CM: On arrive à une solution qui permet de stabiliser 66.000 emplois dans l’associatif, le non-marchand ou le public. On vient avec une réforme qui simplifie le modèle pour les employeurs et de petites structures qui étaient parfois condamnées à occuper un mi-temps ou un temps plein pour du travail administratif de suivi des APE… Nous avons travaillé à une meilleure lisibilité tout en maintenant le volume de l’emploi, ce qui était une des grosses revendications qui avaient été portées.

«Ce sont surtout les chantiers liés à la santé qui ont été mise de côté et reportés à l’après crise.»

AÉ: Vous stabilisez. Cela veut dire que la volonté de refaire du système un pied à l’étrier a été abandonnée?

CM: Il y a d’autres dispositifs pour cela.

AÉ: Y a-t-il néanmoins une place pour créer de nouveaux emplois APE?

CM: Sur le milliard du budget des APE, on estime qu’il y aura dix millions d’euros qui seront récupérés. Il y a des associations qui arrêtent, qui ne vont pas maintenir le volume global de l’emploi. Cet argent sera récupéré au bénéfice du secteur dans lequel les emplois étaient profilés afin de relancer des appels à projets pour des emplois APE.

AÉ: Au niveau de l’emploi, ce sont les jeunes qui pour l’instant paient le plus lourd tribut à la crise du Covid. Qu’est-ce que ça vous inspire?

CM: Avant la crise, même s’il y avait une diminution du taux de chômage depuis des années, il montait tout de même à 22% des 18-25 ans en Wallonie. C’était déjà un point d’attention. C’est pour cela que le premier acte que nous avons posé a été la réforme de l’accompagnement pour mettre l’accent sur les jeunes.

AÉ: Comment?

CM: Nous avons dégagé 30 millions pour renforcer «Coup de boost», un dispositif qui avait assez bien fonctionné lorsqu’il avait été lancé en 2014 et qui permet d’aller chercher des jeunes en décrochage. Ils commencent à sortir des radars et on va les chercher pour faire de l’accompagnement individuel, de la reprise de confiance. Cela fonctionne. Après un suivi de six mois, 71% des jeunes reprennent soit un emploi, soit une formation ou des études. Nous n’avons pas voulu réinventer la poudre. Si des dispositifs ont montré leur pertinence, il faut les amplifier.

AÉ: Il y a aussi la fameuse garantie jeunes. Dans l’accord de gouvernement, vous envisagiez de la renforcer et de permettre aux jeunes de se voir offrir un stage, un emploi ou une formation dans les quatre mois.

CM: C’est un dossier où nous sommes un peu moins avancés, mais ce sera un des prochains sur lesquels nous allons travailler.

AÉ: Vous n’avez pas peur qu’on se retrouve sur le marché de l’emploi avec un effet de goulet d’étranglement: des personnes peu qualifiées, des jeunes, pourraient se retrouver en concurrence avec d’autres personnes qui auraient perdu leur boulot mais qui disposeraient de plus d’expérience?

CM: Je pense qu’on ne mesure pas encore les effets de la crise. C’est quand les mesures de chômage temporaire prendront fin et quand il y aura une reprise que l’on pourra voir les taux de faillite et les dégâts collatéraux que ça engendrera en termes d’emploi. Mais nous avons essayé de prendre des mesures en amont, pendant la crise, pour tenter de former des travailleurs. Nous nous sommes dit: nous avons un temps de pause, nous allons proposer aux personnes en situation de chômage économique ou autre des formations afin d’être prêts au moment de la sortie de crise.

AÉ: Dans quels secteurs?

CM: Il y a l’Horeca. Nous allons aussi nous centrer sur le secteur de la construction et la réforme de la formation en alternance. Nous voulons former à tous les métiers émergents, avec une réflexion sur les incitants, pour que des étudiants acceptent d’entrer dans cette filière et soient valorisés financièrement. On se rend compte que le stage rémunéré à un euro de l’heure n’est pas suffisant.

AÉ: Il y a assez peu de jeunes tentés par la formation en alternance à cause de cela?

CM: Oui, ça n’a pas porté ses fruits.

AÉ: L’idée, c’est de revaloriser les stages?

CM: Oui, mais il va falloir envisager quelle est la part du public et du privé. On fera notre part, mais ils devront faire la leur aussi, notamment dans l’encadrement des stages. Avoir un stagiaire, ce n’est pas uniquement quelqu’un qui vient en formation. C’est un engagement de l’entreprise à former un jeune.

AÉ: Il est aussi parfois compliqué de trouver des entreprises pour accueillir les stagiaires… Comment comptez-vous les inciter à le faire?

CM: Les secteurs qui ont été fermés pendant la crise ont reçu ponctuellement un incitant financier supplémentaire pour reprendre des jeunes en stage à l’ouverture. L’idée c’est de dire: «On veut vous aider à continuer à faire ce geste-là.»

«Sur le milliard de budget des APE, on estime qu’il y aura dix millions d’euros qui seront récupérés.»

AÉ: Vous pouvez développer?

CM: C’est encore trop tôt.

AÉ: Passons aux territoires zéro chômeur de longue durée. Quelques projets pilotes wallons étaient en gestation avant la crise. Vous pouvez nous dire où ils en sont?

CM: Ces projets n’ont jamais été vraiment lancés. Mais avec le plan de relance wallon, nous nous sommes dit que nous pouvions mettre des moyens plus importants sur la table. Nous allons lancer un appel à projets pour qu’il y ait entre 15 à 20 territoires zéro chômeur qui puissent être lancés en Wallonie dans un laps de temps assez court. Ce sera un travail de longue haleine. Il faut que le secteur se structure, qu’il y ait un maillage. On a des Mire, des CISP, les services du Forem, les ALE…

AÉ: Vous évoquez tous ces opérateurs. Certains secteurs, dont l’économie sociale, ont justement parfois peur de la concurrence que les territoires zéro chômeur pourraient leur faire.

CM: En Wallonie, nous avons envie que le projet se concrétise à travers la création d’entreprises d’économie sociale. Ce n’est pas concurrent. Il faut que les opérateurs se parlent, que l’on mutualise les forces en présence. On a un secteur de l’insertion socioprofessionnelle qui est fort présent, mais qui a tendance à ne pas toujours travailler ensemble.

AÉ: Le fait de les faire travailler ensemble est mentionné dans chaque déclaration de politique régionale wallonne – dont la vôtre – depuis des années si je peux me permettre.

CM: La capacité à collaborer et à montrer comment ils peuvent mutualiser leur expérience respective sera un élément objectif dans le cadre du choix des projets.

AÉ: Et concernant les craintes de concurrence avec l’économie sociale?

CM: Nous n’allons pas imposer de travailler avec des entreprises à but d’emploi comme on l’entend en France, parce qu’on veut tenir compte du terreau local. Il y a des choses qui existent chez nous, le secteur de l’économie sociale est à mon avis le secteur qui se prête le plus à ce type d’opération parce qu’on a de l’expertise, un décret.

«Nous allons lancer un appel à projet pour qu’il y ait entre 15 à 20 territoires zéro chômeur qui puissent être lancés en Wallonie.»

AÉ: Le secteur de l’économie sociale pourra donc créer des expériences «TZCLD» mais en leur donnant un statut d’économie sociale X ou Y?

CM: Oui.

AÉ: Est-ce que le logiciel de l’expérience – le principe d’exhaustivité, le fait que personne n’est inemployable – restera le même qu’en France?

CM: Oui.

AÉ: Un accord de coopération avec le fédéral, destiné à réorienter vers la région les moyens «économisés» sur le chômage grâce au dispositif, a été envisagé. Est-ce sur la table, maintenant que le PS – vous et Monsieur Dermagne au fédéral – dispose des portefeuilles de l’Emploi des deux côtés?

CM: Nous n’avons pas envie de voir le lancement du projet conditionné à des accords ou à des aides qui viendraient d’autres niveaux de pouvoir. Nous allons faire une expérience pilote et puis nous serons beaucoup plus à l’aise pour dire au fédéral: «Regardez, ça a fonctionné.» Tout le monde n’a pas cette vision au fédéral, malheureusement. Plus l’expérience donnera de résultats, plus il sera facile d’aider le ministre fédéral de l’Emploi à convaincre ses collègues.

En savoir plus

1. «Territoires zéro chômeur: l’heure des choix», Alter Échos n°480, 30 janvier 2020, Julien Winkel.

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste (emploi et formation)

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