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Regard critique · Justice sociale

Jeunesse

Une maison pour soutenir les jeunes aidants proches

Ils sont jeunes et viennent en aide à un parent malade ou dépendant. Une situation qui pousse ces aidants proches à s’oublier et à s’épuiser physiquement et moralement. Pour les soutenir, l’association bruxelloise Jeunes aidants proches mène depuis 2015 un vaste travail de sensibilisation à leur égard.

© jeunesaidantsproches.be

Ils sont jeunes et viennent en aide à un parent malade ou dépendant. Une situation qui pousse ces aidants proches à s’oublier et à s’épuiser physiquement et moralement. Pour les soutenir, l’association bruxelloise Jeunes aidants proches mène depuis 2015 un vaste travail de sensibilisation à leur égard.

La voix est posée, déterminée même. Il y a huit ans, Candice était pourtant confrontée au pire pour un enfant, celui de voir son parent malade. La jeune femme avait alors 19 ans, et sa mère était atteinte d’un cancer. Elle venait aussi de commencer ses études à l’université pour devenir kiné. «Confrontée à cette situation, je n’avais jamais entendu parler de jeunes aidants proches, confie-t-elle. Je n’ai jamais pensé à prendre soin de moi à ce moment-là. Je n’ai pas imaginé non plus que je n’étais pas la seule à vivre cette situation et que j’aurais pu partager mon expérience avec d’autres. On est tellement pris dans l’engrenage. Ma priorité, ce n’était pas moi, mais ma mère.»

Sans arriver à poser des mots sur sa situation, Candice faisait partie de ces nombreux jeunes aidants proches. Enfants, adolescents ou jeunes adultes, ils ne se rendent pas souvent compte de leur statut, en apportant de l’aide continue à un proche en raison d’une situation de dépendance due à un handicap, une maladie ou à des problèmes d’addiction. Il est difficile d’estimer le nombre exact de ces jeunes, mais, selon le SPF Santé publique, 9% de la population (15 ans et plus) prodigue au moins une fois par semaine de l’aide ou des soins à une personne en difficulté. À Bruxelles, ces jeunes aidants représentent 14% des adolescents. Il y aurait même deux ou trois jeunes aidants par classe dans la capitale, dont un qui passe plus de trois heures par jour à aider un proche1.

«Ma priorité, ce n’était pas moi, mais ma mère.» Candice

Les expériences de ces jeunes sont très variées. En fonction de leur âge, ils peuvent contribuer aux tâches ménagères, prendre en charge le reste de la fratrie, prodiguer des soins ou remonter le moral du parent dont ils s’occupent.

Et si le jeune manque du soutien nécessaire, cette prise en charge peut devenir rapidement excessive. D’où des situations de stress qui conduisent à l’isolement, à la perte d’estime de soi ou au décrochage scolaire. Une situation qu’a bien connue Candice: «Ma mère est entrée à l’hôpital alors que j’entamais une session d’examens. Pour me protéger, elle a préféré ne rien me dire. Mais quand je l’ai découvert, outre d’être en colère, je n’ai pu me défaire de l’idée que ma mère ne pourrait plus être là du jour au lendemain, ce qui a rendu mes études très pénibles, avec la difficulté de pouvoir se concentrer…»

«Les jeunes aidants se trouvent en effet dans des conditions plus difficiles pour réussir. Ils ne sont pas dans les conditions optimales pour se concentrer à l’école et vivent en plus de la discrimination du fait de leur rôle, ce qui vient d’autant plus contribuer à leur décrochage, renchérit Julie Dupont, chargée de mission auprès de l’asbl bruxelloise Jeunes aidants proches. Les conséquences sont aussi physiques et psychologiques: maux de dos, manque de sommeil, stress ou dépression. Leur vie sociale est également en grande partie amputée puisqu’ils passent beaucoup de temps à soigner leur proche.»

Une maison à Laeken

Depuis 2015, l’association a soutenu une cinquantaine de jeunes venant en aide à un proche, comme Candice, qui a connu la structure après le décès de sa mère.

«Beaucoup d’entre eux ne se rendent pas compte de ce qu’ils font, de ce qu’ils sacrifient. La difficulté est que ces aidants proches ne se considèrent pas comme aidants. Ils ont une forte tendance à s’oublier, se sentant parfois coupables d’aller à l’école, par exemple, ayant l’impression d’abandonner leur parent. Bien souvent, ces jeunes pensent qu’ils sont seuls et que personne ne les comprend. Même après le décès de leur proche, ils ont tendance à avoir du mal à s’occuper d’eux», continue Julie Dupont. L’asbl leur donne donc des occasions pour se rencontrer et se soutenir entre eux. «C’est une manière de parler de ses émotions, de ses craintes, de ses colères, des difficultés auxquelles on fait face chaque jour», confie Candice.

En Angleterre, des maisons de jeunes ont été créées spécialement pour accueillir les jeunes aidants et leur permettre de se retrouver, de partager leurs expériences. Inspirée par ces initiatives, l’asbl inaugurait à l’automne dernier la première «maison de jeunes aidants» du pays à Laeken, un lieu proposant un éventail d’activités, des groupes de parole et des permanences. «On essaie toujours de rencontrer le jeune avant sa venue à la maison pour voir comment on peut l’aider au mieux dans ses besoins, en lui donnant tous les outils possibles pour alléger son quotidien. Certains viennent pour se reposer, faire leurs devoirs au calme, d’autres ont besoin de conseils juridiques ou administratifs…», explique Georgia Tissot, éducatrice spécialisée.

Ce dont les jeunes ont le plus besoin, c’est de temps pour rester jeune et d’un réseau efficace autour de la personne qu’ils aident.

Mais ce dont les jeunes ont le plus besoin, c’est de temps pour rester jeune et un réseau efficace autour de la personne qu’ils aident. «Ils souhaitent avoir du temps pour eux, mais en aucun cas ne veulent se décharger de l’aide qu’ils apportent», ajoute Julie Dupont. Raison pour laquelle l’asbl ne souhaite pas la mise en place d’un soutien financier (comme un supplément d’allocation pour le soutenir dans sa tâche par exemple) pour aider ces jeunes. «Ce soutien comporterait le risque de maintenir le jeune dans ce rôle», poursuit la chargée de mission.

L’association forme et informe également les professionnels de la santé, de l’éducation ou des CPAS. «Ces derniers n’ont pas toujours les outils nécessaires pour aiguiller ces jeunes.» Grâce à ce travail de sensibilisation mené depuis quatre ans maintenant, des professionnels se rendent plus facilement compte qu’ils se retrouvent face à des jeunes aidants proches et ont le réflexe d’appeler désormais les services de l’association pour demander conseil, voire même mettre le jeune en contact avec celle-ci.

«Mais quand les professionnels arrivent avec le jeune, il est généralement arrivé à un point de saturation. D’où la nécessité de continuer notre travail de sensibilisation. On aimerait que, dès qu’un parent est diagnostiqué, tout soit mis en place pour accompagner le jeune aidant.»

Si l’association est essentiellement active à Bruxelles, les demandes ne manquent pas du côté wallon. «L’idée est de pouvoir ouvrir une antenne dans le sud du pays», admet Julie Dupont. En attendant, la Ville de Bruxelles prend de l’avance et planche sur divers outils vis-à-vis de ce public, à travers la désignation d’un fonctionnaire chargé d’accompagner ces jeunes ou en permettant aux directions d’école d’avoir la latitude nécessaire en termes de flexibilité dans les cas les plus graves. «Un pas important dans la reconnaissance de ces jeunes. Ce sont des initiatives qui risquent de faire des émules dans d’autres villes», se réjouit Julie Dupont.

 

 

(1) Étude menée en 2017 par l’association Jeunes aidants proches sur un échantillon de 1.400 jeunes bruxellois âgés de 12 à 25 ans.

 

Pierre Jassogne

Pierre Jassogne

Journaliste (social, justice)

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